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Intimité, vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap
"La sexualité se construisant au cours du développement de l'être humain, il va falloir trouver des chemins de traverses, se réadapter lorsque ce développement ne suit pas celui dit classique."
Par: Élodie Flécher, Psychologue clinicienne, SAVS-SAMSAH APF 75 /
Publié le : 02 juin 2016
Réunion du réseau régional Situations de handicaps, 10 mai 2016
Attribut d’humanité
La sexualité humaine est un attribut de l’humanité, elle est en chaque être humain, elle est singulière de chaque sujet. Elle est spécifique en ceci qu’elle n’a pas comme seul objectif la reproduction de l’espèce. Elle en est même le plus souvent totalement détachée. Elle est un lien entre le corps et l’esprit, elle est une recherche de plaisir, elle est souvent une rencontre de l’autre, de l’altérité des corps et des désirs. Elle est la plupart du temps, l’expression physique, charnelle de la vie affective, de l’amour et du désir que l’on éprouve pour l’autre.
La vie sexuelle débute en même temps que la vie, dès les premières heures de vie, comme a pu le décrire Freud dans sa théorie sexuelle. Elle va commencer par s’exprimer au travers du lien à la mère, elle est alors une découverte du plaisir procurer par la sphère orale. Il s’agit pour le nourrisson au travers du rapproché de son corps et de celui de sa mère, et du plaisir physique qui en découle de débuter la construction de l’image corporelle. C’est donc en partie au travers du plaisir corporel que le petit d’homme se construit et se développe. Ces étapes de développement, ces stades oral, anal, phallique comme les décrit Freud doivent aboutir à la sexualité génitale. Le passage au travers des différents stades n’a pas comme seul objectif de construire la sexualité adulte, mais bien une construction générale de l’être humain. Il s’agit d’acquérir une image corporelle harmonieuse et complète de son corps, d’intégrer celle-ci comme soi-même. De permettre ainsi de se distinguer des autres et de leur corps.
La sexualité génitale est donc le point final de la construction sexuelle, un entonnoir de toutes les pulsions. Cette sexualité se réveille à l’adolescence, après une période de latence, période pendant laquelle le petit d’homme se détourne de son corps, pour privilégier la pensée et la réflexion autour de sa création, le fameux « comment on fait les bébés », mais aussi de la création de l’humanité, de sa fin et de son devenir.
L’arrivée de la puberté est le retour du pulsionnel, le retour des tensions entre le désir et la possibilité de leur réalisation, le retour de la frustration donc. La puberté est un processus qui s’installe dans le corps au travers des changements physiques et dans la pensée au travers des questionnements du devenir adulte. La puberté est le passage de l'enfance à l’âge adulte. Elle apporte un corps prêt à la sexualité adulte ainsi qu'un corps prêt à se reproduire, tout autant qu’une pensée prêt à s’engager dans une relation affective et sexuelle.
Cette théorie sexuelle de Freud, a été réinterrogé, revisité, voir même fortement critiquée. Elle n’en reste pas moins une théorie sexuelle fondamentale pour la compréhension de l’évolution et du développement humain, pour une compréhension psychologique, psychanalytique de la construction de la sexualité humaine.
Cette théorie nous permet d'affirmer que tout être humain est digne de sexualité, on peut le porter comme une maxime. Reconnaître la sexualité en chacun, en chaque être humain c'est reconnaître son humanité c'est penser que tout être humain ressent, éprouve au travers de son corps des sensations, des envies tout autant qu'au travers de son esprit des émotions, des attirances, des sentiments, en somme que tout être humain est doué de sexualité, même lorsque cet être est traversé par la maladie et le handicap. Le handicap qu'elle qu'il soit, ne destitue pas le sujet de sa place de sujet sexué. La situation de handicap ou de maladie va venir construire la sexualité, parfois de manière décalée, parfois la reporter dans le temps, parfois la masquer sous d'autres comportement, mais cette sexualité existe, il s'agit de la découvrir.
Rapport à l’autre
Quelles sont les problématiques majeures que pose le handicap à la sexualité.
La vie affective ne s'exprimera pas de la même manière qu'il s'agisse d'un handicap moteur acquis, d'un handicap moteur de naissance ou d'un handicap sensoriel ou psychique. La sexualité se construisant au cours du développement de l'être humain, il va falloir trouver des chemins de traverses, se réadapter lorsque ce développement ne suit pas celui dit classique.
Lorsque l'enfant atteint de handicap moteur passe par les stades de développement freudien, c'est la sexualité dans son rapport au corps qui devra être réadapté. Il s'agit pour l'enfant de vivre un corps désirant et désiré, un corps sensible possiblement porteur de plaisir, de sensations autre que douloureuses.
Le corps porteur de handicap pose aussi la question du rapport à l'autre, à l'autre dans un corps « parfait ». La vie affective et sexuelle est l'apprentissage, la confrontation du lien à l'autre, un autre non familier. Il s'agit pour le sujet de construire son lien aux autres semblables porteur de handicap, tout autant qu'aux autres différents, non handicapés. La question sexuelle est centrale de la construction du sujet adulte en tant qu' elle explore ce qu'il en est de l'image du corps, de son investissement par le sujet, de sa capacité à l'aimer, à en prendre soin, de se questionner sur le rapport aux autres, pour mieux appréhender son rapport à soi.
Comment se penser désirable lorsque le corps est vécu comme persécutant, douloureux, quand on déteste ce corps, qu'on le vit comme incapable. Lorsqu'on ne peut se vivre que comme un sujet à demi-mot, indigne d’être aimé. Comment se penser digne de sexualité quand elle ne peut être envisagée par vos parents et pas plus par vos éducateurs, vos professeurs et encore moins par le reste de la société extérieure au handicap.
Aminata a 19 ans lorsque je la rencontre, elle travaille en ESAT depuis peu, elle a une infirmité motrice cérébrale.
Elle m'est adressée par les éducateurs de son ESAT qui la trouve très déprimée, suite à un viol qu'elle a subi dans le cadre de son foyer de vie. Lors de notre premier entretien, Aminata me parle de l'audience devant le juge qui vient d'avoir lieu, Aminata ayant porté plainte grâce à l'accompagnement d'une de ses éducatrices de l'ESAT. Ni les professionnels de son foyer, ni ses parents ne l'ayant accompagnée et soutenue dans ses démarches. Elle est très choquée par cette audience et surtout par les propos du juge qui s'est montré très surprise de la possibilité physique d’être violée lorsque l'on est handicapé comme Aminata.
Cet exemple parle de lui-même de cette négation du sujet au travers de la négation de sa possibilité d'avoir comme chacun une vie sexuelle et affective, même lorsqu'elle s'exprime ici sous son aspect le plus violent et négatif.
Les personnes en situation de handicap sont beaucoup plus victimes d'agressions et de violences sexuelles que le reste de la population. Certainement du fait qu'elles soient beaucoup plus vulnérables de par leur situation de handicap, mais aussi car on ne les reconnaît pas complètement comme des sujets à part entière, respectables dans leur corps, dans leur corps sexué. Comme pour Aminata, par exemple, le handicap physique renvoyant le fantasme chez ce juge, d'un corps si peu désirable qu’il n'est plus apte à la sexualité.
En ce qui concerne le handicap psychique, mentale ou sensorielle, La tâche est plus ardue, tant l'expression du handicap prend des formes très différentes.
Dans les faits la reconnaissance d'une vie affective et sexuelle ne se pose aujourd'hui que pour les sujets atteints de troubles mentaux et psychiques profonds. La société a d'ores et déjà avancé concernant les personnes atteintes de troubles sensorielles ou de pathologie psychique. Plus personne aujourd'hui ne serait choqué d'une relation affective et sexuelle concernant des personnes atteintes de surdité ou de cécité, l'accès à la maternité et paternité est même, pour ce type de handicap, aujourd'hui proche du tout-venant. Il en va de même des personnes atteintes de pathologie psychique ne nécessitant pas d'hospitalisation longue voir permanente. Cela signifie que la société a su s'adapter, s'interroger sur les différences et les incorporer dans le sens du commun. Mais aussi que la société a su mettre en place des structures, des accompagnements spécifiques pour ces familles touchées par ces pathologies.
Il n'en va pas de même pour les sujets atteints de handicap mental ou de pathologie psychique fortement handicapante, nécessitant des accompagnements quotidiens par le biais d'hospitalisation de jour ou de vie en foyer.
Dans ce type de pathologie, la vie affective et sexuelle peut être déroutée par la question du soi et du rapport à l'autre. Le passage des différents stades freudien va se vivre différemment du fait de la pathologie mentale. La construction du soi dans la différenciation des corps au travers des stades oral, anal et phallique peut être rendu difficile, en tout cas particulier. Cela va engager un rapport à l'autre parfois difficile du fait d'une appréhension de cet autre pas tout à fait comme un sujet différent.
L'accès à sexualité génitale ne se fait parfois jamais, les sujets restant fixé à des stades plus précoces du développement. Ceci ne signifie pas qu'il n'y a pas de sexualité mais une sexualité plus archaïque. Il est primordial de la repérer pour la respecter pour ce qu'elle est et ne pas être intrusif en proposant une sexualité génitale.
La question de la frustration, c'est à dire de l'acceptation d'une restriction de ses pulsions et de ses désirs au profit d'un rapport à l'autre organisé, par le biais de sa reconnaissance dans son intégrité physique et psychique, peut être complexe du fait de l'atteinte des capacités mentales et cognitives.
La vie affective et sexuelle est pourtant bien présente chez les sujets atteints de ces pathologies. L'enjeu est de la repérer, de ne pas la nier, de ne surtout pas l'interdire. Il s'agit d'accompagner les sujets dans l’appréhension de leurs limites et de leurs capacités pour élaborer un projet de vie en cohérence avec leur être, leurs désirs, les règles et lois de la société.
Respect de la sphère privée
Benoît a 32 ans, Il a eu un grave accident de la voie publique à l’âge de 17 ans. Il souffre des séquelles d'un traumatisme crânien sévère : une atteinte frontale l'amenant à toucher l'autre, de nombreux troubles cognitifs, notamment d'importants troubles de la mémoire, des troubles de la compréhension et du jugement, des troubles de la parole, des troubles du comportement, notamment une certaine agressivité, des toc concernant l’hygiène, une difficulté à la marche lié à des séquelles d’hémiplégie, des troubles de la vision.
Il vit depuis 5 ans dans une structure de logement indépendant pour adulte cérébrolésé. Il est accueilli tous les jours au sein d'un CAJ. Il est aussi accompagné par un SAMSAH depuis 3 ans. Il est suivi en libérale tous les mois par une psychologue clinicienne spécialisé dans les lésions cérébrales. Tous ces accompagnements et le travail en commun ont permis à Benoît d'évoluer, de gagner en autonomie, même si l'accompagnement de plusieurs structures reste nécessaire.
Au cours des entretiens avec les différents professionnels du SAMSAH, Benoît va exprimer son souhait de pouvoir accéder à une vie affective. Il commence par demandé à l'ergothérapeute au moment d'une adaptation de son ordinateur, si elle peut l'aider à installer MEETIC, le fameux site de rencontre. Elle lui présente le fonctionnement et le met en alerte sur l'aspect virtuel des rencontres. Très rapidement Benoît est dépassé par les centaines de mail qu'il reçoit, il est dans l'incapacité de les traiter et d'en comprendre les subtilités. Il fait appel à son référent de structure de logement pour l'aider à mettre fin à ce site.
L'équipe du SAMSAH au travers de l'infirmière coordinatrice et de la psychologue revient vers Benoît pour reprendre avec lui les difficultés rencontrées et son désir quant à la vie affective et sexuelle. Benoît exprime clairement lors de cet entretien son souhait de vivre une vie affective, il revient sur son histoire en précisant qu'avant l'accident, c'était un beau jeune homme très apprécié des filles. Il se dit en grande difficulté aujourd'hui pour comprendre les femmes, il ne sait plus ce qu'il peut dire ou pas, il ne possède plus les codes nécessaires pour entrer dans une relation de séduction avec une femme. De plus il exprime fortement son souhait de ne pas être réduit dans ces choix de séduction aux femmes handicapées.
Benoît accepte mal sa situation de handicap et l'image physique de lui-même. Il se sent moche et ne supporte pas l'idée de faire peur. Ce qui est arrivé à plusieurs reprises, Benoît est très grand et son visage a été meurtri par l'accident. Être capable de séduire une femme sans handicap viendrait très certainement réparer son estime de soi.
L'équipe du SAMSAH propose à benoît de participer à un atelier de communication afin d'aborder le sujet de la séduction de manière pratique, il lui est aussi proposer de faire un lien avec sa psychologue clinicienne libérale pour aborder ce sujet. Benoît accepte.
Quelques mois plus tard, une synthèse concernant Benoît est appelé part l'équipe de son lieu de vie suite à une agression sexuelle commis par Benoît sur une autre résidente. Leurs relations est depuis plusieurs mois marquées par des taquineries, des provocations de part et d'autres. Le jour de l’événement, ils prennent l’ascenseur ensemble, la jeune femme lance un pic à benoît, qui répond en lui proposant de venir dans sa chambre. La jeune femme ne répond pas et benoît lui touche la poitrine, la jeune fille lui demande d’arrêter, apeurée, elle s'enfuit.
L’événement est repris par différents intervenants Benoît, dit ne pas avoir compris qu'elle n'était pas consentante, il dit aussi ne pas avoir réussit à retenir le désir qu'il a eu de la toucher. A l'issue de cette synthèse, est proposé à Benoît de rencontrer le psychiatre du SAMSAH pour aborder avec un homme, les questions de séductions et les règles concernant la sexualité. De s'entretenir avec un sexologue du centre de planification. Là encore Benoît accepte sans difficulté les propositions qui lui sont faites. Il demande de l'aide et n'exprime aucune agressivité à aborder ces sujets. Une forte culpabilité, et l'importance des troubles cognitifs rendent cependant difficile un travail de gestion des émotions.
L'accompagnement à la vie affective et sexuelle des individus en situation de handicap moteur et cognitif n'est pas un parcours simple et linéaire. Il est indispensable à l'épanouissement des personnes et de ce fait, doit faire partie de l'accompagnement des sujets en situation de handicap dans leur globalité.
Les structures d’accueil de personnes en situation de handicap mental, psychique ou encore présentant des troubles cognitifs commence à travailler avec leur usager ces questions liées à la sexualité au travers de groupe de réflexion, de collaboration avec les centres de planification dont l'une des missions est de proposer des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective. Cependant, du travail reste à faire, que penser par exemple de l'interdiction dans la majeure partie de ces structures, d’accueillir une personne à passer la nuit dans sa chambre. Quand est-il de la prescription systématique auprès des jeunes femmes de contraceptifs.
Quelles conséquences ont ces pratiques sur les sujets atteints de handicap ? On peut craindre que l'interdiction d'une sexualité au sein des établissements, augmente les risques encourus par les sujets pour avoir accès à la sexualité. N'oublions pas qu'ils sont plus vulnérables que d'autres, qu'ils sont souvent des proies idéales.
Quel impact pour notre société, pour son éthique, quand on ne respecte pas les droits au respect inconditionnel de la vie privée et du secret professionnel sous couvert de la crainte d'une grossesse chez une femme en situation de handicap mentale. N'y a-t-il pas d'autres manières d'agir en incluant le sujet dans la réflexion sur son corps, sur la maternité. N'est-ce pas finalement plus efficace de ne pas agir dans le secret ?
La maladie et le handicap n'annule pas l'existence d'une vie affective et sexuelle, même si elle prend parfois des formes déviées, détournées.
N'est-il pas de la responsabilité de la société de reconnaître l'existence de cette vie affective et sexuelle chez tous et donc de l'accompagner chez ceux de nos concitoyens rendus vulnérables par leur situation de handicap. Notre responsabilité d'intervenant du médico-social n'est-elle pas d'essayer de comprendre les formes prises par la sexualité, de ne jamais fermer les yeux sur cette sexualité, qui nous dérangerait, ou nous ferait peur.
L’éthique ne nous dicte-t-elle pas de reconnaître chez tout individus qu'il soit ou non touché par un handicap, une vie affective et sexuelle ? Celle-ci étant partie prenante de notre humanité et donc d'affirmer l'humanité de tout être humain en situation de handicap.
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