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Journal de bord de la pandémie par une personne handicapée - Jour 4

"De la fenêtre des personnes vulnérables, l’angoisse est forte et la restriction difficile à comprendre. Les informations se multiplient, le vocabulaire effraie. Les professionnels qui assurent encore un service à domicile sont inquiets pour eux-mêmes, angoissés de ne pas connaître les bons gestes et de transmettre le virus."

Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /

Publié le : 24 Mars 2020

Noémie Nauleau nous livre ici son journal de bord, témoignant du quotidien et des questions rencontrée par une personne handicapée.
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Le 19 mars 2020
Tellement de choses m’étonnent et me surprennent face à cette urgence sanitaire. Les comportements et réactions humaines sont si étranges, si surprenants. Je suis entourée de personnes très différentes. Des personnes plutôt indifférentes politiquement parlant, d’autres très engagées dans l’action pour autrui. Des personnes très éduquées, d’autres moins. Des professionnels proches du monde sanitaire travaillant pour l’accès aux soins, les droits de l’homme et la vulnérabilité. Mais face aux restrictions, tous, nous avons eu les mêmes réactions. Comme si finalement nous étions chacun invincible et intouchable. Je suis également une femme extrêmement fragile. Je travaille dans le domaine de la santé et le bien-être des personnes fragiles, pourtant je ne me suis pas sentie concernée immédiatement. Je ne risque rien, me disais-je. Je n’ai pas à me restreindre. Je n’ai pas compris suffisamment vite. Je ne voulais surtout pas me priver. L’angoisse du vide. L’inaction. L’agenda libre. Ne plus sortir. Ne plus vivre libre. Ne plus agir en fonctions de mes envies. Insupportable... Bref.
Ces derniers jours les règles se sont durcies. Le confinement a été décrété sur le territoire national. Il a donc fallu s’organiser :
Evaluer les besoins. Recruter le personnel compétent et adapter à chaque situation. Stabiliser une équipe à domicile par temps calme est un exercice extrêmement exigeant, rarement réussi. Cet exercice, au milieu d’une urgence sanitaire, en respectant la loi du travail, c’est mission impossible.
Je vois quotidiennement 3 auxiliaires de vie différentes, un infirmier, un kinésithérapeute.  Il était urgent de limiter les intervenants qui eux-mêmes interviennent chez d’autres personnes vulnérables.
Mercredi 25 mars après-midi, un planning d’intervention réorganisé m’a été envoyé. J’étais rassurée. Etonnée de tant d’efficacité, je dois bien l’avouer, mais soulagée.
C’est en discutant avec l’auxiliaire le soir même que j’ai compris : elle avait passé son après-midi de repos avec la responsable des plannings. Toute la réorganisation se basait sur l’expertise de cette jeune femme de 22 ans. Mais ces heures télé-travaillées seront-elles rémunérées ?
En écoutant les auxiliaires je me suis aperçue que penser le collectif était une logique bien éloignée du fonctionnement à domicile. L’auxiliaire de vie répond aux besoins d’une personne à chaque intervention. Elle est donc amenée à entrer plusieurs fois par jour dans un commerce alimentaire. Ne devrions-nous pas mieux protéger nos auxiliaires pour avoir une chance de tenir sur la durée ?
De la fenêtre des personnes vulnérables, l’angoisse est forte et la restriction difficile à comprendre. Les informations se multiplient, le vocabulaire effraie. Les professionnels qui assurent encore un service à domicile sont inquiets pour eux-mêmes, angoissés de ne pas connaître les bons gestes et de transmettre le virus. La relation duelle en proximité n’aide pas à se soustraire à cette panique qui nous envahit tour à tour de manières disparates et inégales.

Le manque de masque et de gel hydro-alcoolique est devenu sujet à polémique.

« Comment payer ce matériel avec mon Allocation Adulte Handicapé ? » me demandait une femme vivant avec une dystrophie musculaire ayant fait un Arrêt Vasculaire Cérébral. Son réseau d’aide à domicile refuse de lui procurer le matériel nécessaire, stipulant que ce n’est pas de la responsabilité du service.
Jeudi soir 19 mars 2020, pour la troisième fois depuis l’entrée en vigueur du confinement, une auxiliaire de vie est arrivée chez moi énervée et frustrée par les remarques faites lors du contrôle de police. L’auxiliaire avait son attestation et son planning pour prouver la nécessité de ses déplacements. Le policier, lui, ne voyait qu’une jeune femme faisant des ménages. Rien qui ne justifie un déplacement en période de confinement. Comment lui en vouloir ? Personne ne réalise réellement ce que font aujourd’hui les auxiliaires de vie. Savent-ils que même des gestes techniques d’aide au désencombrement des voies respiratoires sont assurés par l’auxiliaire de vie (geste vital pour les personnes qui les reçoivent) ?
Alors comment appeler à la conscience professionnelle des soignants lorsque l’on sait combien, nous tous et chacun, nous considérons ces métiers ?
« Mais enfin ma chérie, ne voudrais-tu pas tenter l’école d’infirmière ? Tu arrives à 30 ans, il te faut un vrai métier maintenant. » « Auxiliaire de vie ? N’as-tu pas d’autres ambitions dans la vie ? »
Enfin c’est en discutant avec des parents que la violence du confinement m’a frappé. Tellement d’actes, de gestes, de demandes sont à la frontière de ce qui peut être aujourd’hui assumé par les professionnels.  Tellement de besoins que des parents assumeront toutes leurs vies. Pourtant, un parent peut aujourd’hui être un danger pour son enfant fragile. Difficile pour eux de le comprendre. Difficile de l’accepter. Difficile de remettre en cause une telle interdépendance. Impossible peut-être même de s’en défaire.  
Pour clore ce jour 4 du confinement, j’adresse là un message plus personnel à mes collègues vivant avec un handicap et/ou une maladie chronique : soyez de bons patients. Faites ce que vous savez faire mieux que personne en restant chez vous. Ne laissez surtout pas votre maladie prendre quelques initiatives. Parlez-lui. Jetez-lui un sort. Priez. Mais s’il vous plaît évitez tous besoins non liés aux coronavirus pour les semaines à venir…

Concrètement :
-       L’expertise des personnes fragiles et des professionnels de terrain est la meilleure des ressources. Appuyons-nous sur elle.
-       Rien pour nous sans nous. C’est le moment de solliciter les patients-experts.
-       Valorisons nos professionnels (auxiliaires de vie, instituteurs, animateurs sociaux etc…). Nous avons besoin qu’ils se sentent fiers d’eux-mêmes et de leur mission pour continuer.
-       Protégeons nos professionnels en anticipant les besoins des personnes accompagnées.
-       Mutualisons nos besoins en courses alimentaires pour limiter les sorties de nos aidants