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Fin de vie et éthique - Rencontre avec la Plateforme Ressource Ethique de Territoire (PRET) des Hôpitaux de Saint-Maurice

Dans cet entretien, l'équipe de la Plateforme Ressource Éthique de Territoire (PRET) des Hôpitaux de Saint-Maurice revient sur des situations cliniques, liées à la fin de vie ou à une demande de mort, pour lesquelles elle a été saisie en tant que structure d'éthique. Qu'est-ce que la réflexion éthique peut apporter dans ces situations ? À qui ? Dans quelles circonstances ?

Par: Espace éthique/IDF / Nathalie Rosso, Pédopsychiatre / Agnès Voge, Infirmière / Florence Houpin, Ergothérapeute /

Publié le : 28 Juillet 2023

Ces derniers mois, avez-vous été sollicitées en tant que structure éthique pour des situations ayant trait à la fin de vie ?

Nous avons notamment été sollicitées par une gériatre dans un service de géronto-psychiatrie. Elle se demandait si elle devait respecter le refus de soins d'une patiente avec un cancer déjà très évolué. Cette patiente souffrait terriblement mais elle refusait de prendre des antalgiques. Au moment où nous avons été saisies, elle n'était pas considérée comme étant en fin de vie.

Qu'est-ce qui, dans cette situation, pouvait faire douter la gériatre du bien-fondé de respecter le refus de la patiente ?

C'est une patiente qui présentait de gros troubles de la personnalité et dont les demandes paradoxales avaient des conséquences sur les relations entre l’équipe et le médecin, et avec sa propre fille. Dans ce contexte, la gériatre souhaitait respecter la liberté de cette patiente et son autonomie mais en même temps, constatait que l'équipe était malmenée et en souffrance. La patiente n'étant pas suffisamment soulagée sur le plan de la douleur, l'équipe avait vraiment le sentiment d'être maltraitante.

En définitive, en quoi cette situation était-elle en lien avec la fin de vie ?

Lorsque nous sommes venues discuter de cette situation dans le service, nous avons appris qu’entretemps, la patiente était décédée. La situation a donc été analysée après-coup. Nous avons donc rencontré cette équipe en grande difficulté. Le premier temps de cette rencontre a permis de libérer la parole pour que les soignants puissent exprimer cette souffrance. Le second temps a permis d’explorer avec nous les valeurs éthiques mobilisées dans cette situation. Le premier temps était indispensable préalablement à un abord éthique.
La psychiatre n’était pas présente durant ce temps d’échange et nous avons perçu une différence d’approche entre sa perception et celle de l’équipe
Pour l'équipe, le sentiment général était que la gériatre ne se rendait pas compte de la gravité de la situation, notamment parce qu’elle n'était pas là au moment des soins douloureux et de ce fait difficilement supportables pour l’équipe. La souffrance des soignants était telle que certains se posaient la question d’arrêter ce métier, estimant que ces conditions étaient trop contraires à leurs valeurs.
Selon l'équipe, il était évident que la patiente était en fin de vie et qu’à ce titre, elle aurait dû bénéficier d’une prise en charge de fin de vie... « c'est pas faute d'avoir alerté mais on n'a pas été entendus ».

Plus généralement, qu'est-ce que cette situation de refus de soins a permis de mettre en évidence et qui vous semblerait potentiellement intéressant dans les débats actuels autour de la fin de vie ?

Une des questions est celle des seuils, notamment de la fin de vie : à partir de quel moment peut-on parler de “fin de vie”.
La question des seuils se pose aussi par rapport à la prise en charge de la douleur, et notamment de son appréciation différente, entre le médecin qui prescrit les antalgiques et l'équipe qui réalise les soins infirmiers.

Probablement aussi que la patiente ne parlait pas de la même manière au médecin et à l'équipe, et sans doute qu'en plus, il y avait une fluctuation dans son refus des antalgiques. Peut-être que son refus était moins catégorique à certains moments et notamment avec l'équipe de soins.

Tout-à-fait. Son refus était fluctuant selon les moments et selon les interlocuteurs. La patiente souffrait de graves troubles psychiatriques soulignant la difficile question du discernement et de la qualification d’un refus de soin du refus de soin, et donc de l’obligation ou non de le respecter . De plus, ce type de pathologie peut aussi occasionner des clivages importants au sein des équipes.

Cette fluctuation de la volonté est fondamentale dans les débats actuels. Derrière un refus de soins ou une demande de mort, il peut y avoir quelque chose d'autre.

Oui. D'ailleurs, certains infirmiers nous ont dit : « refus ou pas, on a décidé de passer outre en sollicitant un médecin de garde susceptible de faire une autre prescription d’antalgiques ». En somme, ils ont pris sur eux de déroger pour s'engager un peu plus contre la douleur. Certes, ils ne dérogeaient pas totalement aux prescriptions, mais ils ne les respectaient pas tout à fait non plus. Pour eux, la recherche de la bienfaisance, notamment le soulagement de la douleur, était à ce moment-là supérieure au respect de l’autonomie de la patiente, d’autant que tous n’étaient pas d’accord sur la « validité »  de ce refus de soin.

Avez-vous été sollicitées sur d'autres situations de fin de vie pour lesquelles se posait également la question de savoir jusqu'où on respecte le refus de soins d'une personne ?

Oui. Une situation où un psychiatre (travaillant dans une équipe mobile qui intervient au domicile des patients) nous interpelle pour une femme d'environ 40 ans qui a perdu son mari d'une crise cardiaque. Elle n'arrive pas à se relever de ce deuil extrêmement douloureux et traumatique. Elle vivait auparavant une relation très fusionnelle avec lui. Un an après le décès, elle refuse toujours de s'alimenter, son état métabolique est très inquiétant, elle ne pese plus que 32 kilos. Et, par ailleurs, elle était d'une tristesse effroyable.
Alors, comment accompagner une personne qui appelle la mort de ses vœux, qui ne parle que de son mari et qui attend de pouvoir le rejoindre ?

La patiente avait-elle formulé une demande d'aide médicale à mourir ?

Non, elle n'avait pas le projet de se suicider mais elle attendait la mort. Elle se laissait mourir et elle espérait que ça aille le plus vite possible, mais elle n'était pas dans une demande d'un acte.

Qu'est-ce qui a pu lui être proposé en termes de thérapeutiques ?

Tous les antidépresseurs avaient été tentés. Selon la psychiatre, il n'y avait plus d'évolution thérapeutique à espérer, à moins de l'hospitaliser pour mettre en place un traitement plus incisif. Ce que la patiente avait refusé.
Donc leur dilemme était le suivant : soit on force un peu les choses mais on risque de perdre sa confiance et de ne plus pouvoir intervenir du tout, soit on attend qu'elle fasse un malaise pour l'envoyer aux urgences et qu'elle soit prise dans les mailles d'un circuit. Mais est-ce éthique d'attendre qu'elle se dégrade sur le plan somatique pour être plus interventionniste ?

Y avait-il des arguments pour l'hospitaliser sous contrainte en psychiatrie ?

Non, elle n'était ni délirante, ni confuse.

En somme, ils ont pris sur eux de déroger pour s'engager un peu plus contre la douleur. Certes, ils ne dérogeaient pas totalement aux prescriptions, mais ils ne les respectaient pas tout à fait non plus. Pour eux, la recherche de la bienfaisance, notamment le soulagement de la douleur, était à ce moment-là supérieure au respect de l’autonomie de la patiente, d’autant que tous n’étaient pas d’accord sur la « validité » de ce refus de soin


Suite à votre rencontre avec l'équipe, qu'est-ce qui a pu être décidé ?

Notre passage a probablement permis de déverrouiller le regard de l'équipe quant à son positionnement et sa place dans cette histoire. En effet, à ce stade, ils auraient déjà dû passer la main à une autre équipe (la prise en charge par cette équipe est limitée dans le temps). Or ils avaient déjà largement dépassé le délai habituel de suivi.
Ils se sont posés la question de leur investissement particulier à son égard et se sont interrogés : jusqu'à quel point on est bon en faisant beaucoup ? Là encore, la réflexion s’est située autour des limites, du soin, de ce à quoi il peut être nécessaire de renoncer.
Et au final, il y a une autre équipe qui a pu se mettre en place et les choses se sont apaisées petit à petit. Aujourd'hui, cette personne est toujours de ce monde et elle mène sa vie.

Comment qualifieriez-vous votre rôle potentiel, en tant que structure d'éthique, face à une situation où une demande d'aide médicale à mourir est formulée ?

Nous pouvons proposer un accompagnement à la réflexion, tant pour la personne demandeuse que pour le professionnel qui se retrouve dans ce circuit de l'aide médicale à mourir. On est vraiment dans cet échange qui permet aux personnes de déployer des questionnements qui n'apparaissaient pas initialement.
A ce propos, un interne en psychiatrie nous a sollicitées pour un patient ayant le projet de partir en Suisse pour un suicide assisté. Ce patient, tétraplégique suite à une chute dans les escaliers, lui demandait un certificat médical pour appuyer sa demande. L'interne s'interrogeait sur son rôle dans cette demande et il sollicitait notre aide pour y réfléchir. Même s'il était solidaire de la décision du patient qu'il estimait tout à fait entendable et respectable, il éprouvait le besoin de réfléchir avec nous.
Nous nous sommes mis à sa disposition, et nous nous sommes mis également à la disposition du patient.

Selon vous, cela pourrait-il relever du rôle routinier d'une structure d'éthique d'aider le patient à clarifier sa demande ? En imaginant qu'il y ait une évolution législative, pensez-vous que cet accompagnement à la réflexion devrait être une ressource proposée systématiquement à tous les patients demandeurs d'une aide active à mourir ?

Oui, même s'il n'en aurait pas nécessairement toujours besoin, il pourrait être envisageable de proposer au patient de rencontrer une structure d'éthique pour discuter de sa demande. De même, on peut se mettre à disposition pour des personnes qui ont envie de réfléchir à la rédaction de leurs directives anticipées.
On peut accompagner leur cheminement, les amener à se poser les questions autrement. On ne serait pas là pour dire s'ils sont éligibles ou pas, s'ils remplissent les critères, mais plutôt pour leur offrir la possibilité de réfléchir à voix haute avec des personnes qui ont un peu l'habitude de manier ces questionnements. Par exemple, lorsqu'une personne souhaite que son état ne « pèse pas sur sa famille », c'est un questionnement éthique.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie