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Le consentement à l’épreuve de la vaccination contre la COVID-19
"En l’état actuel du droit français, la vaccination contre la COVID-19 ne peut pas être imposée. Elle nécessite donc une information objective et loyale de tous les individus, y compris des médecins prescripteurs. Toutes les personnes doivent pouvoir exprimer leur volonté d’être ou non vaccinées et respectées dans leur choix, y compris si elles présentent des troubles intellectuels."
Par: Olivier Drunat, Médecin gériatre, chef de service de neuro-psychogériatrie, Hôpital Bretonneau HUPNVS, AP-HP / Nathalie Peterka, Professeur de droit privé à l'Université Paris-Est Créteil (UPEC, Paris12) / Mouna Romdhani, 2- Gériatre, Service de Neuro-Psycho-Gériatrie, Hôpital Bretonneau, GHU Paris Nord, Université de Paris / Anne Caron Déglise, Magistrat, Avocat général à la Cour de cassation /
Publié le : 18 Décembre 2020
Le refus de la vaccination opposé par une personne à haut risque de décompensation somatique ou la vaccination d’un résident en EHPAD souffrant de troubles neurocognitifs mais sans bénéficier d’une mesure de protection juridique posent la question de la capacité du consentement à la vaccination et, le cas échéant, l’accompagnement ou la représentation dans le cadre d’une telle décision. Nous proposons ici de faire le point sur cette capacité, dans le contexte de la COVID -19, et plus particulièrement de celui de la vaccination.
La capacité de décider
L’évaluation de la capacité à décider fait partie intégrante de la compétence des médecins. Elle permet au praticien de concilier l’autonomie du patient avec les bonnes pratiques et d’éviter la maltraitance. Une décision autonome est une décision prise de manière éclairée, avec une compréhension des alternatives et libre de toute pression extérieure. Cependant, si un patient ne peut pas décider de façon libre et éclairée, alors la bienfaisance et la non-mal-traitance doivent prévaloir pour protéger la personne. Les évaluations de la capacité mesurent l’habileté des patients à faire un choix intentionnel et compris.Pour établir sa capacité de décider, la personne doit démonter 4 compétences (1)
- Le choix fait référence à la capacité d’exprimer une préférence et ce de façon relativement stable ;
- La compréhension fait référence à la capacité de transmettre les informations sur la maladie, les risques et les avantages de l'intervention choisie, et les risques et les avantages des solutions alternatives ;
- L’appréciation est la possibilité de la personne d’appliquer les informations sur elle-même. Cette aptitude nécessite une compréhension de la maladie et la capacité d’anticiper comment sa vie serait affectée par son état et son choix
- Le raisonnement est intimement lié à l’appréciation. C’est la capacité d’expliquer comment la décision a été prise et quels en sont les facteurs importants.
La plupart des médecins déterminent un niveau de capacité de décider en fonction de la gravité de la situation médicale. Le niveau d’évaluation requis pour apprécier la capacité de décider atteint ou non un seuil (2). La gravité d’une situation est basée sur l’analyse bénéfice/risque. Si on considère deux traitements d’égal bénéfice : l’un a un minimum d’effet secondaire (ballonnement abdominal) et l’autre a des effets adverses certains (aplasie médullaire). Accepter le premier traitement demande moins d’engagement et de compréhension qu’accepter le second parce que le risque est beaucoup plus faible et donc nécessite un seuil de capacité plus bas. L’établissement d’un seuil aide le médecin à déterminer dans quelle mesure les réponses du patient doivent être robustes vis-à-vis de la capacité décisionnelle.
Plusieurs caractéristiques de la vaccination SARS-CoV-2 impactent l’évaluation de la capacité de prendre la décision d’être vacciné :
- Le Sars-CoV-2 est un virus à ARN : sa réplication n’est pas classique
- Il est proposé plusieurs types de vaccins
- Les objectifs du vaccin sont divers : diminuer les formes graves et/ou diminuer les complications voire ne pas avoir la maladie
- Les personnes les plus âgées sont peu représentées dans les études alors qu’elles sont définies comme prioritaires
- Les vaccins sont très rapidement mis sur le marché du médicament avec une pharmacologie vigilance très restreinte
- L’incertitude des complications au long court.
La vaccination contre la COVID 19 fait appel à de nouvelles technologies et à plusieurs types de vaccins. Même si les virus à ARN font l’objet d’étude de vaccination depuis une dizaine d’années, la crainte d’accidents génétiques est grande. Les laboratoires capables de s’armer pour étudier de tels vaccins sont de grosses entreprises plus reconnues pour leur business model que par leur philanthropie. Les enjeux financiers sont énormes. L’élaboration des vaccins a été très rapide et ils sont mis sur le marché sans qu’ait pu être pris le temps de constater les effets secondaires tardifs. Les données des essais sont en cours de publications. Les résultats ne sont pas exprimés de la même façon entre tous les vaccins. Des cas d’allergies graves sont signalés dès le début de la campagne vaccinale. Les détracteurs de la vaccination sont plus médiatisés que ses promoteurs (4).
Il y a beaucoup d’incertitudes sur l’efficacité, la durée de la protection et les effets au long cours. Ces incertitudes nuisent à la capacité du médecin à estimer avec précision les risques et les avantages pour chaque patient au moment des choix optionnels de traitement. A mesure que notre compréhension de la vaccination contre la COVID-19 grandira, ces incertitudes diminueront.
Effets du climat sociétal
Les informations et contre-informations sur la COVID fleurissent dans un climat général de défiance vis-à-vis des médias et du pouvoir (5). Les personnes qui adhérent aux fausses informations ne peuvent pas répondre aux critères de compréhension, d’appréciation ni de raisonnement. Une personne qui s’écarterait des preuves médicales bien établies manquerait ainsi, techniquement parlant, de compréhension. S’ajoute à ce climat la difficulté, voire l’impossibilité, de corriger ces malentendus dans un contexte de division des croyances sociétales, de temps contraint de la prise de décisions et d’urgence dans laquelle doivent s’opérer les évaluations de la capacité à décider.Il est, pourtant, problématique de déclarer inapte une personne qui comprend, apprécie et raisonne depuis une opinion largement partagée et relativement fixe dans le temps (53 % des français acceptent a priori la vaccination (6)), surtout, quand il n’y a pas objectivement de trouble psychiatrique ni neurocognitif. La capacité mentale n’est pas requise pour décider. En pratique, c’est l’incapacité psychiatrique et/ ou cognitive qui occasionne une incapacité juridique.
Refus de la vaccination
Dans le cas d’un patient fragile qui refuse la vaccination, le seuil de décision est automatiquement plus élevé car le risque social est élevé. Cependant, le risque individuel du patient qui refuse la vaccination dépend de son âge, de ses comorbidités, de son état de santé habituel (cela d’autant plus que, s’il est très âgé, il ne bénéficiera pas d’un traitement intensif). Le risque collectif dépend de son lieu de vie et de son système de soins. Ainsi, ce patient qui refuse la vaccination doit avoir une très bonne capacité de compréhension, d’appréciation et de raisonnement. Celle-ci va s’apprécier en fonction de quatre critères.- L’expression du choix : le patient ne veut pas être vacciné contre la COVID-19 ;
- La compréhension des informations qui lui sont délivrées. Le patient identifie :
- La nature contagieuse de la maladie et sa transmission ;
- Les risques de la COVID-19 ;
- L’intérêt d’une vaccination ;
- Les personnes les plus à risque vis-à-vis de la COVID-19.
- L’appréciation de la situation et de ses conséquences. Le patient :
- Reconnaît être à risque d’avoir le virus et d’infecter les autres ;
- Évalue correctement les symptômes et son état de santé ;
- Décrit précisément les mesures d’isolement en cas de contamination
- Le raisonnement sur les options de vaccination. Le patient est en mesure :
- D’expliquer son refus ;
- D’atténuer les risques.
Si la personne est sous le seuil de capacité, sans trouble mental ni neurocognitif, plusieurs options sont possibles. La première est de savoir si le patient accepte une autre discussion pour un compromis futur. Une approche sans préjugé ni conflictuelle qui vise à clarifier d’avantage le point de vue du patient et à identifier des objectifs communs est la clé. L’entourage peut être aidant.
La maladie d'Alzheimer ne fait pas sentence pour la capacité de décider. En fonction de la nature des choix, des enjeux, des valeurs de la personne et de la valence émotionnelle de la décision, la capacité de décider est variable d’un individu à l’autre.
Vaccination d’une personne souffrant de troubles neurocognitifs.
Selon les établissements, entre 40 et 60% des résidents des maisons de retraite ne sont pas en mesure de prendre eux-mêmes les décisions importantes les concernant, en raison de la maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés. Ils ne bénéficient pas tous d’une mesure de protection juridique.Il est important de souligner que la maladie ne fait pas sentence pour la capacité de décider. Par exemple, la maladie d’Alzheimer est chronique. Les troubles neurocognitifs s’installent progressivement. En fonction de la nature des choix (traitement, participation recherche clinique, vote…) des enjeux (risque élevé ou non) des valeurs de la personne et de la valence émotionnelle de la décision, la capacité de décider est variable d’un individu à l’autre. Elle ne l’est pas forcément, en revanche, entre les différents stades de la maladie. Autrement dit, il n’y a pas de corrélation absolue entre l’évaluation globale des performances cognitives (un score de Mini Mental Status de Folstein) et la capacité de décider.
Déterminer si une personne est apte à consentir à être vaccinée contre la COVID-19 nécessite de l’interroger précisément sur cette question et non pas de conclure par déduction.
Les professionnels de santé devront ainsi veiller à adapter l'information délivrée au patient à ses facultés de compréhension et de consentement, de façon qu'il puisse consentir de façon personnelle s'il est en état de le faire. Ce n'est que subsidiairement que la ou les personnes chargées de sa protection peuvent être amenées à consentir à sa place (7).
Dans le cas d’une personne incapable de décider d’être vaccinée, trois situations se présentent :
Si la personne fait l’objet d’une mesure de tutelle ou d’habilitation familiale à la représenter, la personne en charge de la mesure de protection (c’est-à-dire le tuteur ou la personne habilitée) ne peut représenter le patient pour consentir à la vaccination que si elle a été expressément investie par le juge des tutelles de la mission de représenter le patient en matière personnelle, c’est-à-dire pour prendre les décisions extra-patrimoniales. Le consentement du majeur, y compris de celui sous mesure de protection juridique avec représentation relative à sa personne, doit être néanmoins obtenu s'il est apte à exprimer sa volonté, au besoin avec l'assistance de la personne chargée de sa protection, c’est-à-dire avec le soutien de celle-ci. Lorsque tel n'est pas le cas, il appartient à la personne chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne de donner son autorisation à la vaccination, en tenant compte de l'avis exprimé par la personne protégée éventuellement avant l’altération de ses facultés et sa mise sous protection. Les habitudes antérieures de la personne vis-à-vis de la prévention de santé et, plus précisément de sa participation ou non aux campagnes vaccinales avant sa maladie, peuvent ainsi aider la personne en charge de la mesure de protection à décider pour la personne. Sauf urgence, en cas de désaccord entre celle-ci et son tuteur ou la personne habilitée, le juge autorise l'un ou l'autre à prendre la décision (CSP, art. L. 1111 4 ; C. civ., art. 459, al. 2). Ces mêmes principes sont applicables sous le mandat de protection future lorsque si, et seulement si, le mandataire a été investi par le mandat d’une mission de représentation du mandant en matière médicale
Si la personne en charge de la mesure de protection n’a pas été expressément investie par le juge des tutelles de la mission de représenter le patient en matière personnelle, elle ne dispose pas juridiquement du pouvoir de consentir à la vaccination en ses lieu et place. Seul le patient peut le faire. Il n’est pas possible de le vacciner s’il refuse. Il n’y a pas de situation d’urgence médicale ni d’obligation légale pour imposer l’acte médical. Il importe peu que la tutelle ou l’habilitation familiale s’étende à la protection des biens et de la personne du majeur. Le seul prononcé d’une tutelle à la personne et aux biens ou d’une habilitation familiale à représenter la personne en matière patrimoniale et extra-patrimoniale ne suffit pas à investir la personne en charge de la mesure de protection d’une mission de représentation pour consentir à des soins et, notamment, à la vaccination au nom de la personne vulnérable. Il est donc essentiel pour le soignant d’identifier le périmètre exact de la mission confiée en matière extra-patrimoniale par le juge des tutelles ou le mandat de protection future à la personne en charge de la mesure de protection, qu’il s’agisse d’un professionnel ou d’un membre de l’entourage du patient, afin de déterminer la procédure à suivre en vue de recueillir le consentement de ce dernier. Ces contraintes, qui ont été réaffirmées par l’ordonnance du 11 mars 2020 en vigueur depuis le 1er octobre 2020 (8) impliquent que les professionnels de santé prennent connaissance des pouvoirs du tuteur ou de la personne habilitée7. Au-delà de l'aspect chronophage d'une telle vérification infligée à un secteur déjà sous tension, une telle obligation soulève des interrogations quant au respect de la vie privée du patient vulnérable. Le tuteur ou la personne habilitée pourront-ils communiquer l'intégralité du jugement pour justifier de leur mission ou devront-ils demander un extrait du jugement au greffe ?
Lorsque la personne en charge de la mesure de protection n’est pas investie d’une mission de représentation du majeur protégé en matière personnelle, ce qui vise une partie des tutelles et des habilitations familiales à représenter et l’ensemble des mesures d’assistance (curatelle ou habilitation familiale aux fins d’assistance)aux biens et/ou à la personne, elle est tenue de saisir le juge des tutelles afin de recevoir cette mission si la personne protégée est inapte à émettre un consentement, ce qui ralentit inévitablement la prise de décision. Le juge peut alors prévoir que la personne sera assistée ou représentée par son protecteur pour la prise de décision en matière médicale en fonction du degré d’altération de ses facultés.
Si une procédure de mise sous protection est pendante à l’égard de la personne, aucune décision ne peut être prise sur le terrain de la vaccination, si la personne n’est pas en capacité d’y consentir au besoin avec l’assistance d’un mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde de justice prononcée pour la durée de l’instance, tant que le juge des tutelles n’a pas statué sur la mise sous protection (tutelle, curatelle ou habilitation familiale) et l’étendue de la mission de la personne en charge de celle-ci.
En l’état actuel du droit français, la vaccination contre la COVID-19 ne peut pas être imposée. Elle nécessite donc une information objective et loyale de tous les individus, y compris des médecins prescripteurs. Toutes les personnes doivent pouvoir exprimer leur volonté d’être ou non vaccinées et respectées dans leur choix, y compris si elles présentent des troubles intellectuels.
Pour les structures de vie collective comme les EHPAD et les USLD, cette nouvelle campagne vaccinale invite à anticiper très en amont de l’entrée en institutionnalisation les volontés des personnes vis-à-vis des mesures de prévention individuelle et collective. Les directives anticipées peuvent préciser ce type de choix et le contrat de séjour en institution doit impérativement aborder ces questions.
Après deux vagues successives, la COVID-19 met à l’épreuve notre système de santé. Sa vaccination met en tension nos questionnements éthiques et replace la personne au centre de la décision des soins médicaux.
Références
1 : Appelbaum PS, Grisso T. Assessing Patients' Capacities to Consent to Treatment. N Engl J Med 1988; 319 (25):1635-8.
2 : Magid M, Dodd ML, Bostwock MJ, Kemuel L. Is your patient making the ‘wrong’ treatment choice? Current Psychiatry. 2006 March;5(3):13-20.
3 : Ryzbar E. Evaluating patients’ decision-making capacity during COVID-19. Current Psychiatry. 2020 October;19(10):34-40 | 10.12788/cp.0045.
4 : Dube E, Vivion, M, MacDonald, N. Vaccine hesitancy, vaccine refusal and the anti‐vaccine movement: Influence, impact and implications. Expert Review of Vaccines, 14(1), 99–117. 10.1586/14760584.2015.964212
5 : Fondation Jaurès. Vaccins : la piqûre de défiance. https://jean-jaures.org/nos-productions/vaccins-la-piqure-de-defiance. 17 nov 2020.
6 : Données d’enquête relatives à l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de COVID-19 (COVIPREV). https://www.data.gouv.fr
7 : N. Peterka, Nouveau régime des décisions médicales à l'égard d'une personne majeure protégée : JCP N 2020, 1132 ; : G. Raoul-Cormeil, Un nouveau régime pour les décisions médicales prises à l'égard des personnes majeures protégées : Sol. Not. hebdo 2020, n° 11, inf. 3 ;
8 : Ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique. JORF n°0061 du 12 mars 2020