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Jusqu’au bout, l’exigence de liberté s’impose
Par: Roselyne Bachelot-Narquin, Ancienne Ministre de la Santé et des Sports /
Publié le : 18 Novembre 2008
Audition par la mission d’évaluation sur la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, Assemblée Nationale, 14 octobre 2008
C’est un honneur pour moi de clore la série d’auditions entamée en avril dernier dans le cadre de votre mission.
Le principe même de l’audition favorise le déploiement de problématiques complexes. Le premier effet de cette méthode de travail est de produire un questionnement, là où la logique communicationnelle imposerait plutôt d’exprimer des points de vue marqués par l’émotion et la certitude.
Il était nécessaire, en effet, de s’accorder du temps d’une réflexion sereine et éclairée.
Cependant, ce questionnement n’est pas une parenthèse spéculative. Il serait même encore trop abstrait d’affirmer que la réflexion qu’il initie doit irriguer les pratiques.
Car, c’est bien à l’épreuve des faits que ce questionnement se forge.
Car, c’est toujours en situation que se déploie cette « morale du doute » dont procède la réflexion sur la fin de vie.
L’expérience du scrupule constitue, faut-il le rappeler, l’épreuve morale par excellence, par opposition au fanatisme qui se nourrit de la certitude de bien faire. L’éthique médicale, en effet, n’est pas un corpus de vérités préétablies.
Rétifs au « prêt-à-penser » et au « prêt-à-agir », les personnels soignants, confrontés aux situations de fin de vie, savent bien qu’il ne s’agit jamais d’apporter une réponse simple à une question simple.
Il faut d’ailleurs, ici, tenir le plus grand compte des « craintes » que peuvent susciter chez les plus vulnérables les discours abstraits et parfois dogmatiques, marqués du sceau de l’idéologie.
J’éviterai donc scrupuleusement d’invoquer ici des principes formels dont l’usage peut être dévoyé, et je m’efforcerai plutôt d’examiner, à l’aune de situations concrètes, la pertinence des dispositions législatives actuellement en vigueur.
*
Le droit des malades est d’abord et avant tout un droit de la personne humaine qui doit être respectée dans sa dignité jusqu’au terme de son existence.
La « dignité perdue des personnes en fin de vie » est la notion la plus scandaleuse jamais énoncée, contrariant tout autant les exigences de la morale que les principes les plus élémentaires du droit.
La dignité ne décline pas avec nos forces. La maladie n’altère pas notre humanité, pas davantage que l’approche de la mort.
Le principe du respect dû à notre prochain ne s’effondre pas soudain quand se dégradent nos facultés.
Si la force ne fonde aucun droit, faut-il le rappeler, c’est que seule notre faiblesse oblige.
La vulnérabilité en appelle à notre conscience morale et c’est pourquoi le droit existe : pour protéger le faible sans anéantir son autonomie.
Le « droit des malades et des personnes en fin de vie », trouve ainsi son fondement dans cet impératif toujours difficile à satisfaire : reconnaître une liberté alors que la diminution de notre puissance paraît impliquer plutôt, presque mécaniquement, la tentation de la tutelle, même bien intentionnée.
Que le soin suppose toujours, en un sens, la compassion, ne permet en aucun cas de réduire la reconnaissance des droits à l’aléatoire de l’émotion et aux variations du sentiment.
Aussi est-il essentiel, au moment où tout paraît basculer, de préserver jusqu’au bout les conditions d’un colloque singulier permettant de recueillir la volonté des malades dont, concrètement, l’expression peut varier, voire se contredire, d’une heure à l’autre, en fonction, notamment, de la souffrance éprouvée.
La première des urgences consiste ici à tout faire pour qu’une personne soit libérée du tourment et de la douleur physique, en cessant de souffrir.
Il ne s’agit pas d’abréger la vie mais de tout faire pour affranchir la personne en fin de vie de la souffrance qui enferme.
La pratique palliative trouve ici l’essentiel de sa raison d’être.
Comme le savent les personnels soignants, le vrai bien d’une personne n’est pas dissociable de sa liberté concrète.
Ce n’est pas la vie qui aliène, mais d’abord et avant tout la douleur dont il faut libérer le patient.
Au stade terminal ou avancé d’une affection grave et incurable, c’est, jusqu’au bout, l’exigence de liberté qui s’impose.
Les soins palliatifs, procédant tout entier de l’éthique médicale, se déployant dans des gestes de vie, sont une assistance à la liberté.
C’est à l’aune de cette seule exigence que se structure la décision médicale, toujours difficile à prendre, toujours collégiale, jamais isolée, jamais désincarnée, jamais mécanique.
L’arrêt des traitements, par exemple, ne saurait être confondu avec la suspension des soins.
A cet égard, l’expression consacrée de « laisser mourir » n’est pas sans équivoque.
En l’opposant à l’« aide active à mourir », on laisse trop souvent entendre, très malencontreusement, qu’à l’action s’oppose le délaissement.
C’est ignorer la réalité de la pratique.
C’est méconnaître l’esprit des soins palliatifs, tout entier soutenus par une philosophie de l’effort et du dévouement.
Les soins palliatifs impliquent une présence exigeante dans l’accompagnement qui s’incarne dans le geste soignant.
La culture palliative, comme toute pratique médicale, exclut l’application stéréotypée d’une règle préformée et pré-établie.
La singularité de chaque cas, la nouveauté de chaque rencontre, interdit ainsi l’assimilation radicale de la médecine et du droit, en dépit de la soumission des pratiques aux principes établis par la loi.
Ce serait d’ailleurs une régression de concevoir, dans la suite des temps, un droit portant remède et une médecine qui rectifie.
Sans doute, les progrès du droit et l’évolution des pratiques obéissent, parce qu’ils procèdent d’une même anthropologie, à un même impératif : assurer le respect du « sujet » reconnu dans sa dignité d’être autonome, capable de se donner à lui-même ses propres fins.
Le sujet ainsi défini, sujet dont le consentement éclairé est toujours requis, est un sujet de droit, être raisonnable conçu comme tout autre. Il s’agit donc bien toujours de reconnaître une volonté universalisable et non de satisfaire telle ou telle demande privée.
Dans la pratique, l’application de cet impératif a bien des vertus, puisqu’elle permet notamment d’éviter de réduire le patient, « sujet de soins », à un consommateur de services.
Cependant, si nos dispositions juridiques nous garantissent contre « l’inhumanité » consistant à traiter une personne comme une chose, en prohibant notamment l’acharnement thérapeutique, s’ils ont permis de façonner un régime cohérent de responsabilités des professionnels soignants, ils ne sauraient à eux-seuls « humaniser » les pratiques, par la simple grâce de leur institution.
Le respect, pour s’incarner, suppose davantage encore que l’obéissance formelle à des principes. Son expression concrète implique ainsi la mise en œuvre d’un projet d’« humanité » qui confère à la fonction médicale sa dimension éthique.
Aussi est-il essentiel, pour assurer au quotidien la qualité des soins, que les praticiens, mais aussi les patients et leurs proches, aient l’occasion d’évaluer et de repenser les pratiques à l’aune de valeurs partagées, acceptables par tout autre.
L’exercice de la médecine, irréductible à la compétence technique, engage toujours, en effet, une certaine idée de l’homme que traduisent l’égard et la considération portés aux malades.
La santé n’est pas une industrie et les progrès de la médecine ne sont pas mécaniquement induits par le seul perfectionnement des moyens dont elle dispose.
Je suis donc, en ce sens, tout à fait favorable, parce que la réflexion éthique est au cœur de la culture palliative, au développement dans notre pays d’une formation éthique des personnels médicaux et soignants, formation continue aussi bien qu’initiale.
Il apparaît, en effet, indispensable d’accompagner d’un point de vue éthique le développement de la loi Léonetti, en favorisant notamment la formation des personnels.
Il est nécessaire de ne jamais perdre de vue les fondements anthropologiques de la démarche palliative qui s’est développée, dès son origine, dans une perspective résolument pluridisciplinaire, favorisant ainsi la laïcisation de la question de la mort.
Le ministère de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur devront ainsi, notamment, répondre ensemble à la question de savoir sous quelle forme envisager l’introduction d’un enseignement portant sur les questions éthiques attachées aux pratiques médicales et paramédicales.
Un certain nombre d’actions ont d’ores et déjà été proposées dans le domaine de la formation des étudiants en médecine, et elles méritent d’être soutenues.
Il est absolument indispensable de renforcer la formation des soignants, aussi bien la formation initiale que la formation continue, pour permettre d’assurer à chacun les soins les plus adaptés à sa situation clinique.
Je souhaite que les médecins et les infirmiers puissent se former ensemble, et pourquoi pas avec les psychologues et les travailleurs sociaux.
L’appartenance des professionnels à des réseaux de soins constitue sans doute un des meilleurs moyens de se préparer à répondre aux attentes spécifiques des personnes en fin de vie et de leur famille. La possibilité de partager l’information et d’échanger sur les pratiques est, à cet égard, du plus précieux secours. Ainsi, en 2006, plus d’une centaine de réseaux ont accueilli, dans toute la France, plus de 16.000 patients.
De cette large diffusion de la culture palliative dépend l’extension des bonnes pratiques. Il faut tout faire, en effet, pour que les patients et leurs proches soient en mesure de pouvoir choisir de manière éclairée, réfléchie et sécurisée, les modalités de l’accompagnement qui convient le mieux à chaque situation particulière.
L’application des dispositions existantes dépend d’abord, en effet, comme l’ont souligné avant moi bon nombre d’intervenants, de la diffusion de la culture palliative.
Il me paraît donc essentiel non seulement de mieux faire connaître la loi, mais aussi de se donner concrètement les moyens de son application.
La loi organise un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun.
Si elle proscrit, dans son article premier, l’obstination déraisonnable en reconnaissant au malade le droit de refuser ces traitements, elle rappelle aussi que l’intervention du médecin ne saurait en aucun cas avoir pour but de mettre fin à la vie du patient.
La mort peut ainsi être une conséquence mais ne saurait, sans enfreindre les fondements de l’éthique médicale, procéder d’un projet auquel le corps médical serait associé.
L’article 2 de la loi précise que le médecin est tenu de soulager les souffrances extrêmes, y compris par l’utilisation de médications très puissantes, tout en informant les malades des conséquences éventuelles de leurs choix, à savoir la mort.
Lorsque le traitement appliqué pour soulager la douleur contribue à abréger la vie d’un malade dont l’état de santé est particulièrement dégradé, alors la mort n’est qu’un effet indirect possible.
Ce qu’il est convenu d’appeler le double effet constitue une réponse légitime et, je voudrais le rappeler ici, recevable au regard des exigences spécifiques du soin.
L’équilibre assuré par les dispositions juridiques actuelles me paraît donc devoir être préservé.
La loi du 22 avril 2005, faut-il le rappeler est une loi récente, une loi des hommes, inscrite dans l’histoire, ce qui en fait la grandeur et la faiblesse à la fois.
Je crois, en ce sens, qu’il nous revient d’en saluer l’esprit.
La culture palliative dont je voudrais favoriser la diffusion dans notre pays, inspire, désormais, il faut le souligner, un certain nombre d’autres pays en Europe, mérite ainsi d’être mieux connue et reconnue.
Pourquoi chercher ailleurs des réponses aux questions que nous nous posons, dans des pays qui souvent, d’ailleurs, cherchent désormais à s’inspirer davantage de notre démarche, raisonnée, équilibrée, exigeante.
Il nous revient plutôt de poursuivre la perspective tracée, et d’agir, conformément aux priorités clairement fixées par le Président de la République.
Il faut s’en souvenir : le Président de la République est entré dans le monde de la santé par la porte palliative, en accordant, symboliquement, sa toute première visite à une unité de soins palliatifs.
Ainsi, je proposerai de poursuivre, en ce sens, trois grandes orientations. Il faut d’abord poursuivre le développement de l’offre de soins palliatifs à l’hôpital mais aussi en ville.
Il convient, ensuite, d’élaborer une politique de formation et de recherche ambitieuse, au service des soins palliatifs.
Il faut, enfin, travailler à l’amélioration de l’accompagnement offert aux proches.
Quand le fil qui rattache un être à la vie se fait plus tenu, la singularité et l’unicité de cet être nous apparaît dans sa lumineuse évidence. C’est alors, lorsque les soins prodigués requièrent une attention plus fine, que les besoins du patient doivent être saisis et compris dans leur globalité. Dans cette perspective, l’hospitalisation à domicile doit, bien entendu, devenir le support de développement des soins palliatifs.
Les aidants professionnels mais aussi les proches doivent bénéficier d’une plus grande reconnaissance.
Certes, la souffrance que nous éprouvons quand l’un des nôtres semble être parvenu au bout de son chemin, loin de nous isoler et de nous anéantir, nous rapproche encore, nous rend plus fraternels, et parfois redouble notre courage.
Cependant, le proche ne peut pas tout. Il ne peut pas tout tout seul. Au contraire, le proche a tôt fait de se sentir dépourvu, vulnérable à son tour, dès lors que la solitude, par anticipation redoublée, finit par épuiser ses forces. Le proche, alors, a besoin d’un secours possible à proximité.
Il faudra bien, à cet égard, que s’engage une réflexion approfondie sur les devoirs de la collectivité envers les proches. Les proches, en effet, ne sauraient être les oubliés d’une politique de santé globale et ambitieuse.
Notre détermination à améliorer le confort des patients en fin de vie, d’ores et déjà, se traduit par des efforts matériels sans précédent. Ainsi, en 5 ans, le nombre de lits identifiés de soins palliatifs est passé de 700 à 3.000. De même, on compte aujourd’hui 350 équipes mobiles, contre seulement 200 en 2002. Ces dernières complètent les réseaux qui se sont développés. J’ai d’ailleurs proposé dans le projet de loi de finance 2009 qu’une enveloppe de 34 millions d’euros soit dédiée au développement des soins palliatifs, dont 1,5 millions consacrés à la recherche clinique.
Les événements tragiques, récemment survenus, fortement médiatisés, et qui ont suscité une émotion partagée, ont ouvert un débat portant sur l’exception d’euthanasie.
Il y a des douleurs insupportables. Nul ne le nie. Nul ne peut y être insensible.
Une évolution de la loi pourrait permettre de mieux gérer ces cas exceptionnels ?
Cette question difficile a été soulevée.
La difficulté réside ici dans la définition même des exceptions, la loi ne pouvant, par destination, définir que des principes.
Ce qui est exception ressort de l’espèce, non du genre.
Ainsi, instituer une loi qui fixerait par avance l’exception, c’est bien courir le risque que la loi manque son but.
Produire une telle loi est d’ailleurs incompatible avec l’idée même de loi. Comment la loi pourrait-elle, en effet, définir dans leur singularité radicale, irréductible à toute anticipation abstraite, les cas exceptionnels ?
A supposer qu’on soit capable de rédiger une telle loi, les médecins auront toujours à trancher, dans chaque cas singulier soumis à leur appréciation.
En cela, d’ailleurs réside la noblesse et les servitudes propres au difficile exercice de la médecine qui est toujours l’épreuve d’un cas de conscience, dans des situations exceptionnelles où l’humanité doit prévaloir.
Comment songer, par ailleurs, à installer une commission chargée de délivrer, dans des cas exceptionnels, des autorisations non prévues par la loi ? Qui pourrait légitimement y siéger ? Quelle sorte d’autorité pourrait se substituer au médecin, chargé en conscience de décider ? Permettez-moi de m’interroger ! Permettez-moi, enfin, de rappeler cette évidence : il faut laisser au droit, récemment établi, le temps d’irriguer la pratique.
Un médecin ne doit jamais craindre ni de faire cesser une thérapie déraisonnable (art 17 du code déontologie).
Il doit encore trancher en conscience quand tous les moyens ont été épuisés pour contenir la douleur. Mais tout doit être fait, c’est d’ailleurs le but ultime de la science, pour soigner mais aussi apaiser la souffrance.
Tel est le but consubstantiellement attaché à l’éthique médicale, la finalité qui détermine les progrès de la recherche. Ces progrès sont imprévisibles et porteurs d’espoir pour les patients. Cet espoir nourrit les chercheurs eux-mêmes qui partagent avec les personnels soignants une même éthique de la vie.
C’est cette éthique de la vie, soucieuse de respecter jusqu’au bout la liberté du sujet, qui structure mon engagement en faveur des soins palliatifs.
La vie d’autrui, en effet, n’est à la disposition de personne.
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