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Enjeux éthiques et sociétaux de l’inclusion scolaire d’une personne en situation de handicap
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 07 Février 2022
Réalités humaines « subies » du handicap
Les réalités humaines « subies » du handicap sont consécutives à l’inadaptation du contexte socio-culturel au sein duquel évolue la personne. Il ne s’agit pas tant de compenser les incapacités de la personne à s’intégrer à la vie sociale que de la reconnaître dans l’intégrité de ce qu’elle est, aspirant à pouvoir se réaliser dans un projet de vie et une citoyenneté, préservée de toute forme de discrimination. Sa place et sa position dans la vie publique ne relèvent pas d’une concession compassionnelle mais d’un devoir éthique et politique. Cette exigence est révélatrice de l’attention au bien commun dont certains pays témoignent avec une dignité et un esprit d’engagement qui relativise notre façon encore approximative d’aborder en France ces enjeux de démocratie. Les vicissitudes de la campagne électorale leur ont conféré une actualité inattendue, tant ils étaient jusqu’à présent marginalisés dans le débat public.
La « loi sur les américains en situation de handicap de 1990[2] » apparaît comme une référence du point de vue de son exhaustivité. À travers la minutie de dispositifs opérationnels, elle vise à estomper les entraves à l’autonomie des personnes, développant ainsi une culture et des pratiques sociétales soucieuse des diversités et de leur contribution à la vie de la nation. Dans ce domaine nous avons à apprendre de la force d’innovation, d’adaptation et de mobilisation sociales de proximité et pas seulement au niveau des instances de l’État, dans des pays comme les États-Unis, les pays scandinaves, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
Le 14 janvier 2022, l’intervention impromptue d’un candidat à l’élection présidentielle à propos des conditions d’inclusion dans un parcours scolaire conventionnel d’un enfant en situation de handicap, a touché la sensibilité d’une société encore déficitaire dans l’intelligence de son approche du handicap. Trop souvent encore le handicap relève d’une forme d’acceptabilité, d’une bienveillance quelque peu contrainte qui n’estompe pas le sentiment de réserve ou d’inconfort à l’égard de cette étrangeté que représente la différence. Le regard porté sur ce qui déroge à la norme demeure un marqueur en dépit d’un discours public plus tolérant aujourd’hui à l’égard des expressions identitaires. De telle sorte que la réprobation quasi unanime des instances politiques ou représentatives de la société civile à l’encontre d’une position ramenée à sa dimension polémique, conforte à peu de frais une forme d’unanimisme moralisateur qui justifierait d’être interrogé du point de vue des évolutions de nos préjugés et des engagements pratiques auxquels il nous obligerait.
Il y a quelques années, j’ai été marqué par un échange avec des représentants de parents d’élèves qui exprimaient leur réticence à l’accueil de jeunes autistes dans la classe d’une école parisienne. Ils estimaient que « la qualité de l’enseignement risquait d’en souffrir » et qu’« il leur importait d’éviter à leurs enfants à d’être exposés à une confrontation difficile » (sic). Par analogie, les mêmes propos sont tenus à l’égard d’élèves en situation de vulnérabilités sociales dont l’inclusion dans la société française est soumise à des évaluations péjoratives dès lors qu’en trop de circonstances leur présence en classe est considérée comme un obstacle à la qualité et à l’efficacité de l’enseignement.
Franchir le porche de l’école c’est être accueilli dans la communauté nationale
Rappelons les propos à l’origine des controverses de l’instant présent : « Je pense qu’il faut effectivement des établissements spécialisés. Je pense que – sauf les gens qui sont légèrement handicapés, évidemment, qui peuvent rentrer dans la classe [...] – l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut effectivement des enseignants spécialisés qui s’en occupent.[3]»Il n’est pas certain – une fois mise en cause sans la moindre réserve cette formulation contestable en l’interprétation immédiate discriminatoire et misérabiliste qu’on peut en tirer – qu’elle ne justifie pas davantage que la consternation et l’opprobre. Certes cette approche catégorisée des « gens » handicapés du point de vue de leur accès à l’éducation, révoque la singularité d’histoires et de cheminements d’existence qui ne s’évaluent pas à l’aune de critères inopportuns. L’expérience de la scolarité et de cette socialité qu’elle s’approprie en l’enrichissant de ce qu’elle est, représente pour la personne en situation de handicap comme pour ses parents le moment où, en quelque sorte, elle est intégrée au monde. Au-delà de la sphère familiale ou de ces longs temps dans un établissement spécialisé, franchir le porche de l’école c’est être accueilli comme membre de la communauté nationale. Rien à voir avec la recherche de performances et la compétition scolaires, si ce n’est que cette conquête d’un sentiment d’appartenance, de cette dignité semblable à celle des autres acquise au cours de ce temps d’apprentissage et de partage, permettent de trouver confiance en soi et aux autres ; d’être ainsi plus fort pour affronter l’avenir.
C’est dire ce qui fonde notre attachement à des principes inconditionnels, comme l’accès à « l’école de tous ». Cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse s’exonérer de l’exigence d’un réalisme éclairé par une analyse des faits, et donc que l’on puisse s’interroger sur la pertinence de filières intégratives sans tenir compte de la diversité et de la spécificité des capacités et des besoins individuels. Les idéaux sont respectables pour autant qu’ils résistent à l’épreuve des faits. En 2014, le Rapport « Zéro sans solution » : le devoir collectif de permettre un parcours de vie sans rupture, pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches[4], dénonçait des manquements inacceptables à l’égard des personnes en situation d’errance et de précarité sociales du fait de l’incapacité des instances publiques à leur permettre une vie digne en bénéficiant de dispositifs adaptés et accessibles à tous. Les conditions d’intégration dans un parcours éducatif et de formation jusqu’à l’emploi y font notamment l’objet de préconisations d’autant plus justifiées qu’elles tiennent compte de la singularité et de la complexité des enjeux.
La loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées affirme que l’accès à la scolarité constitue un droit fondamental qui s’inscrit dans le champ de nos solidarités auprès de la personne et contribue à son projet de vie : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. À cette fin, l'action poursuivie vise à assurer l'accès de l'enfant, de l'adolescent ou de l'adulte handicapé aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. Elle garantit l'accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées.[5] »
Maintenir la personne en situation de handicap « dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie » est un engagement de la nation. Il s’agit donc pour elle de se donner les moyens d’assumer ce défi. Cela explique, en grande partie, la vive réaction suscitée par une prise de position qui donnait à penser que la signification démocratique de cette expression de sollicitude de la part de notre société pourrait être révoquée, et – ce qui peut être admis – que nos dispositifs ne sont pas à tous égards à la hauteur des besoins. Nombre de familles et de professionnels témoignent à ce propos de carences structurelles que ne compensera pas la dynamique actuelle de « désinstitutionnalisation des personnes en situation de handicap[6] ».
« La participation effective des personnes handicapées à une société libre »
Dans le prolongement de la loi du 11 février 2005, la France a ratifié le 31 décembre 2009[7] la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 30 mars 2007, ainsi que son protocole additionnel. Le droit à la scolarité n’y est pas présenté dans sa seule perspective d’acquisition de savoirs et de compétences, mais aussi du point de vue de la dignité humaine et de la participation à la vie sociale.Le texte de l’Organisation des Nations Unies apporte à cet égard une argumentation remarquable : « Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation qui visent :
a) Le plein épanouissement du potentiel humain et du sentiment de dignité et d’estime de soi, ainsi que le renforcement du respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la diversité humaine ;
b) L’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
c) La participation effective des personnes handicapées à une société libre.[8] »
N’avons-nous pas mieux compris en ces temps de pandémie la valeur sociétale de nos écoles et de ses enseignants, de ce creuset républicain où s’apprend aussi le respect, la relation à l’autre, le sentiment d’appartenance à une communauté, le souci de bienveillance réciproque et d’attention portée aux vulnérabilités de la vie ? Cet espace de découverte et d’apprentissage à la sociabilité et aux solidarités est emblématique de ce que signifie le vivre ensemble. Il s’honore et se légitime en accordant, sans la moindre discrimination, l’hospitalité à ceux qui constituent et font notre humanité et notre société, y compris lorsqu’ils n’ont pas la capacité de l’exprimer et de le revendiquer.
C’est pourquoi nous ne pouvons rien concéder à des positions politiques qui s’exonèreraient d’une extrême rigueur là où les dérives, les disqualifications où les affirmations sommaires peuvent susciter des renoncements et des indignités dont notre démocratie doit se prémunir.
A cet égard, l’Avis défavorable du CNCPH (Centre national consultatif des personnes handicapées) relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction aux familles du 21 janvier 2022, conteste le projet de décret d’application de l’article 49 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République[9] : « Le projet de décret prévoit que lorsque la demande d’autorisation d’instruire en famille est motivée par l’état de santé ou son handicap, les parents doivent produire un justificatif (certificat médical ou décision de la CDAPH) établissant « l’impossibilité de scolariser l’enfant dans un établissement scolaire ». Le CNCPH observe qu’il est illégal de déclarer qu’un enfant est « impossible à scolariser[10] ». »
Rien à voir avec la recherche de performances et la compétition scolaires, si ce n’est que cette conquête d’un sentiment d’appartenance, de cette dignité semblable à celle des autres acquise au cours de ce temps d’apprentissage et de partage, permettent de trouver confiance en soi et aux autres ; d’être ainsi plus fort pour affronter l’avenir.
« Une politique résolument inclusive au bénéfice des enfants et des familles »
Au cours de l’année 2021, en France 427 822 enfants en situation de handicap étaient scolarisés, dont 361 174 en milieu ordinaire[11]. À cette fin, en 2015 l’Éducation nationale a mis en place des Unités localisées d’inclusion scolaire (Ulis[12]) et en 2016 des Unités d’enseignement externalisées (UEE[13]).Ces enfants bénéficient des compétences d’enseignants sensibilisés à un suivi adapté, ainsi que de 125 000 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui ont fait valoir ces derniers mois des revendications de manière à mieux assumer leurs missions[14].
Le Code de l’éducation mentionne cependant le recours possible à des « dispositifs adaptés » autres, tenant compte du « projet personnalisé » de l’enfant : « Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence. Dans le cadre de son projet personnalisé, si ses besoins nécessitent qu'il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés, il peut être inscrit dans une autre école ou un autre établissement mentionné à l'article L. 351-1 par l'autorité administrative compétente, sur proposition de son établissement de référence et avec l'accord de ses parents ou de son représentant légal. Cette inscription n'exclut pas son retour à l'établissement de référence.[15] »
Dans une réponse à la question d’une sénatrice le 10 mars 2021, Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées indique que « la politique du Gouvernement vise donc à avancer simultanément sur les deux aspects essentiels d’une politique résolument inclusive au bénéfice des enfants et des familles : renforcer l’intervention des professionnels du secteur médico-éducatif au sein des écoles – c’est cette coopération que nous développons – garantir l’accueil diversifié au sein des établissements chaque fois que nécessaire, et ce de façon plus souple en fonction des besoins.[16] » Dans des domaines aussi sensibles, la diversification et la contextualisation des réponses doivent s’opposer à tout systématisme ou à toute forme d’idéologisation de la démarche éducative. « L’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités[17] » semble constituer une juste perspective pour déterminer un cadre d’action.
Sur les 400 000 enfants évoqués précédemment, notons toutefois que 80 000 d’entre eux sont accueillis dans des instituts médico-pédagogiques (IME[18]), « établissements ou services d'enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d'adaptation[19] ». C’est dire que le « projet personnalisé de scolarisation » justifie une capacité d’innovation et d’adaptation qui requiert la motivation des professionnels en étroite collaboration avec les parents, un dispositif pluridisciplinaire compétent et une disponibilité ; toutes considérations qui dépendent de dotations en moyens, donc de choix politiques.
Être soucieux de justice dans l’exigence d’inclusion, justifie une réflexion qui, on le constate, engage les valeurs de la société tant ces enjeux de citoyenneté sont significatifs de ce qui fait société. Qu’il en soit question avant une échéance présidentielle en développant une argumentation rigoureuse et prudence apparaît dès lors opportun.
En octobre 2028, le ministère de l’Éducation a organisé à ce propos un colloque dont les actes restituent la haute qualité et la pertinence de nombre d’initiatives développées dans le monde et présentent des initiatives évaluées dans leur contribution au bien-être et à la réalisation personnelle de l’enfant : « Projet personnalisé de scolarisation. Regard international sur l’éducation inclusive[20]. »
Pascal Jacob fait cette observation pertinente : « Pour éviter de se préoccuper d’inclusion, ne serait-il pas préférable d’éviter toute forme d’exclusion ? » Il n’est pas dit que le débat politique actuel n’ait pas à intégrer cette interpellation, y compris considérée en dehors des enjeux de l’intégration scolaire des personnes en situation de handicap…