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Donner la mort ou l'encadrer (suicide assisté) constitue-t-il une rupture anthropologique ou la transgression d'un interdit ?
La rupture anthropologique ne semble pas se situer dans le respect de l’autodétermination, ou la prise en compte de la souffrance de l’autre, elle semble en route dans l’opacité autour de la mort jusqu’à ne plus incarner la vie et ne plus « vivre son mourir », c’est-à-dire réfléchir et penser les limites de la vie.
Publié le : 20 Juillet 2023
Au niveau du soignant, dans une société où la mort est médicalisée, donner ou encadrer la mort, peut interroger sa posture. Le soignant est représenté du côté de la vie, avec une médecine technicoscientifique qui en recule les limites. Pourtant la mort est présente, bien réelle et nous y sommes que très peu préparés au niveau des formations médicales. La société valorise la production de belles images jusqu’à affaiblir l’image de soi et réduit la mort à un échec ; elle ne nous prépare pas à vivre notre mort, ni à incarner notre vie. La question d’une rupture anthropologique se pose, peut-être, quand elle est déjà là, et qu’elle nous met face à des sentiments d’interdit, et de transgression, qui révèlent la violence ressentie. La banalisation de ce qui peut faire mal s’opère par une continuité de ruptures. Les principes de non-abandon et de ne pas nuire se déclinent, mais le soignant avance dans des zones où la mort, par incidence médicale, se compte en normes chiffrées et désincarnées. La rupture anthropologique ne semble pas se situer dans le respect de l’autodétermination, ou la prise en compte de la souffrance de l’autre, elle semble en route dans l’opacité autour de la mort jusqu’à ne plus incarner la vie et ne plus « vivre son mourir », c’est-à-dire réfléchir et penser les limites de la vie.
Autour de la mort les postures ne peuvent pas être réduites à un acte technique, un savoir ou une conviction. La mort se situe toujours dans le même temps, au plus intime et au niveau public et politique, car elle est liée au fonctionnement complexe de la vie et à nos reliances. « Donner la mort » découvre, ici, une rencontre où le geste de l’un va être animé par le choix de l’autre qui le demande. Les frontières entre la vie et la mort, et soi et l’autre, sont nécessaires à nos sentiments d’intégrité et à notre identité ; la notion de l’échange ou du « don » permettrait d’en maintenir la cohésion. Ce pourrait être un niveau supérieur de solidarité, une façon de renouer avec une médecine qui aborde l’être dans son intégralité, et ne contournent plus ni les contextes psychosociaux, ni la mort. Mais alors il s’imposerait, au niveau médical et de toute la société, que la mort reprenne sa place.
De la rupture à la bascule, l’enjeu serait de refonder le politique avec la prise en compte de la mort pour ne plus invisibiliser ou abandonner les vies et la vie elle-même ; le risque serait de glisser vers ce qui n’est plus compatible avec le maintien du vivant dans sa complexité et sa sensibilité. Cette sensibilité habite tout geste d’humanité et en particulier ceux du prendre soin. C’est la mort elle-même, et ses signes annonciateurs, qui nous alertent avec des sentiments de transgression et d’interdit ; il s’agit alors d’accepter de se laisser traverser par cette incertitude et notre propre finitude. Le prendre soin « transgresse » pour maintenir de l’humanité dans un geste envers l’autre, et particulièrement autour de la mort ; c’est une transgression qui pourtant respecte l’autre, et prend en compte les lois, les règles, et les clauses de conscience. « Donner et demander la mort » nous obligerait à reconnaître la mort en tant que phénomène essentiel et fondateur de la vie, du sensible et de nos solidarités, et à nous engager pour que toute vie soit pleinement vécue avant que d’être pleurée.
A propos de ce texte
Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie