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L’alibi éthique des mots
"Le pouvoir qui se revêt de l’éthique est un contresens. L’éthique, c’est n’est pas être nulle part, ce n’est pas ne pas avoir de convictions, c’est remettre en question à la lumière de l’autre ce qui est en jeu dans son propre pouvoir par rapport à ses convictions."
Par: Didier Sicard, Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique /
Publié le : 11 Février 2014
L’éthique est plus que toute autre activité humaine prise au piège des mots qui non seulement sont des vecteurs flagorneurs de la pensée mais parfois servent d’hommes sandwichs de la marque éthique, de l’étiquette éthique. Mais le seul mot absent du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale de Monique Canto-Sperber est justement « alibi »
L’éthique, c’est ce qui est bien. Or « ce qui est bien » l’est dans un ordre prédéterminé et c’est là que nous butons, que nous butons sur les bornes du langage, comme dirait Wittgenstein. Nous butons car on « fait l’essai de dire quelque chose qui n’atteint pas l’essence de ce qui est en question et on ne peut pas l’atteindre ».
Il y a toujours un malentendu à croire que ce que l’on a effectivement en esprit reste conforme à ce qui est formulé. Les mots de « valeur », « d’humain », « d’humanité », de « juste », de « personnes humaines potentielles », de « dignité, vulnérabilité, « d’autodélivrance », « d’éthiquement irrecevable », restent des concepts qui peuvent être retournés. Et c’est le danger de faire de l’éthique une nouvelle morale, d’en faire une église avec ses ecclésiastiques comme si la science qui se revêtirait d’éthique pouvait définir ce qui est bien et ce qui est mal.
Le pouvoir qui se revêt de l’éthique est un contresens. L’éthique, c’est ce qui est l’acceptation de l’autre avec la remise en question permanente de ses convictions au regard de l’autre. Ce n’est pas être nulle part, ce n’est pas ne pas avoir de convictions, c’est remettre en question à la lumière de l’autre ce qui est en jeu dans son propre pouvoir par rapport à ses convictions. Je ne veux pas dire par là que les soignants, lorsqu’ils raisonnent en termes éthiques raisonnent uniquement en terme de pouvoir. Mais ils doivent se méfier de ce qu’ils mettent en jeu derrière les mots d’humanité de valeur, etc.
C‘est l’affrontement qui dit quelque chose, pas la proposition. Est-elle éthique une morale scientifique, instaurant une normativité armée, corsetée, énonçant à partir de son « savoir » éthique un surplomb transcendant ?