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Demain, le temps du trépas nous sera-t-il compté lui aussi ?
"Pour que l’établissement ne subisse pas une décote sur ce financement spécifique, le séjour devra être compris entre 4 et 12 jours, et vous êtes invités à ne pas mourir avant minuit ou après, dans le décompte de ces journées les mieux valorisées."
Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /
Publié le : 02 Octobre 2017
Selon la loi, chacun d’entre nous doit avoir accès à des soins palliatifs si son état le nécessite, selon des critères soigneusement précisés et encadrés.
Depuis la tarification à l’activité, laT2A, tous les actes réalisés à l’hôpital sont spécifiquement codifiés, quantifiés, et valorisés financièrement, y compris ceux réalisés pour des patients pris en charge en « soins palliatifs ».
Mais la valorisation de cette prise en charge spécifique dépend de plusieurs facteurs, comme la « nature du lit » dans lequel vous bénéficiez de soins palliatifs : lit de médecine sans autorisation spéciale en soins palliatifs, lit dédié « soins palliatifs » ou lit dans une unité de soins palliatifs. La durée de séjour interviendra également dans la valorisation du codage soins palliatifs. Pour que l’établissement ne subisse pas une décote sur ce financement spécifique, le séjour devra être compris entre 4 et 12 jours, et vous êtes invités à ne pas mourir avant minuit ou après, dans le décompte de ces journées les mieux valorisées.
Il faut bien comprendre qu’un codage non pertinent des séjours ainsi qu’une durée inadéquate au-delà de la durée moyenne de séjour du service, peuvent entrainer une perte financière non négligeable pour les établissements de soins. Lorsque ces savants calculs sont appliqués aux personnes bénéficiant de soins palliatifs, il convient alors de soigneusement identifier leur espérance de vie prévisible sous peine d’être un mauvais gestionnaire pour le chef de service, ou de pratiquer un « acharnement de soins palliatifs » prolongeant inutilement la vie. J’entends encore cette véhémente accusation dans la bouche d’un fils médecin, dont la mère avait dépassé de deux jours la DMS du service où elle terminait sa vie.
C’est aussi la raison pour laquelle « à la demande du patient », certaines personnes qui excèdent la durée de séjour supportable par l’établissement, sortent pour rentrer chez elles 48 heures afin de réinitialiser la procédure de codage. Si je suis intimement convaincue que ce n’est pas dans l’esprit de l’admirable engagement des professionnels choisissant d’exercer dans ce champ des soins palliatifs, je n’ai pas la naïveté de croire que cet impact financier de plus en plus prégnant, de plus en plus contraignant, ne les oblige pas insidieusement à négocier avec leurs valeurs.
Aujourd’hui, une autre dimension du temps de la fin de vie nous est proposée par la loi Leonetti-Clayes, avec la « sédation profonde et continue jusqu’au décès ».
Ce temps du « jusqu’au » décès, ce temps ultime du trépas, avant que le front sur lequel on dépose un dernier baiser, la main que l’on caresse encore, deviennent froids et durs dans la mort, ce temps nous sera-t-il aussi codifié, mesuré et valorisé sous condition qu’il n’excède pas une durée appropriée définie par une administration ?
Ce temps du « jusqu’au décès » pourrait-il être variable selon l’âge et/ou la pathologie dont souffre la personne ? Certains médecins de soins palliatifs se posent cette question. Et dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue l’an prochain, peut-on craindre qu’au-delà d’un temps horaire codifié du trépas, alors le médecin sera non seulement autorisé, mais sera obligé de procéder à l’injection létale mettant fin définitivement à cette vie « indignement prolongée » à double titre : des heures inutilement coûteuses puisque la personne de toute manière est en état de sédation profonde irréversible, et de plus des heures excédentaires qui prolongent inutilement la souffrance morale des proches.