Amener les gens à s’intéresser à ces questions, c’est le but de Marc Elsberg, auteur connu pour ses best-sellers internationaux. Son livre Evolution, thriller d’anticipation technologique, aborde l’amélioration génétique : « Je pense que l’important, c’est que les gens prennent conscience que ces possibilités sont à notre porte maintenant, et que nous devons être mieux informés sur le sujet, avoir une discussion plus sophistiquée que ce que nous avons actuellement ». Mais la fiction, surtout lorsqu’elle est dystopique, peut également faire peur.
Une responsabilité pour les auteurs ?
Les auteurs ou réalisateurs participent à orienter le débat. Avec des œuvres peu crédibles scientifiquement, leur travail risque d’entrainer une désinformation. « Les créateurs de fiction ont la responsabilité de s'assurer qu'ils fournissent de bons exemples, de bons récits » explique Sarah Chan, « qu'ils ne déforment pas la science, qu'ils ne caricaturent pas les questions éthiques ». Cette responsabilité, Marc Elsberg en a conscience « Ce que j'essaie de faire ce n'est pas d'orienter les gens dans une certaine direction, mais de leur présenter les faits, et les gens peuvent alors construire leur propre opinion. »Sarah Chan approuve cette démarche. Elle utilise des œuvres de fiction, comme Bienvenue à Gattaca, dans ses cours de bioéthique. Mais d’autres lui paraissent beaucoup moins pertinente : « Je dirai que les bonnes [œuvres de fiction, pour les utiliser en bioéthique] posent beaucoup de questions, ne vous donnent pas nécessairement les réponses. Les mauvaises ont une réponse en tête et ne vous posent pas la question ». Elle nuance toutefois en disant qu’une œuvre de fiction apportant une réponse, ou une piste avec un raisonnement logique détaillé, serait intéressante du point de vue de la réflexion bioéthique. L’aspect problématique n’est donc pas tant le fait qu’une œuvre de fiction ait une thèse précise, mais davantage que celle-ci soit amenée sans réflexion, en jouant uniquement sur des mécanismes émotionnels. De plus, une œuvre de fiction de qualité peut présenter une thèse forte et tranchée. Mais si le raisonnement qui mène à cette thèse n’est pas détaillé dans l’œuvre, il devra faire l’objet d’une explicitation et d’un travail de réflexion dans le cadre un débat bioéthique, plutôt que d’être utilisé comme un argument définitif. Gardons-nous d’utiliser les œuvres de fiction comme un argument d’autorité.
Il existe donc deux critères pour l’utilisation pertinente d’une référence à la fiction : la qualité de l’œuvre en elle-même – qualité scientifique, qualité des questions qu’elle pose ou de la thèse qu’elle expose et qualité narrative – et la manière dont l’auteur ou l’orateur utilise l’œuvre dans son discours pour construire son argumentation et sa démarche de réflexion. Auteurs et lecteurs, construisons ensemble une oeuvre ouverte… sur le dialogue.