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Éthique et prévention
"La prévention qui s’adresse, dans ses volets primaire et secondaire, à des personnes apparemment saines, s’inscrit comme un nouveau lien à l’autre, revêtant des formes originales d’échange et de regard. La prévenance et la proximité, premiers pré-requis de la démonstration et de la conviction, y sont deux éléments essentiels. La crédibilité de l’approche préventive repose sur celle de la société qui crée et entretient ce lien."
Par: Jean-François Toussaint, Praticien hospitalier, Pôle imagerie et explorations fonctionnelles, Hôtel-Dieu, AP-HP /
Publié le : 11 Juillet 2008
Texte estrait du Traité de bioéthique, T. 3, érès 2010
La prévention devance les conséquences néfastes d’une pathologie, d’un facteur de risque ou, parfois, d’une absence de décision. Elle se conçoit à tous les âges de la vie, pour toutes les catégories sociales et dans toutes les situations sanitaires. Elle concerne, en effet, chacun d’entres-nous dans ses dimensions physique, mentale, sociale, solidaire et sociétale. La prévention est anticipation et, pour chaque avance, ouvre une éthique nouvelle. De nature probabiliste, elle requiert la définition précise des objectifs et de leur impact sur l’ensemble de la population concernée car, les mesures ne profitent, le plus souvent, qu’à quelques-uns directement tout en devant apporter des bénéfices « statistiques » à la communauté.
Tout auteur d’une approche préventive doit s’interroger sur la conduite à adopter, avant l’action, et sur ses finalités, après. Il doit prendre en considération l’équité, la transparence de ses décisions, la participation et la responsabilisation de chacun. Il doit, de plus, anticiper les dérives. Il lui revient aussi de ne pas créer les conditions de nouvelles discriminations ou les circonstances propices à la marginalisation ou à la culpabilisation des personnes auxquelles sa démarche s’adresse.
La santé est une réalité éminemment variable et subjective. Cette définition évolue cependant : la santé n’est plus seulement « le silence des organes ». Dans les définitions actuelles de l’OMS, elle présente une dimension plus vaste, à travers l’idée de bien-être collectif. La prévention qui s’adresse, dans ses volets primaire et secondaire, à des personnes apparemment saines, s’inscrit comme un nouveau lien à l’autre, revêtant des formes originales d’échange et de regard. La prévenance et la proximité, premiers pré-requis de la démonstration et de la conviction, y sont deux éléments essentiels. La crédibilité de l’approche préventive repose sur celle de la société qui crée et entretient ce lien.
Prévention et prévision
Si « prévenir » est considéré comme une obligation morale (qui vaut mieux que « guérir »), il convient, certes, de prévoir, mais aussi, d’être prudent et d’appréhender l’avant, les circonstances, tout comme l’après, les conséquences. À la notion de prévention (qui vient avant), on peut donc associer celles de prévision (le voir avant) et de prudence (invitant à prendre garde aux actions comme aux individus : les bénéfices sont-ils supérieurs aux inconvénients ?). Ainsi, toute action de prévention doit être menée dans un souci permanent de rigueur dans la conception, de prudence dans la mise en œuvre et de sécurité dans l’action.
La prévention se doit aussi de témoigner une attention particulière aux exclus : les personnes précaires sont moins sensibles aux problématiques de prévention et, de ce fait, plus vulnérables encore. Or, la qualité d’une démarche de prévention peut se juger sur la façon dont elle s’exerce sur eux, qui souhaiteraient bénéficier de conditions similaires permettant de préserver leur santé. L’accès aux droits importe autant que les droits eux-mêmes. Au mieux, les personnes en situation de vulnérabilité prennent conscience que la démarche de prévention ne leur est pas imposée mais se l’approprient, en s’engageant dans une démarche d’accès à une qualité de vie qui peut valoriser l’estime de soi.
La légitimité d’un acte de prévention repose d’abord sur le bénéfice pour la personne ou la collectivité, suite à des mesures concrètes. Comme pour la démarche curative, il convient également qu’un effet délétère, d’un coût supérieur, ne soit pas associé à ce bénéfice, justifiant la permanence du « primum non nocere ». Or, les campagnes de dépistage ou les actes de prévention n’ont pas que des effets positifs : on peut citer le risque médical de certains actes effectués dans un contexte de prévention (même si le développement technologique nous permet d’en limiter de plus en plus le caractère invasif), les conséquences des faux positifs et faux négatifs des examens de dépistage, l’inquiétude récurrente provoquée par certaines campagnes d’information ou des modifications de comportement, malheureusement, inadaptées. Prendre en compte l’existence d’une possible iatrogénie, même rare, est d’autant plus important que ces campagnes, ou ces actes, concernent souvent de larges fractions de la population, voire la population tout entière.
Des arguments commandent les comportements de la communauté pour rester en bonne santé mais, ils peuvent être incertains à l’échelle individuelle. Le paradoxe veut, en effet, qu’une mesure appliquée à beaucoup ne profite qu’à quelques-uns - qui en resteront le plus souvent totalement ignorants - et apporte de grands bénéfices à la communauté mais n’en offre que peu à chacun de ceux qui l’adoptent. Ici aussi, le rôle des solidarités est essentiel. En ce domaine, comme dans le reste du champ médical, l’existence d’un tissu social dense autour des personnes, incluant le cercle familial, constitue un facteur essentiel de réussite de cette démarche. Ceci fut, par exemple, le cas dans les mois de maturation qui ont précédé l’arrêté de novembre 2006 interdisant le tabagisme dans les lieux publics, avec une nation qui s’est progressivement convaincu de la justesse de la mesure, et dont les résultats ont été d’autant plus importants que chacun se renvoyait alternativement le message.
Tous acteurs de la prévention
L’éthique, en soi, est prévention si elle ne reste pas cantonnée aux prémices de réflexion mais, qu’elle fonde une morale de l’action. Alors que son champ fait désormais partie intégrante des démarches sanitaires et bénéficie de tous les progrès épidémiologiques, biostatistiques ou techniques, la prévention s’adresse à des populations qui ne sont, parfois, pas directement intéressées par l’éthique. Or, l’interrogation éthique en est un accompagnant majeur, puisque, le but est de faire de chacun un acteur, voire un co-auteur de la prévention. La prévention doit alors être pensée dans le cadre d’un comportement libre et informé, et celui d’un consentement actif et éclairé. Les inégalités en matière de prévention, comme de santé, les disparités dès la naissance et les déterminants différenciant les statuts de l’intéressé (âge, handicap, etc.) doivent être, notamment, considérés.
Un des objectifs et des dilemmes, en terme d’éthique, est de concilier l’intérêt général et le particulier. À ne pas considérer ces deux-là, on risque d’imposer des normes en matière de comportement de santé et d’aller vers une idéologie de la prévention, limitant la liberté de choix. La prévention doit ainsi aider l’autre à protéger sa santé, sans le forcer : la légitimité à imposer un comportement à autrui se dissout, si l’on ne peut lui permettre de devenir ce qu’il est. Il convient alors de la placer dans la perspective d’une pédagogie de la responsabilité. Car, à quoi sert la prévention ? Elle a pour but, d’une part, de permettre à chacun de préserver le plus longtemps possible ses facultés d’adaptation en réponse aux opportunités de l’existence et ses capacités de résistance face aux agressions (dans son acceptation d’intégrité physique et mentale) et, d’autre part, de réduire les menaces liées aux contraintes psychologiques, sociales ou environnementales. Cette problématique doit tout autant concilier le respect individuel et la responsabilité de chacun sur sa propre santé, son environnement et sa communauté.
La prise de conscience des enjeux de prévention est désormais partagée : il est plus facile de rechercher le juste équilibre entre l’impulsion des pouvoirs publics et les libertés individuelles. Un citoyen éduqué ne perçoit plus les injonctions comportementales comme un nouveau carcan mais comme une opportunité réelle. La prévention peut nous permettre de refonder le contrat social de notre système sanitaire, en élargissant la quête de l’égalité dans l’accès aux soins à la quête de l’égalité dans l’accès à la santé.
À ce titre, l’une des questions majeures est de savoir jusqu’où il est possible d’aller dans le cadre d’un projet de société intégrant les dimensions biomédicale, sociale et philosophique. La prévention ne doit donc pas se réduire à un hygiénisme de plus mais, tenir compte des enjeux individuels et environnementaux, économiques et sociaux. Il faut ainsi veiller à l’équité des conduites au sein d’un programme large. L’éthique de la prévention est, désormais, d’en faire un enjeu majeur de société car, elle peut en constituer un nouvel humanisme, augmentant notre niveau d’information, l’intensité de nos interactions et notre liberté. Il convient pour cela d’ancrer et de pérenniser cette démarche en l’installant au cœur des réflexions démocratiques de notre pays.
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