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« La mort peut attendre »
"Le médecin ne se trompe jamais en s’engageant dans cette voie. Dans tous les cas, soulager est un impératif non négociable. On soigne."
Par: Maurice Mimoun, Service de chirurgie plastique reconstructrice, hôpital Saint-Antoine, AP-HP /
Publié le : 03 Février 2015
Pour ou contre l’euthanasie ? La question n’a pas de sens, elle n’a pas lieu d’être. On oppose arrêt des soins et euthanasie. Un piège ! Il ne doit jamais y avoir d’arrêt des soins. Un patient veut toujours être soulagé, quel que soit le risque. Le médecin ne se trompe jamais en s’engageant dans cette voie. Dans tous les cas, soulager est un impératif non négociable. On soigne.
La mort a cette particularité de pouvoir attirer comme un aimant le médecin comme le patient. Il ne faut pas se laisser entraîner.
Il ne faut pas légaliser la mort.
« Jean-Michel, mon ami, sa condition dépassera tout. Ininventable. De quoi bouleverser tous mes principes. La belle théorie, à l’eau. Jean-Michel est un copain. Pourquoi lui ? Pourquoi un copain ? On n’est pas habitué à la mort d’un copain de quarante ans. On ne nous enseigne pas la mort, on n’est pas même formé aux gens malades. On apprend les maladies, c’est tout. Le reste, on s’en imprègne peu à peu, comme on peut, si on veut. La mort en médecine fait peur. On ne l’explique pas. Pas les gens morts. De cela, on en parle tout le temps : les macchabées, les amphithéâtres, les autopsies, les premières dissections, la trouille, l’écœurement, les blagues salaces de salle de garde. Aucun enjeu, ils sont morts ; il n’y a plus rien à changer, à décider. Les gens morts, facile, juste une question d’habitude. Mais la mort, ce n’est pas pareil, c’est encore la vie : un élan, un mouvement, un souffle. D’ailleurs, on dit ‹ après la mort ›, c’est bien que la mort n’est pas la fin. Après, ça n’a pas de nom.
Un raisonnement, c’est cela, ça rassure. Un raisonnement. […] »
« Samedi matin, le menton de Jean-Michel brillait : le cancer envahissait-il l’autre côté ? Si c’est le cas, plus de solution. Foutu !
J’amorce une conversation où je n’ai rien à lui dire de particulier, juste que je suis là.
Éprouvant pour moi, je n’ose imaginer pour lui. En bouchant sa trachéo, il arrive à émettre des sons que je décrypte tant bien que mal. Quand je n’y arrive pas, il prend sa tablette, son écriture chevrotant comme son résidu de voix. À vrai dire, j’ai autant de mal à comprendre ce qu’il tente de dire qu’à le déchiffrer, ce qui m’oblige à lui demander de réécrire en majuscules. Maintenant, il inscrit spontanément les mots cruciaux en capitales comme s’il haussait le ton ou s’il articulait.
Un J, un E, un V, un E, un U, un X, un M, un O, un U, un R, un I, un R.
Je lis, relis.
Pas de doute.
Les paroles s’envolent, le texte reste, sans échappatoire.
Mes yeux fixent la terrible phrase :
‹ Je veux mourir ›. »
Ces passages sont des extraits de mon dernier livre. Mon projet était d’écrire un livre sur l’euthanasie. J’avais de belles théories, des principes. La maladie de Jean-Michel est venue tout bouleverser. Le livre a changé de ton.