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Le modèle social du handicap

"Tandis que le modèle médical se focalise sur la rééducation ou normalisation des personnes handicapées, le modèle social se bat pour la rééducation ou la normalisation de la société, pensée et conçue pour répondre aux besoins de tous ses citoyens. Ce modèle demande un changement de paradigme, en insistant sur les capacités de chaque personne handicapée, au lieu d'accentuer leur handicap."

Par: Bachir Kerroumi, PHD, chercheur en disability studies et conception universelle / Stéphane Forgeron, Consultant en disability studies et modèle social /

Publié le : 16 Décembre 2019

L'origine du développement de la philosophie du modèle social du handicap est née du refus de l'idéologie du modèle médical et du modèle charitable du handicap. Son origine trouve ses racines dans deux facteurs : d'une part, les causes expliquant un handicap ne sont d'ordre ni religieux ni médicales, mais en grande partie social. Dit autrement, les racines du problème ne sont pas propres aux limitations fonctionnelles de la personne, mais aux limitations de la société elle-même dans sa conception et son organisation pour fournir des prestations adéquates et pour que l'ensemble des besoins de cette population soit pris en compte. Un tel postulat ne signifie pas qu’il faille nier le problème du handicap, mais plutôt qu’il faille le placer au cœur de la société.
D'autre part, les défenseurs de ce modèle considèrent que les personnes handicapées ont beaucoup à apporter à la société, ou du moins que leur contribution sera identique à celle du reste de la population. Partant du principe que toute vie humaine doit être traitée avec dignité, ce que les personnes handicapées peuvent apporter est grandement lié au degré d'inclusion dans la société et à l'acceptation de la différence.
Ces prérequis ont des conséquences importantes, notamment un impact sur les politiques publiques à adopter relatives aux problématiques spécifiques des personnes handicapées. Dès lors qu'il est affirmé que les causes à l'origine du handicap sont d'ordre social, les solutions ne peuvent plus être individuelles (ou médicales), mais collectives.
Tandis que le modèle médical se focalise sur la rééducation ou normalisation des personnes handicapées, le modèle social se bat pour la rééducation ou la normalisation de la société, pensée et conçue pour répondre aux besoins de tous ses citoyens. Ce modèle demande un changement de paradigme, en insistant sur les capacités de chaque personne handicapée, au lieu d'accentuer leur handicap.
Ainsi, dans le champ scolaire, les élèves handicapés doivent obtenir les mêmes opportunités d'épanouissement et de réussite que les enfants vivant sans handicap. L'éducation inclusive doit être la règle, avec les adaptations pédagogiques nécessaires pour chaque élève, et l'éducation spéciale l'exception, comme mesure ultime. À travers ce modèle le phénomène du handicap est appréhendé d'un point de vue holistique.
La scolarisation, l'emploi en milieu ordinaire, le sport, la culture, les loisirs.. sont des activités permettant aux personnes handicapées de participer pleinement à la vie en société. C'est la raison pour laquelle autant d'importance est donnée à l'accessibilité, condition sine qua non pour bénéficier de ces activités, sur le même pied d'égalité que les personnes non handicapées.

Aux origines du handicap comme modèle social

Les réponses sociales se fondent sur la mise en place d'un processus d'inclusion par l'égalité des droits. Pour autant, dans l'optique d'atteindre cet objectif, des mesures spécifiques doivent être prises, dont l'accessibilité, la conception universelle, le développement de politiques transversales du handicap, etc.
Cette approche représente une réalité dans les pays les plus avancés, même si ce n'est pas parfait (ex. pays anglo-saxons, pays scandinaves, Italie, Espagne, Japon).
L'apparition de ce modèle remonte à la fin des années 1970 aux États-Unis et en Angleterre. Pendant la plus grande partie du XXème siècle, le handicap a été considéré dans les sociétés occidentales comme un corps ou une âme défectueux. Le modèle médical engendrait une dépendance des personnes handicapées envers la famille et des établissements éloignés du centre-ville. Nombre d'entre elles étaient enfermées dans des structures souvent isolés de l’environnement social. Le handicap était synonyme d'une tragédie personnelle pour les personnes affectées et un problème pour le reste de la société.
Pourtant, dans les années 1960 aux États-Unis, en Angleterre, dans les pays scandinaves (Suède, Norvège) et en Italie, les personnes handicapées, notamment celles vivant en institutions ainsi que leurs parents, vont prendre des initiatives sur le plan politique pour impulser le changement de cet état de fait. Des militants handicapés et des associations de personnes handicapées vont s'unir pour condamner ce statut de " citoyens de seconde zone ". Ils vont réorienter les débats autour du handicap, en insistant sur les conséquences des barrières sociales et environnementales, tels que les transports et édifices inaccessibles, les attitudes discriminatoires et les stéréotypes culturels négatifs.
De ce fait, la participation politique des personnes handicapées, avec l'appui d'organisations représentatives, va ouvrir un nouveau front dans le champ des droits civiques et de la discrimination. L'apparition des termes " démédicalisation " et " désinstitutionalisation " est la traduction d'un changement de paradigme, basé initialement aux États-Unis sur une longue tradition de campagnes politiques en direction des droits civiques, lesquelles ont eu une influence positive sur les associations de personnes handicapées.

Les principes d'Independent living

La prolifération des centres pour la vie autonome a permis de diffuser la nouvelle philosophie des droits civiques à l'attention des personnes handicapées, de leurs familles et des professionnels. Le modèle de la vie autonome s'est répandu sur tout le territoire américain et au-delà de ses frontières : ce mouvement a eu une énorme influence en Angleterre, en Australie, au Canada, au Japon, en Suède, en Norvège, en Finlande, en Allemagne, et plus récemment en Espagne. Plusieurs pays ont notamment adopté des législations anti-discrimination, comme le Canada en 1985, l’Australie en 1992, la Nouvelle-Zélande en 1993, le Royaume-Uni en 1995, ou encore l’Espagne en 2003.
Ce mouvement a eu une répercussion toute particulière au Royaume-Uni, où à partir des années 1970, la situation paternaliste à laquelle les personnes handicapées étaient soumises, amena des ONG (Organisation Non Gouvernementale) à s'intéresser au mouvement américain.
Des leaders handicapés anglais firent un voyage déterminant aux États-Unis. À la différence de leurs confrères américains, dont le mouvement pour une vie autonome avait été créé par des étudiants handicapés en Californie, le premier objectif poursuivi par les associations britanniques était de permettre aux personnes handicapées de sortir des institutions. En effet, à cette époque, les personnes handicapées sans famille pour les soutenir, ou sans ressources pour subvenir à leurs besoins, n'avaient pas d'autre alternative que de finir leurs jours enfermés entre quatre murs.
De retour des États-Unis, ces leaders britanniques mirent en pratique les idées et principes d'Independent Living adaptés au contexte du pays. Compte tenu que les systèmes sociaux et politiques des deux pays comportaient des différences significatives, les Britanniques handicapés ont dû adapter ce dispositif pour la vie autonome au modèle d'État Providence (ou protecteur) en vigueur dans les années 1970. Ces leaders ne se sont pas focalisés sur la création d'un nouveau modèle propre au Royaume-Uni : une tradition militante existait déjà dans ce pays pour réclamer un changement de paradigme.
Un groupe de militants et de chercheurs handicapés préparait le terrain depuis des années dans l'optique de faire émerger des idées nouvelles. En 1975, l'association UPIAS, l'Union of Physically Impaired Against Ségrégation, proposa un programme qu'elle intitula " Principes fondamentaux sur le handicap ". Par la suite, le militant et universitaire anglais Mike OLIVER présenta ses idées sous la dénomination de " modèle social du handicap ".
Ce modèle social n'est ni plus ni moins le reflet de l'existence de barrières économiques, environnementales et culturelles. Ces barrières comprennent l'inaccessibilité à l'éducation, aux systèmes de communication et d'information, au monde du travail, aux dispositifs d'aide sociale, aux prestations de soutien social et sanitaire, aux transports, au logement et aux édifices publics, aux loisirs. De fait, les personnes handicapées sont handicapées compte tenu du refus de la société de répondre aux besoins individuels et collectifs au sein de la cité, pour ce qui relève des activités économiques, sociales et culturelles.

La France face à son double-langage

Au Royaume-Uni, ce mouvement a eu pour priorité d'obtenir des changements majeurs dans les politiques sociales, sur la législation se référant aux droits humains, mais aussi d'améliorer des dispositifs subventionnés par l'État Providence. Dans la plupart des pays européens, l'État Providence est un facteur-clé pour surmonter les désavantages sociaux et les freins dont les personnes handicapées font l'expérience à longueur de temps.
De l'autre côté de la Manche, les associations militantes de personnes handicapées ont pris à témoin l'opinion publique contre leur catégorisation traditionnelle en tant que groupe vulnérable. Ces ONG ont revendiqué le droit pour toute personne de définir ses propres besoins et prestations essentielles ; elles se sont érigées contre la domination exclusive traditionnelle des prestataires de services et des associations gestionnaires.
Aussi, le modèle social du handicap insiste sur les limitations de la société. En Grande-Bretagne, ce concept a évolué vers celui de vie inclusive.
La France reste dans une situation préoccupante avec un double langage : les élus de la république signent et ratifient la convention internationale des droits des personnes handicapées, basée sur le modèle social du handicap ; Dans le même temps ils continuent à financer massivement le modèle médical du handicap.  
il devient urgent d’ouvrir le débat, afin de permettre à des millions de Français - enfants et adultes en situation de handicap - de vivre comme leurs concitoyens européens.
Nous avons besoin d’un modèle social du handicap dont le socle serait l’autonomie économique, pour les citoyennes et citoyens « handicapés », car c’est cette condition qui donnera la capacité à ces personnes de contribuer à la cohésion sociale, en étant des acteurs bénéficiant, comme il se doit, de tous leurs droits.