Dans sa référence à la "souffrance psychique", cette loi concerne la psychiatrie et la psychose, où la notion d'"autonomie", pivot de cette loi, montre ses limites réelles. Abusivement identifiée à une maladie incurable, la psychose se définit par la coexistence paradoxale d’une carence et d’un excès d’autonomie. Le psychiatre y trouve sa raison d’être.
Cette position subjective se caractérise d’abord par un rapport passivé à l'Autre. Tout psychiatre la reconnaît dans les cas où le patient témoigne d'une expérience où il se vit comme l'objet de l'Autre - dans son expérience, il est épié, il est poursuivi, aimé, abusé, etc. L'Autre y tient le lieu de l'initiative. Lorsqu'un patient dit à son psychiatre : "c'est toi qui me suivras", "c'est toi qui m’aimeras", "qui abuseras de moi"... il reconnaît rapidement les classiques de la psychopathologie : délire de persécution, érotomanie, paranoïa… Cependant, lorsqu'un patient déclare, "tu es celui qui me tueras", il semble reconnaître plus difficilement la nature potentiellement délirante d’une telle affirmation. Au lieu de parler d'un délire, on parle de demande d'euthanasie. Une telle “demande” peut cependant être strictement homologue aux versions paranoïaques ou érotomanes d’une même position du sujet psychotique s’offrant comme objet à un Autre auquel il attribue l’initiative ; position foncière qui dénote une carence d’autonomie.
Le même psychiatre conclura aussi rapidement qu’il y a trouble si son patient passe à l'acte sur un prochain. Il parlera alors de perturbation de la réalité, de pulsions incontrôlées, de manque de mentalisation… Ces subtilités semblent disparaître lorsque quelqu'un lui demande de se faire tuer, si donc l'objet du passage-à-l'acte est le sujet lui-même. Le sujet n'est alors plus un malade, mais un acteur rationnel dont l'auto-évaluation indiquerait le chemin à suivre.
Un autre aspect qui doit inciter à la prudence dans la réception de la demande d'euthanasie est la grande vulnérabilité du sujet lorsqu’il traverse une crise, c'est-à-dire quand il s'adresse au médecin. Il est alors exposé à une hypocondrie fondamentale, à une perturbation du sentiment de la vie ou du corps, sur lequel le langage n'a qu'une prise limitée. Il peut montrer alors une tendance à l'automutilation, dans l’espoir d’une résolution de ce trop, qui signale un excès d’autonomie, par l’acte réel. L'enjeu de la thérapie est de l'éloigner de cette tendance. Le discours de l'euthanasie est un consentement à cette tendance à l'auto-amputation, à laquelle le sujet ne peut répondre - c'est le véritable cœur de sa maladie - avec les mécanismes de défense que fournissent la parole. “Dialoguer” avec le patient sur un prétendu “désir de mort” n’est pas une voie à suivre, pour la simple raison qu'il ne s'agit pas d'un “thème” à aborder, mais d'une tendance à endiguer, contre laquelle le sujet ne peut se protéger suffisamment.
L'euthanasie comme offre avant d'être demande
Les notions qui sous-tendent la loi sur l’euthanasie sont celles “d’intraitable" et de "désespoir". Le patient serait en fin de parcours thérapeutique, ne resterait que de la souffrance intraitable. Ce "désespoir" n'est pourtant pas un pronostic légitime, mais l’ingrédient essentiel de toute souffrance. Ce qui motive l’adresse au psychiatre, c'est un résidu corporel de souffrance qui n'a pas pu être résorbé dans les tentatives de guérison préalables, comme le délire, par exemple, ou une pratique particulière, dans laquelle le sujet a trouvé une certaine stabilisation. La pratique de la conversation avec le psychotique vise à maintenir ce résidu hypocondriaque suffisamment “fluide”, suffisamment vivable, en le liant quelque peu au langage, assez pour protéger le sujet du passage-à-l'acte. Le psychiatre d’aujourd’hui semble l'avoir oublié et, en un sens, ne se distingue plus du "médecin". C'est l'idée même qu'il doit ‘guérir’ plutôt que d’accompagner qui, à un moment donné, en raison de l'échec inévitable de cette mission impossible, l'amène au verdict “d’intraitable”, rejoignant ainsi le désespoir de son patient. Le pas est alors vite franchi où son inventivité, qui consiste à chercher avec son patient de nouvelles inventions autour des limites du délire ou des nouveaux usages du corps, s’échange contre un pousse-à-l’acte final.Le discours de l'euthanasie est d'abord une offre, une initiative de l'Autre, avant d'être la demande d'un sujet. La question du transfert, refusée par les partisans du "libre arbitre", est déjà pleinement présente dans leur offre même. Cette offre, comme toute offre, n'est pas neutre ; elle est habitée par un obscur désir, une suggestion. La question est de savoir comment cette suggestion est entendue par certains, dont la passion est de s’offrir à la puissance de l'Autre. Le “succès” de l'offre se greffe sur une crise du sujet, moment où le sujet est le plus fragile et vulnérable.
Le discours de l'euthanasie dit : il est beau de mourir par la main d'un autre, et de s’amputer, dans le réel, de toute souffrance. À cause de cette équivalence formelle de l'offre avec la relation spécifique que le psychotique entretient avec l'Autre, il y a le risque que le souffrant "fusionne" avec cette offre qui l’aspire. Car le discours de la “bonne mort” se greffe sur les impasses majeures de la psychose : se faire l'objet de l'Autre, ne pas disposer de moyens symboliques suffisants pour tempérer le corps. Ce discours fonctionne ainsi comme un moule prêt-à-porter qui guide le sujet vers le passage-à-l'acte. Il parle un langage auquel la psychose est sensible, transformant souvent la “demande” – qui n’est en fait qu’une soumission à une suggestion préalable – en revendication. Parler de "libre arbitre" ici est, pour le moins, déshonorant.