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Les tests génétiques peuvent-ils conduire à l'eugénisme ?
Réflexion autour de la notion d'eugénisme et de ses limites, à travers notamment un commentaire du philosophe et bioéthicien Glenn McGee.
Par: David Smadja, Professeur de philosophie à l’Espace éthique, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°2, Les tests génétique : grandeur et servitude. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Jugement de valeur
Une réflexion relative à l'eugénisme, s'inscrit naturellement dans l'espace de signification ménagé par l'histoire des idées tant il oscille entre la vigueur — à la fois pleine de sens et source d'aveuglement — d'une expérience historique, et la distinction épurée d'un concept.
En se détournant un instant des contextes quotidiens de signification dans lesquels le mot eugénisme est employé et intuitivement compris, sans être élucidé — contexte qui lui confère une signification vive —, l'eugénisme peut être compris à partir d'une signification logique minimale dont l'abstraction tautologique semble tout dire sans rien révéler : l'eugénisme est l'art des bonnes (eu) naissances (genos).
Abstraite du tissu historique composé par les intentions vivantes des acteurs, la signification de l'eugénisme se rapproche de celle de la médecine en charriant avec elle toute l'ambiguïté qui lui est propre depuis le mot de Platon dans La République. En chaque cas, on comprend qu'il s'agit de soigner le corps et de favoriser son épanouissement.
Pourtant le préfixe eu affecte une pratique apparemment univoque, d'un indice éthique qui induit une interprétation normative définie en terme de jugement de valeur.
Le soin porté au corps, l'art de favoriser la santé des nouveau-nés et des jeunes enfants ne s'appuient pourtant pas sur une conviction particulière, le plus souvent confuse, mais plutôt sur une connaissance scientifique objective, assignable, définissant une compétence. En ce sens, le discours eugéniste n'est pas ici de l'ordre de l'argumentation ou de la justification. Il se rapproche plutôt du discours logico-déductif propre aux sciences de la nature (biologie), susceptible de faire l'objet d'une démonstration.
La tradition de significations héritées des grecs, ramassée autour du fameux Serment d'Hippocrate, ne dissocie pas la vertu et la connaissance. Le fait de connaître de la science l'ordre véritable de la nature et du cosmos, est indissociable d'une accession à la vertu. À l'inverse, la pensée contemporaine distingue fortement entre ce qui est susceptible d'être connu de manière objective et l'ensemble des situations faisant l'objet de jugements de valeurs nécessairement subjectifs.
Entre catégories naturelles et catégories morales
Suite à l'approfondissement de la signification conceptuelle, deux pistes — deux chemins de pensée — s'offrent à nous afin de penser l'eugénisme, suivant qu'on le considère comme art ou connaissance efficace permettant de procurer la santé, ou jugement de valeur concernant la bonne manière d'administrer les naissances, consacrant en fait l'ingérence d'une intention morale qui modifie l'ordre naturel des choses.
Dans le premier cas, l'eugénisme s'autorise d'une certaine universalité scientifique.
Dans le second, il entremêle de manière "monstrueuse" deux ordres logiques de significations en réalité bien distinctes. Pourtant, l'observation des pensées saisies dans l'élément de l'histoire, dévoile une conjugaison intime entre les jugements scientifique et moral.
Georges Canguilhem indique une correspondance éventuelle ou une parenté existant dans l'histoire des sciences, entre une pensée monstrueuse — parce qu'elle confond les genres et mêle de manière complexe, la connaissance et l'imagination — et une pensée du monstrueux au sein de laquelle l'irrégularité de la nature confine à la monstruosité. " [les rapports entre la monstruosité et le monstrueux] sont une dualité de concepts de même souche étymologique. Ils sont au service de deux formes du jugement normatif, médicale et juridique, initialement confondues plutôt que composées dans la pensée religieuse, progressivement abstraite et laïcisées. " L'ambiguïté conceptuelle propre à l'eugénisme n'est sans doute pas aussi opposée aux contextes de significations scientifiques qui en accueillent le sens, qu'il s'agisse de la situation du médecin, véritable théâtre d'ambiguïté, ou a fortiori de celle du biologiste ou de l'idéologue prônant l'eugénisme au début du XXe siècle.
Il n'est sans doute pas indifférent que l'auteur de Le normal et le pathologique, propose de comprendre ensemble la pensée religieuse et ce que l'on pourrait
appeler la pensée scientiste. Car si la science ne peut prétendre penser le Même (le régulier, le normal…) sans succomber à une certaine méfiance, voire à la peur vis-à-vis de l'Autre (l'irrégulier, le pathologique…), le jugement qui la condamne peut être également formulé à l'encontre de la pensée religieuse qui, en prétendant juger les actes des hommes en référence aux valeurs transcendantes ou sacrées, opère le même genre de glissement en expliquant les situations inhabituelles par la présence du démon et du mal.
L'association d'idée entre l'irrégulier et le pathologique, isolée dans l'approche scientiste par ailleurs vouée à identifier des relations de cause à effet, suscitera, dans le registre religieux, une crainte superstitieuse. Par exemple, l'hybride apparaît comme une catégorie scientifique apparemment neutre, consacrant une violation des règles de l'endogamie. Or, écrit G. Canguilhem " de l'hybridation à la monstruosité le passage est aisé. Le monstre est à la fois l'effet d'une infraction à la règle de ségrégation sexuelle spécifique et le signe d'une volonté de perversion du tableau des créatures ".
L'impossibilité de distinguer clairement entre les catégories naturelles et objectives et les catégories morales, impliquant la participation d'une liberté et d'une intention, provoqueront de manière égale le discrédit de l'eugénisme, perçu comme ingérence de la volonté de l'homme dans la nature, mais aussi paradoxalement, celui de ses critiques les plus radicales.
Des références hétéroclites
Si l'on porte son regard sur le débat public, le problème de l'eugénisme condense en lui-même un ensemble de références qui peuvent apparaître assez hétéroclites. L'occasion fût donnée d'employer à nouveau le terme d'eugénisme, suite aux découvertes génétiques et aux espérances plus ou moins fondées que la biologie moléculaire et la génétique pouvaient nourrir. Pourtant, qu'y a-t-il de commun, par exemple, entre un diagnostic prénatal voué à éviter la naissance par voie d'interruption médicale de grossesse, d'un nouveau-né ayant une maladie létale dans l'enfance ; un diagnostic préimplantatoire destiné à opérer un tri entre divers embryons afin d'éviter certaines malformations particulièrement graves ; une politique définie à l'échelle collective de stérilisation des déments et handicapés ; et une politique d'euthanasie active et d'extermination des personnes présentant des troubles physiques et mentaux ? En dépit de la différence des contextes socio-historiques et de la diversité de motivations chez les acteurs, toutes ces situations peuvent être assimilées à des formes d'eugénisme au sens général et minimal du terme, parce qu'elles contiennent toutes des actes volontaires ayant pour fin supposée, sous des rapports différents, la santé et l'épanouissement physique des individus. Il semble donc, que l'abstraction et l'indétermination du terme accueille une certaine confusion.
Comment trouver un critère discriminant qui permette de distinguer entre elles ? Comment, par exemple, rendre justice à la recherche génétique, dont il semble qu'elle participe au progrès de la science, ou à l'utilisation des tests génétiques, en les pensant dans leur différence sans pour autant se soumettre à la comparaison incommensurable avec les pratiques criminelles perpétrées par les nazis ? Pourquoi l'eugénisme, comme science qui étudie et met en œuvre les moyens d'améliorer l'espèce humaine, semble légitime au sens commun, à l'instar de l'exercice de la médecine, alors que dans le même temps le législateur peut déclarer : " Le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes, est puni de vingt ans de réclusion criminelle " ? En quoi consiste cette "organisation" apparemment surajoutée, qui distingue le travail méritoire du médecin ou du scientifique, et le crime ?
Analyser de nouvelles pratiques eugéniques
Dans une conférence de 1997, intitulée " Ethical issues in genetics in the next 100 years ", Glenn McGee refuse le terme d'eugénisme pour qualifier l'ensemble des pratiques biomédicales permettant, pour l'heure, de prévoir et d'éviter les maladies génétiques, et peut-être dans l'avenir, de modifier les conditions physiologiques de la naissance et de la vie humaine. La connotation historique de l'eugénisme l'emporte sur la signification étymologique et conceptuelle, en consacrant la primauté de l'usage et de la convention liée à l'inscription dans une société particulière — en l'espèce la société américaine fondée sur la défense des valeurs démocratiques contre les régimes totalitaires.
Ainsi, non seulement la génétique ne représente pas une forme d'eugénisme, mais encore les problèmes éthiques liés à la génétique ne sont même pas perçus du point de vue d'une éventuelle dérive eugénique. Les enjeux propres aux thérapies géniques sont caractéristiques d'une époque nouvelle qui laisse derrière elle un siècle qui a vu l'écroulement de l'eugénisme. Pour McGee, la comparaison avec l'histoire — notamment à travers le scandale de Nuremberg — n'est pas pertinente, dans la mesure où elle s'appuie sur une croyance naïve en la répétition fatale du Même, suivant un jugement grossier ignorant les nuances propres aux situations spécifiques.
À cet égard, l'histoire ne peut que guider pauvrement notre action en présentant une référence extérieure et artificielle, qui n'épouse pas véritablement les contours particuliers de la situation présente. Il s'agit, au contraire, de fonder un nouveau paradigme éthique destiné à rendre compte des nouveaux comportements qui résultent de manière effective de la diffusion réelle ou potentielle des diagnostics génétiques et des thérapies géniques dans la société.
L'introduction du test génétique constitue un nouveau moyen, au même titre que les pilules contraceptives, permettant d'augmenter la liberté et le bien-être des parents et d'éviter les éventuelles maladies des enfants à naître. Si la pilule a modifié les habitudes sexuelles, elle a aussi permis, en tant que découverte scientifique, un contrôle incomparable de la fécondité et finalement une liberté accrue pour la femme de choisir sa grossesse en la vivant ainsi plus dignement.
Sans utiliser le mot, McGee s'approche au moins de la signification "médicale" indirectement inspirée par l'étymologie — indirectement puisque l'on sait que le terme est né chez Galton à partir d'une intention racialement connotée.
Cependant, l'origine d'un vocable dicte une signification mais n'épuise pas pour autant son intelligibilité. En prônant une utilisation du savoir génétique destinée à poursuivre le bien-être et la santé des hommes et des femmes, McGee souhaite utiliser un nouveau moyen technique, dépourvu en lui-même du moindre risque. On peut en effet soutenir qu'un moyen n'est jamais mauvais en soi, et que seule une intention est susceptible d'être critiquée comme étant bonne ou mauvaise.
Or, pour McGee l'intention paraît évidemment bonne sans qu'il faille, pour lui, dépasser le propos en apparence circulaire et tautologique selon lequel il est bon de rechercher la santé des individus, parce que la santé est bonne.
À l'inverse, les pratiques eugénistes criminelles des nazis ne sont pas crédibles parce qu'elles ne présentent pas un ordre cohérent de faits. La stérilisation et l'extermination, ne sont douées d'aucune effectivité. Ces pratiques sont incompatibles avec les habitudes et conventions propres à l'exercice contemporain de la science et de la médecine.
Ainsi, même si les tests génétiques, comme application d'un processus technique et impersonnel, modifient la vie affective des individus, cette modification ne représente pas une atteinte à l'intégrité personnelle. Elle est, au contraire, destinée à composer avec les habitudes sexuelles des personnes en donnant lieu — à l'exemple des pratiques contraceptives — à de nouveaux comportements librement consentis.
À l'inverse, on pourrait dire qu'aucune limitation de la liberté de choix des hommes ne pourrait durablement passer dans les mœurs. Ainsi, la signification de la thérapie génétique, qu'elle soit redevable au contexte conventionnel qui en cristallise le sens ou à l'élucidation logique de son concept (soigner, réaliser l'intérêt du patient ), ne peut faire l'objet en elle-même, de par la nouveauté et l'audace de son entreprise, d'une sorte de soupçon face à l'inconnu. Par contre, à l'instar de la médecine générale, elle convoque une forme du jugement formulé en conscience " en appliquant la sagesse des générations appliquée par analogie ".
L'argumentation de McGee parvient, à juste titre, à montrer l'importance de l'acceptabilité sociale et à cet égard, en cantonnant une pratique à un champ de représentation conventionnelle qui en conditionne l'existence et la viabilité — comme une sorte de terreau plus ou moins favorable à l'éclosion d'une plante. Pourtant, il reste que l'ambiguïté propre à l'eugénisme n'est pas entièrement imputable au contexte ancien du procès de Nuremberg. Le problème perdure dans le champ de la médecine contemporaine, dans la mesure où, si les tests génétiques permettant de réaliser des diagnostics prénatals et préimplantatoires ne portent pas atteinte à l'intégrité des personnes de manière aussi patente que dans le régime nazi, il demeure que l'exercice de la médecine, prolongé par l'utilisation potentielle de certaines techniques, introduit des situations où la violence est présente de manière diffuse.
Certains embryons présentant de manière plus ou moins probable, des risques de développer certaines maladies plus ou moins graves, sont rejetés suite à un tri ou à une sélection techniquement réalisable, mais dont les critères sont éminemment problématiques parce que subjectifs, quelque fois poursuivis de manière inconsciente.
Cette distinction échappe au modèle de compréhension de McGee, qui ne propose aucun critère précis de choix dans l'application des tests génétiques pour en affirmer indifféremment la légitimité. Pourtant, comme on l'a souligné, ces pratiques doivent être guidées par une sorte de sagesse médicale dont la valeur se trouve sanctionnée par "prescription" au sens où pourrait l'entendre Edmund Burke . Mais il reste que la sagesse des générations ne satisfait qu'une partie de la réflexion éthique plus soucieuse de l'effectivité d'une pratique que de sa légitimité clairement démontrée. La référence à l'existence d'un jugement en conscience, inspirée par l'autorité de la tradition, est tout à la fois une caution de moralité mais aussi, par le flou qu'elle introduit, un asile pour l'ignorance.
Il s'agit donc, de proche en proche, d'affiner le jugement porté sur l'eugénisme en évitant l'éclipse du questionnement et de la recherche suscitée par des comparaisons trop lointaines, qui constituent autant de raccourcis théoriques valant comme des alibis idéologiques. À ce titre, à l'évocation stérile de l'eugénisme historique ne doit pas se substituer une disculpation sur parole des nouvelles pratiques génétiques.
Satisfaire aux exigences de respect de la personne
McGee suggérait, à raison, qu'un moyen en lui-même, quel qu'il soit, ne peut être dit bon ou mauvais avant d'être utilisé dans un sens ou dans un autre. De la sorte, les tests génétiques ou même les manipulations génétiques sont, comme toutes les connaissances médicales, susceptibles d'être bien ou mal utilisés. Pourtant, si l'on isole la situation médicale, telle qu'elle est apparue avec Hippocrate au Ve siècle avant J.C. et telle que nous la pensons jusqu'à présent comme une sorte de colloque singulier, à travers lequel le médecin est engagé dans une activité indissociablement scientifique et pratique, une ambiguïté "structurelle" semble en résulter. Le moyen utilisé ne s'inscrit pas dans un processus de construction ou même d'administration des choses, dans la mesure où il prend place à l'intérieur d'une relation interpersonnelle.
Paradoxalement, le geste de soin porté en direction du corps, évidemment justifié par sa finalité bienveillante constitue, si on le considère en lui-même, une modification et donc une atteinte irréductible portée au corps du malade.
Dans la préface qu'il consacre à Médecins tortionnaires, médecins résistants , Paul Ricœur attire l'attention sur la complexité paradoxale d'une violence qui s'insinue dans le procès médical comme mouvement vers la guérison et donc vers le mieux.
Il écrit : (…) la participation de certains médecins à la torture n'est pas une aberration sans lien aucun avec la pratique médicale honnête (…). (Elle) constitue le pôle extrême d'une gamme continue de compromissions, dont l'autre pôle se confond précisément avec la pratique médicale "normale". (…) tout commence dès l'instant où cette pratique se réduit à une technique scientifiquement instruite mais dissociée d'une éthique de la sollicitude, attentive à la souffrance d'autrui et respectueuse. "
En suivant cette voie, on comprend que la distinction entre le bien et le mal, ne peut être mise à la charge de la seule pratique médicale fondée sur la connaissance qui, en elle-même, ne se distingue pas qualitativement et de manière tranchée de l'objectivation intolérable propre à la torture. Parce que, dans les deux cas il s'agit, moyennant une simple différence de degré, de l'application d'une technique objectivante " (…) pouvoir sur le corps d'autrui paradoxalement dérivé du souci même de faire vivre et de soigner. " Dans ce contexte, l'intention ne vient pas comme se surajouter de l'extérieur afin de donner une impulsion à un moyen inerte. Celui-ci doit au contraire être jugé dans la mesure où, comme la matière par rapport à la forme, il n'est pas indépendant d'une finalité dont il pervertit la sincérité.
En accord avec McGee, on convient du fait que la génétique ne modifie pas fondamentalement les données du problème général lié à l'exercice de la médecine.
Sa formulation s'en distingue pourtant, si l'on entrevoit l'ambiguïté du moyen qui en lui-même porte atteinte à l'intégrité d'un malade conçu comme une personne appartenant à un ordre distinct de celui de la nature — à l'image de la personnalité libre chez Kant, qui appartient au règne des fins.
Ce type de jugement de nature transcendantale, présuppose une communauté de genre, par exemple entre l'acte de panser une plaie et une certaine violence physique. Chacun, abstraction faite des intentions qui les supportent, représente des modifications extérieures du corps. Il présuppose encore une définition de l'intégrité de la personne, absolument abstraite des conditions physiques de son existence, pensée comme une entité spirituelle dont la distinction garantirait précisément la dignité. Pourtant, qu'est-ce que la dignité, indépendamment d'une situation corporelle décente à travers laquelle l'individu peut effectivement disposer de son propre corps ?
Dans ce contexte, ne peut-on penser que l'acte de soin est, par la fin qu'il se propose, essentiellement vertueux et éminemment respectueux de la personne humaine ? Suivant que l'on s'inscrit dans l'un ou l'autre de ces contextes de pensée, on soutiendra, tour à tour, que l'activité médicale fondée sur la connaissance scientifique recèle en elle-même une énergie théorique et morale lui permettant de satisfaire aux exigences de respect de la personne, ou bien que la seule détention d'un savoir aboutissant à la maîtrise d'une technique n'est en soi qu'une objectivation de l'homme.
Une critique véritablement réfléchie de l'eugénisme, s'adossera inévitablement sur une distribution des rôles entre des attitudes — et un discours argumentatif sous-jacent — vertueuse et vicieuse, variant suivant la localisation de l'erreur, de l'incohérence ou de la faiblesse d'un argument aveugle ou superstitieux. Ainsi, si la croyance dans le progrès des sciences peut faire l'objet d'une sorte d'idéologie scientiste et donner lieu à une identification abusive du vrai, du régulier, du sain et du bien, à l'inverse, le même genre de vice (ou de poison pour la force de l'argumentation) peut être découvert dans la critique craintive, formulée sans nuance, de toute forme de progrès dans la connaissance du vivant, sans le moindre égard pour la qualité et la dignité de la vie des enfants à naître et de leurs familles.
En chaque cas, le discours critique qui dénonce à raison les excès propres aux logiques respectives de l'amélioration et du devoir, se dérègle lui-même, en se radicalisant et, paradoxalement, rejoint dans le geste théorique la thèse que formellement il combat.
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