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L'Espace éthique s’engage avec l’Éducation nationale
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article
Être inventifs d’une éthique engagée
"Ce à quoi il importe d’être vigilant, c’est au processus contribuant à l’appropriation par chacun – de manière pluraliste, respectueuse de la singularité des expériences et des points de vue – d’une démarche attentive à la perspective éthique d’enjeux à identifier et à reconnaître pour ce qu’ils représentent et constituent avant de tenter de les investiguer et de prétendre formuler, voire imposer, des règles d’action."
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 28 juin 2016
Organisés par notre Espace éthique, les « Conversations éthiques » (8/9 juin 2016) et « L’École d’été de l’éthique » (23/24 juin) viennent de nous confirmer dans un constat qui se renforce à travers les années. La « demande éthique » est impressionnante, le besoin d’approfondir et d’échanger s’avère plus que jamais indispensable dans un contexte où s’impose une réflexion partagée. C’est ensemble qu’il convient non seulement de « penser le soin et l’accompagnement » mais plus encore d’en réinventer l’exercice en privilégiant des valeurs qu’il convient de s’approprier et d’enrichir.
L’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France prend position dès lors qu’il organise à travers l’année des réunions thématiques favorables à la transmission de savoirs, au croisement d’expériences, à la concertation si différentes sur le fond comme sur la forme des colloques ou des comités entre soi. Il est attendu dans cette mission d’ouverture et d’échanges au plus près des réalités concrètes, et compte bien aller encore de l’avant en renforçant ses initiatives au cours de l’année universitaire 2016/2017. Deux documents permettent de mieux comprendre le sens de notre démarche (disponibles à droite de cette page).
Notre résolution est forte d’accueillir plus encore dans le cadre de nos formations universitaires et d’initiatives diversifiées (notez dès à présent les « 10 heures de l’éthique » à la Bellevilloise le 10 octobre 2016) celles et ceux qui souhaitent non seulement faire vivre l’éthique mais aussi être inventif d’une éthique pour aujourd’hui à la fois incarnée et engagée.
L’engagement soignant : un acte politique essentiel à la vie démocratique
En 1995, nous avons initié une approche inédite de l’éthique appliquée, avec la création du premier l’Espace éthique en France, une instance dédiée aux pratiques du soin et de l’accompagnement. Il ne s’agissait pas tant de philosopher sur le soin que de développer une culture philosophique du soin, une conception philosophique de l’engagement soignant considéré comme un acte politique essentiel à la vie démocratique. Cette nouvelle « pensée du soin » est intervenue dans un contexte fortement marqué par les « années sida ». Que des intellectuels lui reconnaissent aujourd’hui une certaine dignité, et l’investissent comme une thématique universitaire qu’il leur revient de s’approprier, n’est pas pour me surprendre. Encore serait-il opportun de prendre le temps d’un parcours dans les lieux du soin, auprès de ceux qui soignent, ne serait-ce que pour comprendre autrement qu’en idées ce que soigner signifie.
Nous avons proposé un nouveau modèle de concertation éthique au cœur de l’institution et de la cité : il a été repris au plan national, institué par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004. L’Espace éthique que je dirige depuis sa création n’est pas un comité, un lieu qui dit l’éthique, rend des avis, évalue ou prescrit. Parfaitement inscrit dans la dynamique de la « démocratie sanitaire », il favorise l’attention portée aux questions éthiques « d’en bas », celles qui concernent les pratiques soignantes, l’exercice de compétences et de responsabilités dans un contexte fait d’incertitudes et de vulnérabilités. L’art du dialogue y est porté à un niveau d’exigence indispensable à un échange véritable. Il permet d’exprimer ce qui parfois ne se dit pas, d’approfondir les questions difficiles, celles qui trouvent difficilement audience là où les procédures, les protocoles, une certaine rationalisation du soin tenant à des critères ne serait-ce que gestionnaires, parfois indifférents aux valeurs à incarner et à préserver, prévalent trop souvent. Depuis 2014 nous sommes devenus l’Espace de réflexion éthique d’Île-de-France, rattaché à l’Agence régionale de santé.
Ce à quoi il importe d’être vigilant, c’est au processus contribuant à l’appropriation par chacun – de manière pluraliste, respectueuse de la singularité des expériences et des points de vue – d’une démarche attentive à la perspective éthique d’enjeux à identifier et à reconnaître pour ce qu’ils représentent et constituent avant de tenter de les investiguer et de prétendre formuler, voire imposer, des règles d’action.
Il nous est apparu indispensable de constituer un lieu hospitalier à cette sollicitude dans le soin et au « souci de l’autre », qui s’affirment tout d’abord sous la forme d’une exigence portant sur la confrontation des points de vue et des expériences sans viser de manière urgente ou immédiate des protocoles, des procédures, voire des prises de décision. Le temps de l’éthique a son rythme, ses propres règles. C’est admettre une inquiétude, une certaine humilité, voire une restriction dans la tentation de l’agir empressé ou compassionnel. Cela s’ajoute, certes, aux difficultés d’arbitrage déjà suffisamment complexes : on ne peut pour autant les éviter. Car c’est aussi accepter de prendre le risque de « penser autrement », parfois même d’être plus solitaire dans l’affirmation d’une conception intervenant à contre-courant, susceptible d’être refusée et contestée au sein d’une institution ou d’une équipe soumise à ses logiques internes et aux contraintes que l’on connaît. Cet engagement éthique ne se satisfait pas de conceptions par trop théoriques de principes comme le respect, la bienveillance et la justice qu’assèche souvent une rhétorique, pour ne pas dire un catéchisme, évidé de l’exigence d’une argumentation. Elle ne se contente pas de l’affichage éthique, des slogans et des résolutions incantatoires. Elle considère l’éthique comme une forme de militance au service des valeurs de la démocratie, et ne peut s’envisager que dans le cadre d’une concertation, d’une élaboration ouverte à tous, sans exclusive, visant le bien commun, mais incarnée, impliquée et fondamentalement responsable.
Préserver ce qui nous est indispensable
Il nous est apparu indispensable dans notre approche éthique d’aborder les circonstances du point de vue de leur complexité, de leur évolutivité, de l’anticipation et de l’adaptation de réponses proportionnées, plurielles, tenant compte, avant toute autre considération, de l’intérêt direct et immédiat de la personne malade, mais également, de manière conjointe, des conséquences de certaines décisions qui ont à voir avec nos représentations sociales, pour ne pas dire nos valeurs d’humanité.
Nous défendons cette idée-force d’espace voué à l’identification et à la restitution des initiatives et des expériences, à leur confrontation dans un cadre accessible à tous, sans jamais se substituer à l’exercice de responsabilités assumées par les personnes directement investies dans l’accompagnement, le soutien et le soin, à domicile ou au sein d’institutions. L’exigence méthodologique et la rigueur s’avèrent toutefois indispensables, tout autant que la composante universitaire des investigations, des travaux et des publications qui renforce leur légitimité et leur recevabilité.
Il convient de penser ensemble les dispositions et les pratiques favorables à une plus juste approche de questions à la fois intimes et complexes qui tiennent pour beaucoup aux conceptions que l’on partage des principes de dignité et de respect. C’est admettre la dimension politique, le nécessaire engagement citoyen dont il doit être tenu compte dans l’affirmation des finalités mêmes des missions dévolues à un Espace éthique comme celui que nous avons développé. Cet espace constitue ce lieu d’hospitalité, ce laboratoire où se pense le soin, permettant d’échanger en vérité, d’assumer les questions difficiles et les responsabilités exposées, de puiser si nécessaire la force de persister dans la réflexion et le courage de défendre sur le terrain les valeurs du soin, celles de notre démocratie.
Cette expérience ne pouvait que nous inciter, à la suite des attentats à Paris de janvier puis de novembre 2015, à susciter l’initiative « Valeurs de la République, du soin et de l’accompagnement[1] », ne serait-ce que pour donner à comprendre que l’acte de soin est l’une des belles expressions de la part humaine de notre démocratie, de cette vérité de la sollicitude qui se proclame avec les mots de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je rends hommage aux professionnels et membres d’associations qui, auprès des personnes malades et de leurs proches, dans le quotidien de pratiques engagées et exposées, assument une présence à l’autre et une responsabilité pour l’autre qui permettent à notre démocratie d’incarner et de vivre des valeurs indispensables.
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