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La proximité et le lien humain sont les fondements même de la médecine

Ouverture du colloque « Réinventer la démocratie en santé », Espace éthique IDF, Sénat, 18 mars 2022

Par: Alain Milon, Sénateur du Vaucluse, vice-président de la commission des Affaires sociales, 1er vice-président de la délégation parlementaire au Conseil de l’Europe /

Publié le : 21 Mars 2022

La loi du 4 mars en perspective

Qui aurait pu imaginer que les questions relatives à la santé, aux droits des malades, à la démocratie sanitaire se poseraient avec une telle acuité 2 décennies après la promulgation de ce texte le 4 mars 2002 ?
Fruit d’un long processus que l’apparition du Sida a accéléré, cette loi s’articule autour de 2 principes :
  • Le consentement libre et éclairé du patient à tout acte médical qu’il soit de prévention, de diagnostic ou de traitement ;
  • Le droit du patient à être informé sur son état de santé.
Ce texte introduit une notion nouvelle : la Démocratie sanitaire qui peut se définir comme «  une organisation de la société reconnaissant le droit et la capacité de chacun de connaître, de décider et d’agir pour sa santé et la protection de la santé publique ».
Ainsi, cette démocratie sanitaire met en exergue les 2 dimensions des droits affirmés des patients :
D’une part des droits individuels du patient qui recouvrent le droit au respect de la personne, au respect des individualités, l’affirmation de l’autonomie de la personne et le droit à indemnisation en cas d’erreur médicale.
Ces droits regroupent également le libre choix du médecin que le Conseil d’Etat avait érigé en Principe général du Droit dans un arrêt de février 1998, ainsi que le droit à l’information reconnu comme principe à valeur constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 7 juillet 1994.
Le libre choix du médecin par le patient suppose, bien évidemment, d’avoir un égal accès à un médecin, aux soins et aux progrès technologiques.
Déjà en 2002, ce paramètre posait des difficultés et l’article 79 alinéa 2 qui évoque notamment la nécessité de, je cite, «  réduire les inégalités sociales et territoriales de santé » en dresse, en creux, le constat.
Hélas, au fil des ans, il n’a pas été possible d’atteindre cet objectif.
Au contraire, la situation s’est dégradée en raison d’un manque de médecins, pour des raisons diverses, et son corollaire le refus de nouveaux patients par des médecins dans l’impossibilité de pallier les carences territoriales ou de spécialité.
La désertification médicale, qui concerne aujourd’hui aussi bien les territoires ruraux que les zones urbaines, est devenue un véritable enjeu de démocratie sanitaire, mais également de démocratie politique dans la mesure où l’effectivité de ce droit- créance ne peut pas être garantie.
Les différentes lois postérieures et la mise en place du parcours de soins n’ont, jusqu’à ce jour, pas permis de résoudre cette difficile équation.
D’autre part, des droits collectifs de l’usager du service de santé reconnaissant la possibilité d’être représenté par des associations ayant la capacité d’ester en justice ainsi que par la participation à des instances régionales.
Désormais, le patient « n’obéit plus au médecin comme un serf à son seigneur » contrairement à ce que souhaitait Guy de Chauliac, père de la chirurgie médicale et médecin auprès de la papauté d’Avignon, illustre prédécesseur, vauclusien d’adoption comme moi.

Un subtil dosage entre expertise et vulgarisation

Aujourd’hui, fort heureusement, les relations médecin/malade ont bien évolué et le rapport au sachant s’est, d’une certaine façon, rééquilibré. L’objectif de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé de 2002 visait d’ailleurs à substituer au «  patient sujet passif » «  un patient acteur de sa santé, codécideur ». Le médecin propose, le malade décide.
Toutefois, si cette évolution est un progrès, ce que je crois sincèrement, elle soulève aussi certaines questions dans une société hyper médiatisée, où les sources d’informations sont multiples et les réseaux sociaux omniprésents.
Cette multiplication des moyens de communication ne permet pas toujours la diffusion d’informations fiables scientifiquement et laisse place parfois à des analyses pour le moins tendancieuses, si elles ne sont pas tout simplement « complotistes ».
Ces media participent à une certaine vulgate et à la construction de l’opinion publique.
En matière de santé, comme en d’autres domaines qui constituent la clé de voûte de nos démocraties, nous sommes confrontés au subtil dosage entre expertise et vulgarisation.
Comment endiguer le phénomène de défiance voire de méfiance à l’égard des « experts » dont la parole est parfois davantage mise en doute que celle du profane.
La crise du Covid et les thèses développées notamment par les opposants à la vaccination illustrent bien ce hiatus, cette fracture.
En matière de politique publique de santé, la méfiance est de mise.
En revanche, dans les rapports entre le médecin et son patient le rapport de confiance qui les lie ne semble pas altéré.
Ainsi, même si le risque de recours en justice s’est fortement accru, suite aux différentes évolutions, lorsque l’écoute, l’humanité, le respect et la recherche du consentement éclairé sont poursuivis, la relation reste forte et privilégiée.
La loi Kouchner a 20 ans.
En 20 ans nos sociétés ont fortement changé, et si le SIDA a agi, à l’époque, comme un accélérateur dans l’élaboration de la loi, la crise du Covid-19 a également mis en exergue des points d’amélioration de notre démocratie sanitaire.
Celle-ci a été soumise à rude épreuve : la gestion de la crise pandémie s’étant même traduite par un effacement complet de la place des patients dans le système de santé et de solidarité : fermeture des EHPAD, gestion des restrictions à l’hôpital, déprogrammation…
De nombreux domaines qui auraient dû constituer des champs privilégiés de dialogue et de réflexion éthique, associant au premier chef les patients et leurs représentants, n’ont pu être l’objet de consultations.
Il en ressort que le renouvellement de la démocratie sanitaire constitue une priorité pour les prochaines années.
Ainsi, je pense que l’on pourrait avantageusement réfléchir à partir d’un certain nombre d’axes :
  • Instaurer un système transparent d’évaluation des professionnels de santé par leurs patients, tant au niveau de la qualité des soins délivrés, que du parcours de santé ou du comportement vis-à-vis de l’usager ;
  • Recueillir et développer les bonnes pratiques, à partir de ce système d’évaluation, pour améliorer durablement la qualité d’action des professionnels de la santé et du médico-social ;
  • Adopter une véritable éducation aux bonnes pratiques de santé (nutrition, activité physique, lutte contre les addictions), afin de permettre à chacun, dès son plus jeune âge, de prévenir les maladies ;
  • Créer des « référents-parcours », pour assister les patients au parcours de santé complexe, et assurer une liaison de qualité avec les professionnels de santé, du social, ainsi que la famille ;
  • Promouvoir l’intervention de « patients-partenaires », à même d’aider et d’accompagner des personnes souffrant de pathologies similaires à la leur, afin d’humaniser les parcours de soins, en partenariat avec les professionnels de santé ;
  • Encourager l’utilisation du numérique par les patients, au besoin en leur adjoignant un accompagnement humain pour les aider à maîtriser ces nouveaux outils ;
  • Inclure des représentants des patients dans des instances de planification et de décision du système de santé, au niveau régional.
  • Renforcer la lutte contre les infox médicales, afin de promouvoir une information de qualité sur l’ensemble des sujets de santé et d’éclairer l’opinion de chaque citoyen sur les implications de ses choix de vie ;
La santé est devenue l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens qui veulent une médecine de qualité offrant l’expertise technologique optimum tout en conservant la proximité et le lien humain qui sont les fondements même de la médecine.
Tout l’enjeu est de parvenir à concilier ces exigences qui ne ressortent pas nécessairement du même champ.