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Les discriminations dans l’accès aux soins
"Combien de fois la douleur n’est-elle pas reconnue chez un patient qui crie, qui s’agite, qui refuse ? Est-ce une raison pour décider d’arrêter une dialyse au motif que l’agitation anxieuse « montre bien qu’elle ne la supporte pas, alors qu’il suffit d’un traitement adapté anticipé, et que l’équipe soignante prenne le temps de rassurer ?"
Par: Geneviève Demoures, Psycho-gériatre, chef de service, Le verger des Balans /
Publié le : 28 Septembre 2015
La discrimination se définit comme l’action de mettre de côté, de séparer une personne ou un groupe d’individus pour des raisons extrinsèques ou intrinsèques afin de pouvoir lui appliquer un traitement spécifique, en général négatif.
Depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé en passant par les différents articles prévus sur ce sujet dans le Code pénal, la question des discriminations aurait pu paraître incongrue de nos jours. Et pourtant combien sommes nous, familles, usagers et professionnels à en avoir fait les frais, ou à être témoins de cette discrimination dans l’accès aux soins !
Car les personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives induisent malheureusement trop souvent un regard et un comportement de mise à l’écart, à cause du quotidien supposé différent et intolérable, à cause de cette incurabilité insupportable qui met à mal le discours et la culture de résultats et de performances lourdement préjudiciable à leur humanité pourtant pleinement assumée.
Je ne restreindrais pas mon propos aux carences des pouvoirs publics ou aux insuffisances de financement, mais je vais tenter de réfléchir aux raisons de ces discriminations à la fois professionnelles et humaines dont nous risquons aussi d’être les complices involontaires.
Incurabilité
Une vision de la médecine curative d’excellence et de la prise en charge thérapeutique certes indispensable s’est développée durant les dernières décennies et a su repousser ainsi les limites de la souffrance et de la mort dans bon nombre de cas permettant ainsi la guérison de nombre de maladies. Pour autant ces pathologies neuro-dégénératives restent marquées du sceau d’incurabilité qui, au même titre que le handicap, font de ces personnes « qui ne sont pas vraiment malades » mais « dépendantes », des « patients lourds »...
« Je m’occupe d’abord des vrais malades » nous déclare cette infirmière libérale débordée, évoquant ceux qui ont des injections d’insuline ou d’anti coagulants, des pansements, prioritaires sur la vieille dame Alzheimer qui attend le traitement anxiolytique permettant une toilette sans heurt.
« Faire 10 ans d’étude pour tenir la main des vieux et les écouter sans les guérir, me confie ce jeune chirurgien, ce n’est pas très valorisant ! »
Ainsi certaines maladies chroniques, sans espoir de rémission, petit à petit lourdement invalidantes, risquent de plonger les patients et leurs proches, mais aussi les professionnels, dans un vécu abandonnique face à la nécessaire prise en compte des pathologies associées qui peuvent, pour ce qui les concerne, bénéficier de traitement efficace.
Cette notion d’incurabilité risque bien d’envahir le discours, au mieux de susciter la compassion, au pire d’inciter à envisager des solutions radicales, quand il s’agit de soigner toujours avec discernement sans considérer la guérison comme seul objectif.
Manque de formation
La formation professionnelle des médecins, des infirmiers, de l’ensemble des acteurs du soin s’oriente légitimement vers des connaissances techniques visant la sauvegarde de la vie, la guérison, la réparation : ce qui est bien entendu indispensable. Mais le sentiment d’échec ou d’inutilité, auprès de ces malades, risque fort de mettre à mal l’énergie nécessaire pour accompagner toujours et s’engager dans une obstination thérapeutique raisonnable. Toutes les pratiques de soin non médicamenteuses sont-elles bien connues et enseignées ? Qu’en est-il du temps consacré aux sciences humaines, à l’éthique, à la psychologie ? Et connait-on suffisamment les différentes formes comportementales d’expression de la douleur par exemple ? Combien de fois n’est-elle pas reconnue chez un patient qui crie, qui s’agite, qui refuse ? Est-ce une raison pour décider d’arrêter une dialyse au motif que l’agitation anxieuse « montre bien qu’elle ne la supporte pas, alors qu’il suffit d’un traitement adapté anticipé, et que l’équipe soignante prenne le temps de rassurer ?
Est-ce une raison pour faire une intervention a minima sur un cancer du colon au motif que « puisqu’il est dément il va de toutes façons arracher sa poche de colostomie ».
Est-ce un argument pour refuser un traitement dermatologique compliqué à cette jeune fille trisomique au motif qu’« elle n’a pas besoin de séduire un garçon… » ?
Comment se satisfaire enfin des diagnostics posés sans précaution, suivie d’une prescription médicamenteuse hâtive, sans trop y croire et surtout sans proposition d’un projet de soin personnalisé et de toutes les informations nécessaires ? Que de temps perdu, de perte de chance, que de sentiment d’abandon et d’isolement ressentis par le patient et ses proches !
Manque d’information et de pluridisciplinarité
Lié à la notion d’incurabilité qui leur « colle à la peau » et au manque de formation, le professionnel infirmier ou médecin est bien isolé, surtout à domicile. Ne sachant pas toujours que faire, il risque de ne pas profiter de cette pluridisciplinarité qui bénéficie aux patients. Avide de réponses pratiques et rapides il lui faut pourtant connaître les réseaux de santé qui vont pouvoir lui permettre de tout mettre en œuvre pour le patient : en termes de soins de support, de diététique, de réadaptation, d’orthophonie, d’accueil thérapeutique de jour de soutien proposé par les associations de malades…
Que dire du manque d’anticipation et de décisions prises dans l’urgence, souvent inadaptées et toujours préjudiciables à des personnes vulnérables ?
Que dire encore des réponses données à ces équipes d’EHPAD, isolées la nuit ou le dimanche, qui doivent cacher l’âge ou le diagnostic de démence pour obtenir la venue du médecin de garde ?
Que dire enfin des inégalités dans les territoires où faute de moyens on a du mal à bénéficier des service d’un kinésithérapeute à domicile, de soins de toilette le week-end, de gardes de nuit, d’équipes spécialisées Alzheimer ou d’accueil de jour ? Parfois, si les solutions existent, elles sont méconnues ou insuffisamment coordonnées ou laissées à l’initiative des associations militantes qui s’épuisent.
La place du malade et l’écoute de sa parole
Parce qu’il a du mal à décider, à anticiper, parce qu’on ne prend pas le temps d’expliquer ou qu’on décide à sa place, l’égalité dans l’accès aux soins peut être discriminante à l’égard de la personne. Si la désignation de la personne de confiance et la rédaction des directives anticipées devraient permettre que toute personne soit reconnue dans ses choix et ses décisions, ce n’est pas encore une pratique généralisée.
Au risque de ne pas subir ou faire subir d’acharnement thérapeutique, le risque d’abandon de soins menace le malade, ses proches et les professionnels.
« A quoi bon ce traitement puisque ma vie est condamnée de toutes façons ? »
« A quoi bon cette intervention puisqu’il ne comprend pas ? »
« Mieux vaut la maintenir au fauteuil, à cause du risque de chute… »
« Je suis sa fille (ou son mari ), alors quand même j’ai le droit de décider. »
« — Si c’était moi, je ne prendrais pas cette décision de traitement …
— Mais ce n’est pas vous, madame, monsieur, ou docteur… »
« Mais elle a besoin de marcher, même si elle peut tomber…Ce n’est pas sûr… »
« Mais peut être veut-il qu’on essaie encore… Et si quelques semaines de confort gagnées avaient du sens ? »
Qui peut répondre à la place de chacun d’entre nous, quel temps s’avère nécessaire à la décision, quelles explications sont données et quelle place laissée au choix ?
Insuffisance de la réflexion éthique
Pour conclure, face à ce risque de discrimination dans l’accès aux soins, une des réponses me semble être de prendre le temps de cette réflexion : au niveau individuel, au sein des équipes de soins, dans le discours porté par les citoyens.
L’insuffisance de cette réflexion risque en effet d’enfermer la personne dans ce qu’elle a et non dans ce qu’elle est. De faire fi de ses choix, de son histoire, de ses valeurs, de sa parole, de ses espoirs même les plus fous. Et d’enfermer les professionnels, même les plus brillants, dans une toute puissance de la décision et de réduire les soignants, au statut douloureux d’exécutants de protocoles.
L’insuffisance de cette réflexion partagée risque bien d’inciter à es choix ou a des absences de choix préjudiciables aux patients, mais aussi aux équipes de professionnels qui voient ainsi leurs valeurs mises à mal. Une telle exigence de pensée demande tu temps, de la confiance et cette espérance jamais démentie qu’au-delà de sa démence et par-delà ses handicaps, chaque personne mérite cette considération qui lui permettra d’exercer pleinement sa liberté de choix.
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