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Face à la réalité des suicides dans la « vraie vie », il est temps de réfléchir à la question du suicide assisté

Non, contrairement à ce que croyait cette journaliste, se suicider n’est pas facile. Ce n’est pas une liberté, c’est l’acte désespéré de celui ou celle que personne ne veut entendre avec compassion. Il est extrêmement difficile de se suicider sans imposer à ses proches, ses voisins, les passants, aux policiers qui vont constater le décès, aux opérateurs funéraires qui vont relever et transporter les corps, des visions horribles.

Par: François Michaud Nérard, Membre du Conseil national des opérations funéraires, ancien directeur général de la SEM des Services funéraires – Ville de Paris /

Publié le : 21 Juillet 2023

J’avais bondi, il y a deux ans, en entendant une journaliste réduire le débat sur la fin de vie à la seule question de l’euthanasie. Son principal argument pour écarter la question du suicide assisté était qu’après tout, si les gens veulent en finir, ils ont le droit de se suicider, ce n’est pas interdit en France.
Pour avoir dirigé pendant plus de 20 ans les Services Funéraires – Ville de Paris, la société municipale qui a notamment en charge de relever, sur réquisition de Police, les cadavres des personnes décédées de mort violente, j’aurais voulu expliquer à cette journaliste, et à tous ceux qui débattent de ce sujet tranquillement assis dans leur fauteuil, ce que peut être la réalité d’une mort par suicide lorsque le manque d’aide pousse les désespérés aux seuls expédients qui s’offrent à eux. 
Lorsque l’on n’appartient pas à une certaine élite intellectuelle et financière, impossible de se procurer des barbituriques vétérinaires, inenvisageable de pratiquer le nomadisme de la mort pour plusieurs rendez-vous dans un pays riverain permettant l’accompagnement au suicide. Ceux qui veulent vraiment mourir ne se contentent pas de quelques comprimés de Lexomil pour appeler au secours, ils veulent en finir vraiment. Sans accompagnement, ils se retrouvent à choisir entre des procédés tous plus inhumains les uns que les autres.
C’est ainsi que les personnels funéraires retrouvent les défenestrés qui s’explosent sur le trottoir au petit matin à l’heure où les enfants partent à l’école. Les pendus que leurs proches retrouvent se vidant de leurs excréments dans le grenier. Les suicidés par arme à feu dont la moitié du visage a été emportée par le tir qui a projeté sur les murs chair, sang et esquilles d’os. Les noyés que les passants vont retrouver au bord d’un canal lorsque la décomposition aura fait gonfler les viscères pour le ramener en surface. Ceux qui se sont coupé les veines dans leur bain que l’on n’arrive pas à extraire de la baignoire. Les corps déchiquetés des « accidents de voyageurs » comme les appellent pudiquement la RATP et la SNCF.
Et ne croyons pas que les suicides par des médicaments accessibles au grand public soient plus anodins. Le médicament le plus utilisé pour les suicides dans les pays du nord de l’Europe, le paracétamol, détruit le foie et provoque une longue agonie. 
Non, contrairement à ce que croyait cette journaliste, se suicider n’est pas facile. Ce n’est pas une liberté, c’est l’acte désespéré de celui ou celle que personne ne veut entendre avec compassion. Il est extrêmement difficile de se suicider sans imposer à ses proches, ses voisins, les passants, aux policiers qui vont constater le décès, aux opérateurs funéraires qui vont relever et transporter les corps, des visions horribles.
Il est indigne et inhumain, dans un pays « civilisé » de laisser les personnes désespérées en arriver à ces extrémités. 
Bien sûr, la priorité est l’accompagnement de nos concitoyens pour qu’ils puissent achever leur vie dans ce petit miracle d’humanité qu’est le système de soin palliatif. Mais il y a également des cas où les souffrances ne peuvent être réduites, où la personne – qui est encore une personne – ne veut plus continuer à subir une déliquescence qui la priverait rapidement de son statut de personne. Dans ces cas-là, il est de notre devoir de permettre à ceux qui souhaitent mettre fin à leur vie de le faire dans un cadre d’humanité. 
Je suis sûr que, s’ils savaient la réalité des suicides dans la « vraie vie », les partisans des soins palliatifs rejoindraient les partisans du suicide assisté – que l’on doit distinguer de l’euthanasie - dans un même élan d’humanité.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie