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Génétique, politique et législation
Les tests génétiques réunissent tous les facteurs soulignants les conflits, les contradictions et donc la difficulté de tracer de nouvelles frontières à notre humanité. Ce texte d'ouverture vise par conséquent à interroger la médecine, la santé publique et la société pour tenter de mesurer l'ampleur de la tâche du législateur.
Par: Jean-François Mattei, Professeur de pédiatrie et de génétique médicale, député des Bouches-du-Rhône /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°2, Les tests génétique : grandeur et servitude. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Parmi les nombreux problèmes que doit affronter notre société dans ces temps de révolution scientifique, celui des tests génétiques est probablement l'un de ceux qui mettent le plus l'esprit dans l'inconfort d'une solution apparemment impossible. Tous les éléments sont réunis pour souligner les conflits, les contradictions et donc la difficulté de tracer de nouvelles frontières à notre humanité. On peut interroger la médecine, la santé publique et la société pour tenter de mesurer l'ampleur de la tâche du législateur.
Éclairer les définitions
L'exercice pratique de la médecine soulève un premier ensemble de difficultés. La première, et non des moindres, est de savoir exactement de quoi on parle, non seulement en pratiquant la médecine, mais aussi en écrivant le droit ! Il y a tout d'abord le simple problème de définition. Chacun peut comprendre ce que sont les analyses génétiques, stricto sensu, c'est-à-dire celles qui portent sur le patrimoine génétique véhiculé par la molécule d'ADN Il s'agit bien de l'analyse des gènes et, à condition d'éviter la référence aux techniques, tant il est vrai qu'elles évoluent très vite, médecins et législateurs peuvent s'entendre.
Pourtant, apparaît assez vite une première distinction subtile entre les tests qui vont avoir pour effet de déterminer tel ou tel caractère normal ou pathologique de la personne et dont chacun comprend l'intérêt médical, et les tests qui vont porter sur des caractéristiques individuelles relevant de l'identification de la personne quel que soit son état de santé. Dans cette deuxième situation, on parle d'empreintes génétiques. Le terme est évidemment controversé, mais de fait il s'agit bien de tests génétiques ayant pour effets d'analyser des caractères génétiques. Les médecins ont bien conscience de ce qu'ils sous-entendent par telle ou telle expression.
Il en va tout autrement du législateur qui, confronté aux exigences du droit et de son utilisation par la justice dans des circonstances éminemment différentes, ne peut se satisfaire de sous-entendus et doit d'abord poser de strictes définitions. Le problème se complique encore, dès lors que, par exemple, l'analyse du gène de la bêta globine étant un test génétique, comment comprendre alors l'électrophorèse de l'hémoglobine qui permet les mêmes résultats en pratique pour le sujet concerné ?
Autrement dit, l'analyse des protéines peut-elle être, selon les cas, considérée comme une analyse génétique, puisque les conséquences sont du même ordre au regard de la discrimination et de la sélection des personnes ?
Je ne suis pas sûr de disposer des bonnes réponses. Il faudra du temps pour clarifier les choses. Néanmoins, la parfaite cohérence sémantique des textes de référence ne me paraît pas évidente.
Enjeux individuels et collectifs
Deuxième difficulté en terme de médecine individuelle, le secret médical se trouve confronté à une situation pour le moins inédite.
La génétique est par définition une discipline qui ne peut concerner le seul individu puisque notre patrimoine génétique est commun et cela d'autant plus que les liens de parentés sont étroits. Qu'une personne exige le secret de l'analyse qui la concerne est parfaitement légitime. Le respect de cette volonté s'impose. Pourtant, si le résultat permet de soupçonner que d'autres membres de la famille sont également atteints ou porteurs, faut-il les laisser sans assistance ? Telle apparaît toute la difficulté du conseil génétique dont on constate qu'il exige parfois, à côté des connaissances biologiques et cliniques, des vertus psychologiques et diplomatiques.
Effectivement, les tests génétiques rappellent à chacun, que pour être singulier il fait néanmoins partie d'un groupe ! Je ne suis pas certain que les citoyens et les médecins aient clairement perçu la nature des enjeux, entre individualisme et solidarité.
La troisième difficulté résulte directement de la précédente. Elle concerne l'utilisation conjointe de la génétique et de la santé publique. Chacun peut comprendre les stratégies de santé publique, lorsqu'il s'agit de prévention ou de dépistage précoce permettant des thérapies curatives. Qu'en est-il, lorsqu'il s'agit de conduites dont les effets sont d'abord l'élimination, la sélection, voire la discrimination ?
Avant même que ces problèmes ne soient sous les feux de l'actualité, la génétique des populations nous avait d'acquérir des connaissances sur telle communauté juive et la maladie de Tay Sachs, sur la thalassémie et les populations méditerranéennes, pour ne citer que deux exemples. Est-il fondé, et alors dans quel but, de s'engager dans le dépistage de masse des populations définies, sans avoir par avance clairement défini les attitudes pratiques ainsi que les conséquences individuelles et collectives ?
La préoccupation philosophique n'est pas absente du débat. On le comprendra aisément en réalisant que les tests génétiques ont renouvelé le sempiternel débat entre l'inné et l'acquis. Ils ont déplacé l'opinion vers une sorte de généticisme excessif contre lequel il faut s'élever avec force. Je ne veux pas approfondir ici cet aspect qui ressort moins du législatif que les d'autres considérations. Pourtant, le législateur doit veiller à ce que chacun puisse assumer pleinement la conduite de sa vie sans se trouver enfermé dans les mailles du filet d'ADN.
Entre déterminisme et liberté, nous convenons du fait que la liberté fonde l'humanité. Dès lors, chacun a le droit de ne pas dépendre de la maladie putative avant même de développer, un jour peut-être, une pathologie. Le poids de la biologie révélée et des mots pour le dire au regard de l'avenir de chacun, constitue probablement un des aspects majeurs et difficile à cerner, qu'il convient de prendre en compte. Il s'agit, du reste, d'un des soucis que j'éprouve dans l'accès du malade, par ailleurs justifié, à l'intégralité de son dossier. On peut également douter du fait que tous les médecins en situation de manipuler de telles données, aient réellement conscience de la gravité d'une semblable menace sans traduction immédiate. Un mot intempestif peut faire basculer le cours d'une existence !
Se prémunir des discriminations
Enfin, la préoccupation plus immédiatement politique concerne la sauvegarde des Droits de l'Homme, face à l'utilisation par notre société des tests génétiques dans certains domaines. Qu'il s'agisse d'assurances, d'embauches ou de prêts, il est tentant et parfois logique — économiquement parlant — d'utiliser les tests génétiques pour évaluer un risque, améliorer un rendement ou apporter une garantie.
Interdire l'utilisation des tests génétiques à toute pratique non médicale me paraît donc une première mesure conservatoire indispensable. La dignité de l'Homme ne dépend évidemment pas de ses gènes. Toute discrimination ou sélection génétique doit être condamnée sans faiblesse. Pour autant je ne suis pas certain qu'à terme cette interdiction soit suffisante. Même si l'État interdit, comment les individus bien portants — génétiquement parlant — ne chercheraient-ils pas pour autant à profiter de leur avantage en se regroupant au terme d'un mécanisme simple de contre-sélection ? Au nom de la liberté de chacun à prétendre à l'égalité des chances, pourra-t-on priver certains de la faculté de s'organiser selon leur volonté ?
Finalement, je trouve assez fabuleux de constater que plus l'homme essaie de se singulariser, de revendiquer sa liberté et sa responsabilité, plus il se trouve face à l'autre qui s'impose avec force dans une même humanité. La génétique médicale constitue ainsi une excellente introduction à la philosophie politique, en rappelant que personne ne peut vivre seul en ignorant son prochain et qu'il ne peut y avoir de bonheur égoïste. Il s'agit, en somme, d'une simple affaire de conscience, mais combien difficile à traduire en termes législatifs et dans la pratique !
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