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Fin de vie en réanimation : la communication au cœur de l’expérience des familles

Des études récentes ont également montré un lien étroit entre le vécu des proches endeuillés et les pratiques de fin de vie en réanimation. Ne pas avoir fait ses adieux et avoir été présent au moment du décès sans accompagnement adéquat sont 2 facteurs liés à une augmentation du risque de développer un état de stress post-traumatique et un deuil compliqué. L’implication du patient lui-même dans le projet de soin palliatif est, au contraire, un facteur protecteur.

Par: Nancy Kentish-Barnes, AP-HP Nord, Hôpital Saint Louis, Groupe de recherche Famiréa, Service Médecine Intensive et Réanimation, Paris /

Publié le : 20 Juillet 2023

Les situations de fin de vie sont fréquentes en réanimation : 20% de décès, parmi lesquels une décision de Limitation/Arrêt des Thérapeutiques est prise dans 50 à 80% des situations. Le rôle des proches dans ces situations a considérablement évolué au cours des dernières décennies. De visiteurs passifs, ils sont progressivement devenus plus impliqués dans la prise en charge du patient. En parallèle, la recherche a permis de mieux comprendre leurs besoins et leurs difficultés et de proposer des pistes d’amélioration des pratiques.
Les proches attendent des informations honnêtes, intelligibles et adaptées. Ils valorisent une approche pluri-professionnelle et sont sensibles à la continuité -être informés par les mêmes soignants. Au-delà de la transmission d’informations, les proches insistent sur les manifestations d'empathie et d’écoute. La recherche a montré que plus les proches s'expriment lors des entretiens de fin de vie avec l’équipe, plus ils sont satisfaits de la communication. Cependant, la recherche a également montré les obstacles à une communication efficace et les nombreuses occasions manquées, comme le manque de temps consacré à la communication et à l'écoute, le manque de cohérence dans l’information apportée par les différents cliniciens, les réunions organisées uniquement lorsque les médecins le jugent nécessaire et le malaise des cliniciens face aux émotions. 
Or une mauvaise communication peut avoir des effets négatifs sur la satisfaction, la qualité des processus décisionnels et l’état psychologique des proches. Plusieurs études ont monté qu’une angoisse récurrente chez les proches est celle de l’abandon du patient en fin de vie. Une autre étude a montré que la moitié des proches ne comprennent pas les informations données. Bien que le degré d'implication des proches dans les processus décisionnels peut varier, la plupart d'entre eux souhaitent être informés, partager leur point de vue sur les valeurs et les souhaits du patient et que ces éléments soient pris en compte. La compréhension de ces éléments est également cruciale pour l’équipe pour la prise de décision. Enfin, la recherche a montré que les proches endeuillés qui sont insatisfaits de la qualité de la communication globale avec les médecins ont un risque plus élevé de développer un état de stress post-traumatique (ESPT) et un deuil compliqué. 
Des études récentes ont également montré un lien étroit entre le vécu des proches endeuillés et les pratiques de fin de vie en réanimation. Ne pas avoir fait ses adieux et avoir été présent au moment du décès sans accompagnement adéquat sont 2 facteurs liés à une augmentation du risque de développer un ESPT et un deuil compliqué. L’implication du patient lui-même dans le projet de soin palliatif est, au contraire, un facteur protecteur. En revanche, la manière de mettre en acte la décision d’arrêter la ventilation mécanique (soit en retirant d’emblée la sonde d’intubation, soit en diminuant progressivement le niveau d’assistance du respirateur) ne semble pas avoir un impact sur le vécu des proches, à condition que cet acte soit expliqué et accompagné, et que les symptômes physiques du patient soient pris en charge.
Récemment il a été montré qu’une stratégie d’amélioration de la prise charge et de la communication avec les proches en trois temps était associée à une diminution du risque de développer des symptômes d’un ESPT et de deuil compliqué 6 mois après le décès – laissant place à des pistes d’amélioration des pratiques simples et efficaces (figure).
La communication et l’accompagnement proposés dans les situations de fin de vie ne sont pas des détails, ils sont cœur de l’expérience des proches et façonnent le déroulement du processus de deuil. Une meilleure formation des soignants est nécessaire. Le temps d’information et d’écoute doit également être reconnu par l’institution comme un gage de qualité. Valoriser ces compétences et ce temps permettrait des prises en charge en fin de vie plus pertinentes et plus adaptées pour les familles.
 

Références

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A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie