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Les significations de l'attente et du soin
Trop longtemps, le patient en tant que personne a été en grande partie, et assez paradoxalement, exclu du champ de la pratique médicale, ceci dans le souci de travailler à partir de critères objectifs. Il s'agissait alors, a-t-on dit, d'une médecine de la maladie plus que d'une médecine du malade qui en tant que sujet se trouvait donc négligé.
Par: Christian de Maricourt, Médecin-chef, hôpital Maritime de Berck, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Médecine du malade et médecine de la maladie
Trop longtemps, le patient en tant que personne a été en grande partie, et assez paradoxalement, exclu du champ de la pratique médicale, ceci dans le souci de travailler à partir de critères objectifs. Il s'agissait alors, a-t-on dit, d'une médecine de la maladie plus que d'une médecine du malade qui en tant que sujet se trouvait donc négligé.
Ces dernières années heureusement et de façon rapide les choses ont changé, et l'on peut dire que désormais les patients sont beaucoup plus reconnus dans leur subjectivité, qu'ils ont la parole en tant que tels. Ce changement, qui n'est pas encore arrivé à son terme, bouscule certaines de nos habitudes. Il faut non seulement l'accepter, mais surtout s'en réjouir : nous devons de plus en plus savoir nous appuyer sur les attentes de nos patients.
La notion de "seconde victime"
Cependant les familles et les proches des patients risquent encore d'être en partie exclus de ce progrès. Non pas les familles en tant que représentant légal du patient quand celui-ci est mineur et qu'il a perdu tout ou partie de ses capacités intellectuelles (ou plus simplement dans des situations aiguës où le patient voit son rôle social et familial temporairement suspendu…), mais les familles en tant que participant à la maladie, en tant que parti prenante dans le fait pathologique lui-même. Il faut penser à cette notion de " seconde victime " que certains gériatres ont depuis assez longtemps développée. Notre système de santé doit absolument étendre sa réflexion et ses pratiques aux conséquences de tout fait pathologique sur le système familial.
Très nombreux (trop nombreux !), et dans tous les domaines, sont les exemples d'aggravations sévères de situations pathologiques, à cause de la non-prise en compte de la souffrance et de la mise en question de l'entourage du fait de la maladie d'un proche, conjoint ou enfant le plus souvent. Il faut que nous apprenions à écouter très particulièrement ces " secondes victimes ". Il faut que nous élargissions le champ de notre réflexion au système familial et plus largement au système social dans lequel évolue le patient.
Dimensions de la prise en charge
Notre réflexion sur la prise en charge des personnes en état végétatif prolongé (EVP) porte sur un sujet qui a de multiples dimensions. Dimension scientifique d'abord car il s'agit d'être bien d'accord sur ce qu'est ou n'est pas un état végétatif, et sur la définition de ce qu'on appelle un état végétatif chronique (EVC) ou encore persistant… Nous verrons que les limites de ces états ne sont pas toujours si claires. Nous verrons aussi que se pose le problème de la chronicité ou de l'irréversibilité de ces états.
Si l'affirmation de l'irréversibilité peut se faire— en fonction du temps passé et en fonction de l'étiologie — sur des notions statistiques, on ne peut en revanche être aussi formel dès que l'on est confronté à une personne en particulier. Si la probabilité d'une amélioration est aussi faible, aussi infime que celle de trouver les 6 bons numéros au Loto, elle reste théoriquement possible, et rien dans un cas particulier ne permet d'affirmer que l'on n'est pas justement devant ce cas rarissime de réveil.
Dimension médicale ensuite : dans sa pratique quotidienne, la médecine propose-t-elle un quelconque traitement de l'état végétatif, au-delà de traitements purement palliatifs, quand il est devenu persistant, ou ne doit-on seulement placer nos espoirs que dans la prévention de tels états ?
Dimension thérapeutique : quels soins propose-t-on actuellement dans le domaine de l'hygiène, de la nutrition, de la prévention des complications ? et surtout quelle est la limite et le point d' équilibre entre ce qui pourrait apparaître comme un abandon, et ce qui serait considéré comme de l'acharnement thérapeutique ? Ces questions se posent d'abord en ce qui concerne les soins quotidiens, notamment par rapport aux demandes des familles (mettre les patients au fauteuil, continuer des séances de mobilisation des articulations alors qu'on est loin d'être sûr de leur effet bénéfique, etc.), questions qui se posent plus encore quand surviennent des complications mettant en jeu le pronostic vital. Il conviendra encore d'évoquer à ce sujet la difficile place qu'il faut réserver aux familles dans les décisions.
Dimension pratique, celle de l'organisation des soins. On verra que si le soin quotidien est relativement simple dans sa réalisation, il n'en reste pas moins que sa répétition jour après jour, mois après mois voire année après année— chez des personnes dont par définition on n'attend plus aucune amélioration et plus aucun progrès— pose des problèmes de motivation, et va jusqu'à poser des questions sur le sens même des soins donnés.
Dimension économique également : quel coût pour ces soins ? Ce coût est-il raisonnable, maîtrisable et supportable pour une société et un système de santé comme le nôtre ? Des équipes s'interrogent sur les dépenses engagées, et sur l'emploi de médicaments coûteux chez les patients en Etats Végétatifs Chroniques. Le surcoût est-il si important qu'il faille s'y arrêter ou, à l'inverse, ne faut-il pas avoir à ce sujet une réponse essentiellement humaine et éthique, qui affirmerait que la défense des individus les plus faibles d'une société est la preuve même du développement moral de celle-ci ?
Dimension humaine et familiale
La principale question qui se pose ici, et à laquelle la science médicale n'est pas en mesure de répondre, est celle de la conscience. Dans l'état végétatif, il y a vigilance mais qu'en est-il de la conscience ? Nos patients perçoivent-ils quelque chose qui concerne leur existence ? Ont-ils quelque peu conscience de ce qui se passe autour d'eux ?
La conscience et la présence
Ce que nous savons, c'est qu'il n'y a pas de communication. Mais nous ne pouvons en aucune manière établir l'équation : pas de communication équivaut à pas de conscience. À l'inverse, ne pas pouvoir affirmer avec certitude qu'il n'y a pas conscience n'implique pas non plus qu'il y en ait une. Sur ce point précis, on voit apparaître de très grandes différences entre ce que pensent beaucoup de familles, et les médecins par exemple. Sans que cela soit une règle, les familles sont assez souvent intimement persuadées que la conscience de leur malade existe bien, qu'elle est même entière, mais empêchée seulement de s'exprimer. À l'opposé, si nous, médecins, ne nous permettons pas d'affirmer l'absence de conscience, beaucoup d'entre nous pensent pourtant qu'il n'y en a pas. Pour ce qui est des soignants directs, plus particulièrement pour les aides-soignants et les infirmiers, les idées semblent plus nuancées, et souvent assez proches de celles des familles. Ce qui frappe ici, en l'absence de tout critère objectif permettant de répondre à la question de la conscience, est qu'on entre dans un domaine subjectif et très passionnel : on ne sait pas vraiment, mais on croit ou l'on ne croit pas, on sent ou l'on ne sent pas. Deux interprétations sont possibles : soit les médecins ont plus de connaissances dans le domaine de l'anatomie, de la physiologie, et de la pathologie que ceux qui soignent au quotidien et que les familles. Ils ont dès lors une attitude plus rationnelle et froide, ce qui leur permet d'aborder la réalité de façon plus objective, sans se laisser tromper par de faux signes d'éveil… Soit les familles, et avec elles les soignants, sont très proches du malade dans son quotidien, et par conséquent plus aptes que les médecins à percevoir tous les signes que les patients leur adresseraient.
Je me garderai de conclure, sinon pour traduire un certain trouble. Longtemps j'ai pensé qu'effectivement les personnes en état végétatif chronique étaient en simple survie, avec une vie purement végétative et sans aucune conscience. Pourtant, pour avoir pris le temps de faire toute une matinée avec un aide soignant les toilettes au lit de ces patients, j'ai vu mes certitudes ébranlées. Il y a chez eux, quand leur état végétatif cesse pour nous d'être un simple concept, et quand on les touche, quand on les sent réagir, une vie assez bouleversante et mystérieuse sur laquelle je ne saurai dire grand chose, mais qui me semble mériter bien plus que de la compassion. Une de mes collaboratrices me faisait récemment valoir que si l'on ne pouvait en rien se prononcer avec une totale certitude sur l'état de conscience de ces patients, on pouvait en revanche affirmer que ces malades avaient une présence. Une présence ? Est-ce simple jeu de mot ? Est-ce plutôt une vraie et élégante manière de traduire une réalité troublante ? Quelle qu'elle soit, cette présence est réelle et bien concrète, " encombrante " et bouleversante. En elle-même, elle justifie une prise en charge humaine et attentive.
Un parcours douloureux, de l'attente à la reconnaissance
Toujours dans cette dimension familiale, il convient d'aborder de façon claire celle du parcours des patients en état végétatif persistant. Accueillis dans une unité spécialisée, ils y trouvent enfin la place qui leur est due, souvent au terme d'une période douloureuse, où ils ont été en attente d'une telle admission, et pendant laquelle les familles ont trop souvent eu l'impression de gêner. Comme si leur malade n'avait plus leur place dans une unité de réanimation ou un service de soins aigus (on ne se prive pas toujours de leur dire !) Mais pour autant, le soutien nécessaire à ces familles peut-il être organisé, et même être systématiquement proposé, quand les moyens humains manquent ?
Il faut poser ici la question de la conduite à tenir en cas de complications sévères menaçant les patients d'un décès quasi inévitable s'il n'y a pas un relais thérapeutique organisé en réanimation. Qui, ici, doit faire le choix entre ce qui est raisonnable et ne l'est pas en matière de soin ? Quel est exactement son rôle dans une telle éventualité ? La famille a toute sa place dans cette réflexion… encore ne faut-il pas la mettre dans des situations de choix quasi impossible, en la préparant, longtemps avant, à une telle éventualité…
Il faudrait encore aborder tous les problèmes concernant la dimension psychologique, et la manière dont les familles peuvent faire face à une situation aussi dramatique. Enfin la dimension éthique a une importance majeure, tant au plan personnel qu'au plan de la société tout entière. Des réponses claires doivent en effet êtres apportées à des questions troublantes et obscures. Ceci doit être fait non pour clore un débat qui reste entier, mais pour donner quelques certitudes, quelques assurances aux familles et à l'ensemble des soignants.
Quelques commentaires sur le devenir des patients
Nous avons consacré 20 lits à l'accueil des patients en EVC, ce qui représente 10 % de la capacité d'accueil du service. Ces lits sont situés au sein d'une unité de 43 lits de rééducation neurologique. Le personnel qui travaille auprès des patients en EVC le fait soit de façon exclusive, soit en alternant travail auprès des patients en EVC et travail dans l'unité de rééducation.
Nous avons donc reçu au total 56 patients.
Près d'un quart de ces patients avaient encore des enfants à charge.
Les relations avec la famille ont été étudiées. Nous avons été très larges dans la définition du contact maintenu : il peut être minimal, comme revêtir une présence quasi constante. Ceci est fait délibérément et pour éviter toute tentation de jugement de valeur sur la qualité de la relation qui peut, pour quantité de motifs, échapper à la volonté de la famille.
Le pourcentage des décès est important et il faut noter que 45 % de ces décès surviennent précocement.
5 patients sont retournés à domicile. 2 y sont morts. D'une manière générale, nous déconseillons le retour à domicile qui nous semble bien trop lourd à porter. Bien entendu, quand ce choix est fait nous l'accompagnons.
5 patients ont été transférés. Parmi eux, que l'on doit ajouter à un patient toujours hospitalisé à Berck, 3 se sont assez bien éveillés. Il faut dire que ces patients étaient bien en état végétatif, mais que celui-ci était encore trop récent pour être qualifié de prolongé. Ceci correspond à une tendance, de la part de certaines réanimations, à essayer de faire entrer tôt chez nous certains patients qui ont été anormalement refusés par des services de rééducations. Il faut souligner ici que la difficulté à trouver une place incite à de telles pratiques. En 1998 par exemple, nous avons reçu 88 demandes d'admissions et n'avons pu en satisfaire que 4 ! Quelques mois après, une enquête téléphonique nous a permis de constater que la moitié des patients avait fini par trouver une place, et que l'autre moitié était décédée. Ils étaient sans doute dans un état très sévère et rejoignent nos décès précoces. On ne peut toutefois s'empêcher de penser que la situation d'attente de placement dans laquelle ils se trouvaient alors pose la question d'un relatif abandon.
Notre DMS (durée moyenne de séjour) peut-être inversée. Si l'on fait l'impasse sur la question de la qualité de la vie, on considère que plus la DMS est longue mieux nous répondons à notre vocation.
Enfin peu de commentaires sur les mesures de protection, sinon pour dire que ceux qui n'ont pas bénéficié d'une mise en place de telles mesures sont en règle générale les patients décédés de façon précoce…
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