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Les conditions d’une fin de vie digne et apaisée
"À côté de la mort redoutée, l’indifférence à la mort est plus rare. Dans notre jargon, c’est le syndrome de « glissement » : des personnes souvent âgées et seules ont décidé de se laisser mourir, en opposant une passivité totale aux agressions des maladies et des traitements."
Par: Laurent Beaugerie, Gastro-entérologue, Praticien Hospitalier à l’AP-HP, Professeur des Universités à Paris 6, membre du Conseil National des Universités et vice-président de la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie /
Publié le : 03 Février 2015
« Maintenant, je veux qu’on me fiche la paix ! »
« Quand la fin approche, la bouche s’ouvre avec une langue et des lèvres sèches. La respiration devient laborieuse, irrégulière et bruyante… Le dernier soupir est l’ultime signe d’activité musculaire : c’est un effort d’inspiration accompagné de petites contractions de la mandibule et des lèvres, comme un poisson hors de l’eau, suivies, après une pause parfois très longue, par deux ou trois petites respirations difficiles et inefficaces, qui sont les dernières. » Enseignée aux étudiants, cette description sémiologique de l’agonie, étymologiquement de l’ultime combat, est bouleversante. Elle nous renvoie au mystère du grand passage, qui reste entier pour moi après trente ans d’exercice de la médecine. Mais je peux témoigner comme tout soignant de la relation à la mort prochaine des personnes malades. L’angoisse et le sentiment de solitude prévalent. En face, les mots, gestes et regards d’apaisement des proches et des soignants sont essentiels. Ils ont toujours existé, mais la présence accrue dans les structures de soins de psychologues et d’unités mobiles pluridisciplinaires doit tendre à donner davantage d’espace et de consistance à cet accompagnement.
À côté de la mort redoutée, l’indifférence à la mort est plus rare. Dans notre jargon, c’est le syndrome de « glissement » : des personnes souvent âgées et seules ont décidé de se laisser mourir, en opposant une passivité totale aux agressions des maladies et des traitements. Chez elles, la « vis a tergo » (littéralement : « la force dans le dos »), ce petit moteur qui vous pousse dans le dos inlassablement vers des instants peut-être meilleurs, est en panne définitive. Il n’y pas de demande de mort assistée, mais un abandon irréversible qui voue à l’échec toute initiative thérapeutique autre que palliative.
À mi-chemin entre l’agueusie de vie et la mort désirée se situe une position claire et sobre, ainsi souvent verbalisée : « Maintenant, je veux qu’on me fiche la paix ! » Lorsque cette demande paraît stable, les projets thérapeutiques à prétention curative deviennent incongrus. Les soignants se doivent alors de réunir toutes les conditions d’une fin de vie digne et apaisée.
Débattre sereinement avant de légiférer sur le sujet
Beaucoup plus rare est finalement la demande, par le malade lui-même, d’aide active à la mort. Je l’ai connue personnellement une fois, venant d’un couple de trentenaires, elle enceinte d’un deuxième enfant, lui mourant dans une souffrance insupportable d’un cancer généralisé. Interpellé au plus profond de moi-même, je voyais dans le regard désemparé de la femme se réfléchir l’image d’un pantin en blouse contraint de prolonger une vie détestable, faute du courage d’injecter les ampoules de la délivrance immédiate, dans l’abstraction des contraintes sociétales du moment. Dans une pareille situation aujourd’hui, les progrès du maniement des antalgiques et des psychotropes, ainsi que le savoir-faire de soignants rompus à l’accompagnement dans les cas les plus difficiles, permettraient de dégager une voie alternative, celle de derniers moments tout simplement humains.
Ainsi, Il n’est pas question d’occulter des chemins de vie individuels, au terme desquels une demande de mort assistée, mûrement délibérée, doit être considérée sous un angle d’humanité pure que doit intégrer la loi. Mais les cliniciens honnêtes peuvent témoigner du fait que les demandes d’euthanasie active sont exprimées souvent dans des moments de détresse, qui évoluent d’un jour à l’autre vers un sentiment contraire, parfois à différents moments de la même journée. Instruire une demande de mort assistée en postulant le caractère a priori réel et constant de la demande ouvre de ce fait la porte à de possibles erreurs. En amont, l’édifice d’un tel projet repose parfois sur un mirage : la vision idéalisée par l’homme bien-portant d’un discernement neurobiologique invulnérable, authentiquement libre et éclairé jusqu’au dernier souffle, dans le choix de l’heure et des modalités de sa propre mort. Beaucoup d’hommes et femmes qui ont survécu à leur tentative sincère de suicide ont fait personnellement l’expérience du caractère fragile de cette hypothèse de travail. Voie étroite et complexe donc, mais nécessaire, que de débattre sereinement avant de légiférer sur le sujet !