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La médecine envahie par la technologie
Au-delà de l'éthique, la bioéthique s'interroge sur la crainte que les découvertes révolutionnaires de la biologie moderne ne conduisent à une sorte de " Hiroshima cellulaire ", s'attaquant à l'individu pour le transformer pour altérer la forme humaine dont nous avons reçu l'héritage. Notre monde, dominé par la rationalité techno-scientifique est en droit de s'interroger sur la démesure humaine qui suscite un intarissable élan vers un monde moderne que l'on croit meilleur malgré une belle série de catastrophes.
Par: Herbert Geschwind, Professeur, cardiologue, département d'enseignement et de recherche en éthique médicale, Faculté de médecine, Université de Paris XII Val-de-Marne - Créteil /
Publié le : 19 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Eléments pour un débat, Espace éthique 2001
Prométhée déchaîné
Dans son livre, " Prométhée, Faust, Frankenstein ", le philosophe Dominique Lecourt fait référence à Hans Jonas, qui écrit dans son essai Le Principe Responsabilité : " Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues (...) réclame une éthique (...) qui empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès le plus grand défi pour l'être humain que son faire ait jamais entraîné. " L'avatar contemporain de Prométhée, pense Jean-Jacques Salomon (Le destin technologique), est le chercheur, le scientifique, l'ingénieur, le technicien dont les travaux sont voués au sein des laboratoires à multiplier les découvertes et les innovations. Ce Prométhée est plus dynamique que jamais, et tellement mieux armé qu'aux débuts de l'industrialisation pour exercer son génie inventif. Mais " (…) le champ de ses activités est désormais borné. Prométhée doit compter avec la résistance des choses, de la matière, de la nature et avec celle de l'homme, des institutions, des sociétés. La science est prise à ses propres pièges, et nul ne peut céder à l'ivresse des utopies du progrès sans savoir quel en est le coût ".
Auparavant, Heidegger avait posé la question de la technique qui met l'existant à disposition de l'entreprise humaine visant à dominer la nature, démarche qui, portée à son extrême, menace la planète d'une dévastation totale. Et voilà qu'apparaît sous la plume de Goethe une figure légendaire de la littérature populaire allemande, le docteur Faustus, qui avait tiré ses pouvoirs extraordinaires d'un pacte avec le diable. Il surimposait son visage tourmenté par une éternelle insatisfaction, à la face puissante de l'indomptable Titan longtemps rivé, pour sa punition, à son rocher. Ce Faust, homme Dieu entre le Moyen Age et l'humanisme, comme le décrit Thomas Mann, se donne au Diable par une soif insolente de connaissance et de pouvoirs magiques. Comme le conte de l'apprenti sorcier, ou le mythe du Golem créé à partir d'une poussière sans vie au XVIe siècle, le monstre du docteur Frankenstein rappelle la difficulté de rétablir la situation quand une création destinée à être bénéfique se révèle au contraire destructrice.
L'homme menacé
Au-delà de l'éthique, la bioéthique s'interroge sur la crainte que les découvertes révolutionnaires de la biologie moderne ne conduisent à une sorte de " Hiroshima cellulaire ", s'attaquant à l'individu pour le transformer pour altérer la forme humaine dont nous avons reçu l'héritage. Notre monde, dominé par la rationalité techno-scientifique est en droit de s'interroger sur la démesure humaine qui suscite un intarissable élan vers un monde moderne que l'on croit meilleur malgré une belle série de catastrophes. Plus récemment, le Pape Jean Paul Il dénonce les menaces qui pèsent sur la vie humaine et attentent à sa dignité, comme la contraception, l'avortement, la procréation médicalement assistée ou l'euthanasie.
Ce comportement médico-technique est ainsi mis en cause parce qu'il favorise une sorte d'attitude prométhéenne de l'homme, qui croit pouvoir s'ériger en maître de la vie et de la mort parce qu'il en décide, tandis qu'en réalité, selon le Pape, il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. Jean-Paul II se demande si les possibilités ouvertes par les sciences biologiques, ne mettent pas en péril tout l'édifice des croyances et pratiques qui, autour de l'énigme de la naissance et de la crainte de la mort, ont organisé les rapports imaginaires de l'homme occidental. Tout compte fait, le véritable Prométhée moderne pourrait être celui qui oserait s'interroger davantage sur la nature du mal, que sur la perspective du bien.
Les paradigmes de la science
On rejoint ainsi le travail fondamental de l'éthique médicale : l'évaluation exacte du rapport risque-bénéfice pour le malade et la société, surtout quand interviennent des technologies innovantes. Dans " La quête incertaine, science, technologie, développement ", le même J.-J. Salomon affirme que le développement est une quête incertaine, dont l'un des instruments majeurs est le recours à la science et à la technologie. Cette quête est incertaine parce que la partie n'est pas gagnée d'avance, et qu'elle met en jeu le prix de la modernité et les avantages économiques, sociaux, culturels contre les sacrifices à consentir.
Le développement ne laisse pas intactes les structures sociales sur lesquelles il porte. Il ne touche pas toujours aux leviers du changement qui affectent, dans le sens du mieux, ce qu'il transforme. En dépit des promesses du rationalisme des Lumières et du positivisme du siècle dernier, le progrès scientifique et technique ne coïncide pas nécessairement avec le progrès social et moral. Est-ce parce que science et technique, quel que soit leur objet — et cela est encore plus valable dans le domaine de la santé qui passe par l'instrumentalisation de la médecine —, reposent sur le paradigme d'une communauté scientifique qui obéit à l'ensemble des traits communs partagés par ses membres, et dont ils tirent leur identité ? Quel est le biais induit par ces caractéristiques composées d'une série d'éléments cognitifs, techniques, socioprofessionnels et symboliques communs au groupe qui a reçu pour mission d'aller constamment de l'avant pour le plus grand bénéfice escompté de la santé et
du bien être ?
Image contre regard
Il en est ainsi du recours à l'imagerie dans le domaine de la médecine. Exceptionnels sont aujourd'hui les diagnostics établis sans le recours à l'image, seule garante, aux yeux de la nouvelle médecine, de la vérité et de la réalité. D'où le recul irréversible des autres méthodes d'approche diagnostique d'autrefois : le " colloque singulier ", cette relation orale médecin/malade, d'où sont tirés l' "interrogatoire” sur les symptômes et l'anamnèse ou histoire de la maladie. Il s'agit aussi du simple regard du médecin, l' “inspection”, du toucher ou “palpation” et “percussion”, de l'écoute ou “auscultation” (souvent interprétée à tort comme examen alors que sont utilisés dans cette approche l'oreille et le stéthoscope). Mais en même temps, l'imagerie s'est développée, perfectionnée, diversifiée par la multiplication de ses supports, la précision de sa définition pour explorer non plus la structure seule, mais aussi la fonction. Une médecine instrumentale remplace le travail de
personnes avec d'autres personnes, celui d'une " médecine lente " avec ses composantes : l'accueil, l'écoute de l'autre, le temps passé avec lui. Son noyau dur reste ce contact entre un malade et un soignant, une relation complexe entre deux personnes, assortie d'une action directe sur un corps malade.
Elle comporte assurément la force du regard. Pas seulement celui, froid, du technicien, pour en tirer une image uniquement exploitable pour la préparation du geste technique approprié. Mais celui de l'humaniste qui croise le visage de l'autre, de celui qui est là et dont il est responsable. De ce concept du regard (Levinas), Michel Foucault dit que, pour le médecin, " il prend la forme du regard clinique qui opère sous un champ ouvert, et agit par l'ordre successif de la lecture. Il enregistre et totalise ". Au-delà de l'oreille tendue vers un langage, cet œil clinique joue le rôle de l'index qui palpe les profondeurs. L'expérience clinique, faite de ces multiples relevés, " peut explorer l'espace tangible du corps, masse opaque où se cachent d'invisibles lésions ". Foucault ajoute que le regard médical qui intègre la trinité vue-toucher-audition, définit une configuration projetable virtuellement sur les organes dispersés du cadavre. Le triomphe du regard sera l'autopsie par laquelle la médecine accède à la " présence lumineuse du visible ", en déterminant la forme, la grandeur, la position et la direction des organes (Xavier Bichat, 1798). L'exploration perceptive est dessinée par le plan clair d'une visibilité au moins virtuelle. " C'est une image qu'ils se peignent " dit encore Bichat en parlant des anatomistes.
Nous voici déjà confrontés à la première référence à l'imagerie virtuelle, celle qui apparaîtra deux siècles plus tard avec le support numérique capable de traiter toutes les images tirées des investigations médicales et des interventions thérapeutiques pratiquées sous son contrôle. Celles obtenues à partir d'une vision simple sous endoscopie qui, par les fibres optiques du diamètre d'un cheveu, recueille les vues les plus éloignées dans les bronches, la vessie, l'estomac, les artères, jusqu'aux représentations fonctionnelles par résonance magnétique ou scintigraphie de la contraction cardiaque, bientôt de l'activité cérébrale. Pourra-t-on parler alors d'une illustration de la pensée ?
Quel est le prix à payer pour ces images, identiques à celles que les magazines s'arrachent à prix d'or ? Le prix ici n'est plus imputé aux voyeurs, lecteurs prédateurs affamés de sensationnel et de morbide, mais au patient qui subit les contraintes (douleur, patience, risque d'anesthésie) et à la société qui en supporte le coût. Pour le bénéfice de la médecine et de la connaissance scientifique, qui est ainsi en mesure de démonter des mécanismes physiopathologiques, de comprendre des processus, de prélever des tissus vivants autrefois accessibles seulement après la mort ?
Au-delà, il s'agit d'une possibilité désormais offerte de diagnostics précis et d'incursion dans l'avenir par le pronostic de telle ou telle tumeur, dont l'analyse histologique révèle l'extension, la gravité, les potentialités évolutives. Ce tableau est le garant d'une prévention précoce, potentiellement plus efficace. Le savoir se développe selon tout un jeu d'enveloppes, dit encore Foucault, que les anatomistes ont la tache de rendre transparent. Et d'ajouter : " Ce qui cache le rideau de nuit sur la vérité c'est la vie. La mort, au contraire, ouvre à la lumière du jour le noir coffre des corps. "
Les méthodes modernes inversent les rôles, par l'exploration du corps vivant en activité, et en révèlent les constituants bien avant que la mort permette de le disséquer, d'en analyser les structures physiques et chimiques.
Trafic d'images
Le questionnement éthique se penche sur l'évaluation du prix du renseignement, du bénéfice qu'en tire le malade, les autres patients atteints de la même pathologie, et la société. Il s'agit aussi d'évaluer l'image à sa valeur réelle, à son importance stratégique, tant est grand son impact actuel sur la société. Il l'est encore plus quand on passe de la photographie statique à l'image animée qui délivre le certificat d'authenticité type. La preuve par l'image annule les discours et les pouvoirs. Chimique ou magnétique, l'image incarne désormais l'autorité suprême, le réel. Cependant, par la manière de les enregistrer, de les sélectionner, de les retenir parmi mille autres possibles, elles acquièrent une subjectivité qui peut nous entraîner à lui obéir.
Montrer un document, une couleur, une forme, c'est faire exister l'objet de l'étude. Choisir de ne pas le montrer, relève du domaine de l'anéantissement. La projection en grand format, la mise en relief de documents en gros plan, l'arbitraire de montrer de loin ou de près, soulignent des données, en atténuent d'autres, ce qui oriente la prise de décision et risque de la diriger vers une fausse route. Devant la console de visualisation, on pense que tout a été dit, expliqué et compris. On n'oppose plus valablement un discours à une image.
Une visibilité ne se réfute pas par des arguments. Grande est la tentation de statuer définitivement sur les seules images. Le médecin, " l'imageur " — radiologue, physicien, échographiste, endoscopiste —, reçoit comme implacable et naturel ce qui est artificiel, sinon construit par ses propres dispositifs. L'image divinisée et mythifiée n'est plus la conscience d'un médecin, d'un citoyen, mais une machinerie socio-technique. Elle redouble l'autorité de l'événement par un terrorisme de l'évidence.
Après l'ère des microscopes et des rayons X, voici venue celle de la résonance magnétique, de la scintigraphie, de la tomographie à émission de positons, qui permettent d'accroître notre maîtrise des distances, des organes et de leurs maladies, en nous offrant une traduction virtuelle des constructions et des modèles théoriques. Les nouveaux instruments diagnostiques ouvrent l'accès aux images recueillies dans les tissus, les cellules ou les neurones. Il n'est plus utopique d'envisager que l'image d'un objet mental apparaisse un jour sur l'écran. La " citation iconographique ", particulièrement prégnante en médecine, se place désormais au premier rang des justificatifs, à côté — derrière, devrait-on dire —, de la citation textuelle. Elle nécessite un réseau de travaux conjoints à travers les nouveaux outils que sont le CD Rom, la vidéo, pour débusquer derrière elle sa puissance magique.
Le rapport à l'image n'est souvent pas de raison car, immanente et parfaite, elle fascine
L'apparence risque de jouer un rôle plus important que la réalité. Les foules pensant souvent par images, se laissent impressionner par celles qui les terrifient ou les séduisent. Prenons garde qu'il n'en soit de même dans un staff médico-chirurgical que fréquentent de jeunes étudiants ou internes encore naïfs, enthousiasmés par la science nouvelle qu'ils viennent de découvrir, et qu'ils sont prêts à adopter sans critique. Quel est alors le poids d'une muqueuse gastrique ulcérée grossie mille fois, ou d'une plaque d'athérome hémorragique " zoomée ", projetée sur grand écran, face à une éventuelle discrétion des symptômes, une moindre anomalie des signes associés, et les examens biologiques ?
Avant d'affûter les bistouris, de programmer les robots de demain, d'introduire les sondes pour déboucher, les endoprothèses pour reconstituer, ne convient-il pas de confronter l'image des lésions avec leurs conséquences mesurables et sensibles sur l'organe, sa fonction, et au-delà sur celles du corps humain ? Nos rapports avec le visible et l'invisible demeurent d'échange. Pour extraire de l'image son signifiant, il nous faut retrouver le pouvoir de voir, l'implication du regard, l'éveil, la curiosité, la capacité de l'analyse et du décryptage.
Responsable ou coupable ?
Ce discours a son application. Il concerne la décision médicale. Celle du choix de la technique et de l'option entre une intervention a minima qui touche peu l'évolution naturelle, et un acte traumatisant qui bouleverse et désorganise ou accélère l'entropie, ne serait-ce que par le recours à une méthode génétique encore mal assurée. De cette décision, nous portons la responsabilité.
Dans ce débat, grande est la crainte des ravages du progrès technologique, d'une panique devant la lourdeur et les conséquences du choix d'un acte, qui a prise sur la fragilité et la vulnérabilité du malade. Cette " assignation à responsabilité " nous oblige à garantir la survie d'un être malade, plongé dans le devenir, livré au caractère périssable, et menacé de périr. La situation du médecin constitue l'archétype de l'agir humain dans l'irréversibilité et l'imprévisibilité des processus déclenchés. " L'agir technologique " est d'autant plus irréversible que la dynamique de l'évolution technique est cumulative, que les projections d'avenir sont incertaines, et qu'elles allongent le temps d'action, donc celui de l'observation, de la crainte ou de l'espoir du devenir de l'autre.
Un problème de santé publique ?
Ces considérations ne sont pas inutiles, pour qui souhaite s'interroger sur la relation entre l'équipe soignante et son patient, et ses conséquences sur la santé publique. Nous voulons parler surtout de celle qui régit les rapports dans un système de solidarité. C'est alors que l'évaluation de la balance bénéfice-risque et coût-bénéfice prend tout son sens. Un CCPPRB (comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale) a été saisi récemment d'un dossier concernant l'utilisation d'une technologie de diagnostique très sophistiquée, pour évaluer la gravité d'une atteinte tumorale et en détecter l'existence à un stade précoce. Le projet de recherche paraissait pertinent car la prévention précoce permettait d'en augmenter l'efficacité. Le protocole a été vigoureusement discuté car le nombre d'appareils destinés à pratiquer l'examen est faible en France (parce qu'ils sont chers), et est susceptible de se multiplier en raison de l'intérêt qu'ils suscitent, tant au niveau du corps médical que des patients. Les dépenses engendrées par leur acquisition dans de nombreuses institutions retentiraient sur le budget global de la santé. Les membres du comité se sont demandés si un tel appareillage était indispensable alors que, jusqu'à maintenant, les équipes avaient pu s'en passer. Sa disponibilité restreinte permettrait à certains privilégiés d'en bénéficier à l'étranger, alors que les autres n'y auraient pas accès en France. Cette situation risquait de générer une médecine à deux vitesses.
Il s'agit bien ici d'une situation où une technologie de pointe, coûteuse et peu disponible encore, pose les problèmes de son utilisation, de sa dispersion, de sa disponibilité, des avantages et frustrations qu'elle engendre, et du déséquilibre qu'elle introduit dans la société.
Or, la demande — celle des soignants et chercheurs, comme celle des patients — est forte. Elle est soumise à l'évolution rapide des techniques, et à leur accessibilité aux utilisateurs. Elles s'appliquent facilement et de façon fiable, sont produites en grande série et perfectionnées en permanence. Cette innovation continue, raccourcit d'autant le délai entre l'apparition du produit et son utilisation. La science exerce une attraction grandissante sur le corps médical. Dans leur profil de carrière, les médecins sont invités à innover et à publier.
L'industrie les presse d'étudier, d'évaluer puis d'utiliser sur une grande échelle les nouveaux produits, car les investissements coûtent cher et les sociétés sont soucieuses d'un retour sur investissement rapide. Le grand public, constamment alerté par les médias, discerne difficilement ce qui est établi de ce qui n'est qu'au stade expérimental, et requiert des preuves d'efficacité et de sécurité.
L'utilisation de la nouvelle technologie médicale est de ce fait encore peu rationalisée. Il est dès lors difficile d'en déterminer la place dans l'arsenal diagnostique et thérapeutique, comme complément ou substitut des techniques conventionnelles. D'un autre côté, pour qui cherche à protéger l'homme contre les risques d'innovations précipitées, le devoir est de concevoir que tout ce qui est techniquement possible ne doit pas nécessairement être réalisé, et que l'évaluation méticuleuse doit précéder l'application intempestive.
Le cycle de la technologie
La technologie est à la fois un produit culturel et un producteur de culture. Un nouveau savoir induit une redéfinition des pratiques telle, qu'elles peuvent assigner de nouveaux buts à une intervention, justifier la détection de désordres chez un sujet apparemment sain, pour prévenir leur survenue et modifier le comportement envers les patients, les confrères, les autorités sanitaires.
La technologie a un cycle de vie qui lui est propre. Après son évaluation et son acceptation par les professionnels et le public, les indications s'élargissent en modifiant ou en rendant plus flottante la démarcation entre normal et pathologique, entre non médical et médical.
C'est ce qui s'est produit pour la définition de la mort à mesure que progressaient les techniques de réanimation, et qu'elles permettaient de maintenir en vie même quand survenait la mort cérébrale.
La technologie envahissante modifie le rapport millénaire du médecin et de son malade. Elle sonde l'intimité du patient jusqu'à l'impudeur. Par là, elle raccourcit la distance entre examiné et examinateur. Elle instrumentalise leur relation en interposant un écran qui occulte l'empathie. Pour ces raisons, nous devons d'autant plus la vérité, l'authenticité, le respect de la dignité à un être humain vulnérable. C'est la condition absolue pour ne pas l'instrumentaliser à son tour.
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