La réponse la plus immédiate est qu’il s’agissait d’une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2022 et de l’une de ses premières actions en tant que président de la République réélu, à travers la constitution d’une consultation de 150 citoyennes et citoyens tirés au sort, sur le même modèle que la convention citoyenne pour le climat. Dans le même temps, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et la santé (CCNE) a rendu le 13 septembre 2022 son avis n°139 dans lequel il traite des nombreux enjeux éthiques relatifs à la prise en charge de la fin de vie et ouvre pour la première fois la possibilité d’une application éthique d’une aide à mourir.
Mais on doit se demander également pourquoi c’est « seulement » maintenant, en France et au début du 21e siècle, que nous cherchons collectivement à légiférer sur « la fin de vie ». Si une nouvelle loi voit le jour, il s’agirait de la cinquième de notre histoire, la première remontant à seulement vingt-trois ans.
On doit en effet trouver curieux que nos prédécesseurs ne se soient pas saisis de ce débat comme nous le faisons aujourd’hui. On fait fréquemment remonter les origines de la médecine, de la philosophie et de la démocratie à l’Antiquité grecque il y a près de 2500 ans. Le temps, nous l’avons donc eu. Pourquoi faisons-nous alors face à une telle accélération législative aujourd’hui ? C’est en réalité que la question de la judiciarisation de la fin de vie est relativement nouvelle à l’échelle de nos sociétés. En effet, le problème et la méthode pour résoudre les problèmes sociaux sont tous deux relativement récents.
Commençons par la méthode. L’usage de la « loi » au sens juridique pour organiser la vie en société est intimement lié au contexte politique et idéologique dans lequel nous évoluons. Mais cette méthode de gestion de la vie en collectivité n’a rien d’évident, d’inévitable ou d’éternel. Pendant de nombreux siècles, le pouvoir souverain était réservé à certaines personnes ou groupes qui décidaient du sort des individus constituant le peuple.
Les transformations politiques amorcées par la Révolution française à la fin du 18e siècle et qui continuent jusqu’à nos jours ont déplacé la souveraineté d’un individu ou d’un groupe vers l’entièreté de la population elle-même, au nom d’une égalité politique entre tous les êtres humains : c’est de cette conception du pouvoir que se réclame l’idéal démocratique. Le concept d’État de droit a alors vu le jour et pris une place centrale dans l’organisation politique du pays. Si tout le monde est souverain, alors tout le monde doit avoir le pouvoir de décider comment organiser la vie collective, c’est-à-dire de faire la loi. Mais puisque tous les individus sont politiquement égaux, ils doivent aussi l’être devant la loi. Or, ce que nous décidons ensemble de garantir à chacune et chacun d’entre nous à travers la loi est ce que l’on nomme un droit. Autrement dit, dans un État de droit, la loi et le droit priment sur le pouvoir politique, quels que soient les gouvernants et quelle que soit la répartition du pouvoir à l’intérieur de la société. Les individus ne sont plus sujets mais des citoyens souverains.
D’autre part, la notion même de « fin de vie » est relativement nouvelle. Cela peut paraître aller à l’encontre du sens commun, mais un certain contexte technique et scientifique est nécessaire à l’identification d’une période dite de « fin de vie » pour que le concept émerge dans l’espace publique. Car en effet, la fin de vie n’est pas juste la fin de la vie, c’est-à-dire le moment (plus ou moins long) qui précède la mort —dire qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau reviendrait à dire que la mort est un phénomène nouveau. En revanche, les progrès considérables de la médecine sur le plan de la connaissance nous permettent désormais de mieux prédire qui va mourir, dans quelles conditions et à quelle échéance.
La fin de vie, une nouvelle période de l'existence
Les progrès techniques contribuent à la même dynamique que les progrès scientifiques, en particulier dans la seconde moitié du 20e siècle. D’abord, le mouvement hygiéniste couplé aux avancées technologiques comme les vaccins et les antibiotiques ont fait considérablement diminuer la mortalité liée aux maladies infectieuses en Europe, pourtant longtemps et largement la première cause de décès. Ces maladies peuvent rapidement évoluer vers le décès chez les individus quel que soit leur âge et étaient particulièrement dévastatrices chez les enfants. On peut voir cette baisse de la mortalité infantile et l’augmentation continue depuis 70 ans de l’espérance de vie des hommes et des femmes en France sur la Figure 1. On appelle ce phénomène la transition épidémiologique.Dès lors, les maladies chroniques — au premier rang desquelles les cancers et les maladies cardio-vasculaires, qui dégradent l’état de santé sur des périodes souvent beaucoup plus longues que les maladies infectieuses — deviennent des déterminants de plus en plus décisifs de la santé des habitants des pays riches. Et ce d’autant plus que le progrès technologique ne s’est pas limité aux vaccins et aux antibiotiques : de nombreux dispositifs, infrastructures et médicaments permettant de maintenir voire de prolonger des vies pour lesquelles la médecine n’avait auparavant pas de solutions ont aussi vu le jour.
Tous ces éléments concourent alors à faire émerger une période de « fin de vie » dont la pertinence doit être comprise au regard du contexte post-transition épidémiologique qui est le nôtre. Puisque cette nouvelle période de l’existence, rendue concrète par l’état d’un savoir et d’une technologie, peut conduire à des souffrances prolongées et prévisibles, et puisque nous sommes à un moment de notre histoire politique où nous organisons notre vie commune par le droit, l’idée d’encadrer la fin de vie par la loi émerge à partir des années 1970. Un mouvement international naît alors, incarné en France par la création de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en 1979, qui réclame un droit pour chacun d’avoir une fin de vie conforme à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté.
Or un droit n’est pas une simple proclamation mais bien souvent le symétrique d’un devoir : celui de la puissance publique, incarnée par l’État, de respecter ce droit qu’a chaque individu (dans sa version minimaliste) voire de mettre en œuvre les moyens pour que chaque individu puisse effectivement faire valoir ce droit (dans sa version maximaliste).
Voilà pourquoi la question d’une loi sur la fin de vie est une question relativement récente. Les premiers mouvements militants d'ampleur ont une quarantaine d’années, la réponse de l’institution médicale une trentaine d’années (par la création de la discipline de soins palliatifs) et la réponse juridique une vingtaine d’années. C’est une question qui nous concerne toutes et tous puisqu’elle doit déterminer ce que nous consentons collectivement à accorder et à garantir à chaque citoyen et citoyenne dans cette nouvelle période de l’existence qu’est la fin de vie. Cette question n’a pas pu être résolue par la longue histoire que nous avons derrière nous, tout simplement parce qu’elle aurait été dénuée de sens il y a seulement quelques décennies. Cette histoire, c’est la nôtre.