-
Revue de presse
Actualité de la recherche en éthique
Notre sélection des publications en bioéthique et en éthique du soin
-
Dossier
Épidémie, pandémie, éthique et société : se préparer, y répondre
Enjeux de préparation, de réponse et de prise en charge en situation d'épidémie
-
Fin de vie
Hors-série des Cahier : S’approprier les enjeux d’un débat
Un cahier spécial dans la perspective du débat national
-
cahier
Au coeur de la pandémie du coronavirus - Vivre, décider, anticiper
Cahier de l'Espace éthique/IDF consacré à la période mars/septembre 2020 de la crise du COVID
-
Réseau
Cartographie des structures d'Île-de-France
Un recensement des démarches pour permettre une mise en réseau
-
checklist
Créer et animer une structure de réflexion éthique
Un aide-mémoire à destination des animateurs et porteurs de projet d'une structure de réflexion éthique
-
magazine
Face à l'imprévisible
Parution du quatrième numéro du magazine Espace éthique
-
cahiers
Vulnérabilités psychiques - mobiliser la société contre l’exclusion
Enjeux épistémologiques, éthiques et politiques
-
TRANSMISSIONS
L'Espace éthique s’engage avec l’Éducation nationale
Diffuser la discussion éthique dans les lycées grâce à des ateliers et rencontres
texte
article
Journal de bord de pandémie : Les impacts invisibles du coronavirus
"Je crois sincèrement que c’est parce que l’on accepte et que l’on choisit de dépendre de certaines personnes et de certains outils que l’on vit des aventures incroyables. C’est parce qu’on accepte de mettre son orgueil de côté que l’on apprend que dépendre de quelqu’un peut être une richesse."
Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /
Publié le : 27 Avril 2020
Le confinement dure et le confinement risque de durer pour les personnes fragiles.
Retrouvez le Jour 1 à cette adresse
Le jour 4 à cette adresse
Le Jour 9 à cette adresse
Le 23 avril 2020
Il faut bien admettre qu’à l’annonce du confinement, je n’étais absolument pas inquiète de ma capacité à me mettre entre parenthèses. Vivant avec une lourde maladie depuis plus de trente ans, j’étais confiante. Fragile je sais l’être, prendre soin de moi je sais le faire. J’étais confinée mais en bonne santé. Je savais que j’aurais à m’adapter, qu’il y aurait des journées plus heureuses que d’autres : les émotions traversent, coulent. Les émotions dérivent.
C’était bien présomptueux de ma part, orgueilleux même. Je dois bien avouer qu’il y avait quelque chose de plaisant à constater que nous étions tous devenus égaux, tous vulnérables. Le monde prenait conscience de ce qu’était la vulnérabilité. Moi je le savais déjà et pour cette fois j’étais fière que les personnes fragiles se révèlent capables, conscientes des dangers et confiantes.
Il est fort probable que j’ai omis certains détails dans cette auto-satisfaction quelque peu illusoire: je sais mettre ma vie entre parenthèses mais je ne sais pas maintenir les parenthèses fermées sans laisser entrer des êtres aimés. Aussi fragile et malade que puisse être une personne, elle vit – je l’espère la plupart du temps - entourée, soutenue, accompagnée. Ses journées sont rythmées à la mesure des professionnels médicaux et para-médicaux qu’elle doit consulter et/ou qui interviennent régulièrement et quotidiennement. Les activités, les loisirs sont encouragés. Le travail est conseillé. Les rencontres entre gens qui s’aiment sont autorisées, elles sont attendues même, et suscitent de réels objectifs de vie. Aimer c’est un moyen d’exister – j’avoue que c’est le mien. C’est peut-être d’autant plus vrai chez des personnes vulnérables pour qui le toucher est un moyen de faire, un moyen de dire, un moyen de maintenir ces choses auxquelles elles tiennent. C’est certainement vrai aussi lorsque ce contact physique avec autrui vient compenser des gestes quotidiens, des gestes nécessaires à la vie qui participe finalement à la construction d’un lien affectif. Combien de fois ai-je entendu des personnes dépendantes me dire : « non Noémie, je ne veux pas d’une aide-technique qui me permettrait de manger seul. Je ne verrai plus personne si je deviens plus indépendant. » Évidemment cela pose de nombreuses questions sur l’information et la formation qu’il faudrait permettre à tous en vue de développer cette autonomie, « aussi petite soit-elle », comme le dirait Pascal Jacob1. Cela devrait interroger surtout cette dimension de la vie sociale et affective vers laquelle il devrait être permis d’aller car si ce confinement nous apprend une chose, c’est bien qu’être aidé, soigné et accompagné, ce n’est pas vraiment exister.
C’est parce que des personnes aiment d’autres personnes dans leurs différences qu’elles vont accepter de dépasser leurs peurs en apportant une aide physique.
Je crois sincèrement que c’est parce que l’on accepte et que l’on choisit de dépendre de certaines personnes et de certains outils que l’on vit des aventures incroyables. C’est parce qu’on accepte de mettre son orgueil de côté que l’on apprend que dépendre de quelqu’un peut être une richesse. Choisir de dépendre d’un autre, c’est également vivre plus libre, c’est expérimenter des choses que l’on n’aurait jamais vécues en restant sous le regard bienveillant d’un soignant pour qui l’unique priorité est de soigner en sécurité.
Aucune aventure possible sans interdépendance
Aujourd’hui, bon nombre de personnes vulnérables sont accompagnées à domicile, en établissements. Elles voient des professionnels quotidiennement pourtant elles se sentent bien seules. C’est une chose d’être accompagnée, c’en est une autre d’aimer et d’être aimé.
En algèbre, comme je le disais au début, on peut ouvrir les parenthèses. On peut additionner et multiplier. Dans la vie réelle, on doit désormais soustraire et diviser. Je suis nulle en mathématiques, il me semble pourtant que c’est en développant une information compréhensible, en évaluant le risque et en ouvrant à chacun le droit de décider pour lui-même en toute conscience du danger pour autrui, que nous pourrions essayer ou non de retourner dans ce monde déconfiné. Ce monde qui comporte désormais un nouvel inconnu, toujours des dangers et autant de raisons d’exister.
Il est vrai aussi que ce confinement amène de nouvelles pratiques et apporte une certaine forme d’équité. Par exemple, je participe plus facilement aux réunions. Je peux prendre mon café ou autres « apéro-vidéo » à l’improviste, avec mes proches, grâce à mon robot Jaco. Il me suffit d’anticiper l’ouverture de la bouteille qui va bien. Là où je devais organiser l’aide à domicile, réserver des billets de train, réserver l’assistance pour monter et descendre de ce train, réserver un hôtel et organiser la livraison de matériel para-médical. Là où je devais absolument tout vérifier et revérifier pour assurer ma sécurité et celle de l’auxiliaire, aujourd’hui je n’ai plus qu’à cliquer sur un téléphone vert pour être présente. Je n’ai plus non plus à m’inquiéter de recruter des professionnels pour qui il m’est impossible d’appliquer la loi du travail en vigueur : se déplacer en moins de onze heures pour intervenir lors d’un colloque parisien en venant de province, c’est mission impossible.
Et chose incroyable : je peux lever la main virtuellement pour prendre la parole pendant mes réunions. C’est extraordinaire lorsqu’on ne bouge plus ses bras depuis 15 ans !
Il ne vous aura pas échappé que je débute ce récit en vous expliquant combien le sentiment de solitude dans ce confinement m’avait échappé, et combien les personnes que l’on prétend fragiles se montrent fortes et solides.
Il semble donc évident que ce confinement, aussi difficile soit-il, révèle également des possibles infinis. J’échange très régulièrement avec beaucoup de personnes vivant toutes sortes de difficultés très différentes, et c’est également ce qu’elles disent. Elles ont plus de temps, se sentent moins obligées de s’adapter au monde, puisque le monde lui-même doit s’adapter.
Il ne vous aura pas échappé que je débute ce récit en vous expliquant combien le sentiment de solitude dans ce confinement m’avait échappé, et combien les personnes que l’on prétend fragiles se montrent fortes et solides. J’ai le sentiment que ces deux sujets sont liés, que c’est justement parce que nous savons reconnaître nos faiblesses que nous développons cette capacité à s’adapter et à innover dans des situations difficiles. Il me semble que permettre à un enfant – fragile ou non - de grandir, de s’inventer, de se construire, c’est avant tout permettre à une multitude personnes de l’entourer. C’est accepter que des parents seuls n’ont pas les réponses et que les professionnels seuls n’ont pas les clés. C’est accepter d’élargir le cercle à toutes les volontés aimantes et/ou bienveillante. C’est laisser cet enfant fragile et attendrissant devenir cet adulte fort et un peu effrayant pour la société. C’est, en temps qu’adulte fort et un peu effrayant, avoir envie, faire confiance et aller chercher les bonnes volontés pour devenir le capitaine attachant d’un monde auquel il faut sans cesse s’adapter et dans lequel chacun doit être capable de naviguer.
1 Pascal Jacob Président de l’association Handidactique qui a conçu l’enquête Handifaction pour améliorer l’accès aux soins des personnes vivant avec handicap