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L’hospitalité, incarner l’idée du soin

"Le terme d'hospitalité peut paraître simple et éloigné du monde du soin, mais il porte cette idée de ne pas seulement croiser, ou recevoir un individu pour effectuer des gestes techniques, mais bien de l’accueillir en tant que personne marquée par une histoire, et des représentations."

Par: Thibaud Haaser, Médecin radiothérapeute, CHU de Bordeaux ; doctorant au Département de recherche éthique, université Paris Sud /

Publié le : 08 Janvier 2016

Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.

Quand on se pose la question de la définition des valeurs qui animent notre engagement en tant que soignant, de nombreux termes nous viennent à l’esprit : dignité, responsabilité, respect, bienveillance, vulnérabilité… Mais dans un même mouvement, un grand vertige nous saisit du fait du poids de ces mêmes mots, de l’incroyable portée de leurs sens. Savoir véritablement comment donner un sens à ces valeurs dans notre quotidien de soignant peut alors devenir difficile, allant parfois jusqu’à la posture caricaturale de ne plus agir en tant que personne animée de valeurs, mais agir de manière plaquée, lisse, désincarnée afin de simplement coller à un comportement jugé bon de l’extérieur.
 

Des valeurs du soin à penser et à incarner

Il est évident qu’à notre sens, la démarche éthique de la définition de nos valeurs ne peut pas seulement se faire par déduction, mais elle relève avant toute chose de l’induction, du vécu bien réel, parfois déroutant voire dérangeant de la relation à l’autre. Il n’est plus alors question de se voir dans l’obligation d’appliquer des principes mais bien de retrouver ces idées et ces valeurs dans ses gestes, ses mots, sa manière de répondre à une personne, et de répondre d’une personne touchée par la maladie. C’est une prise de conscience qui peut être quasi-simultanée ou a posteriori dans la cadre d’une réflexion personnelle ou de groupe, mais il nous semble, pour citer Emmanuel Lévinas, qu’ « aucune éthique ne peut être programmatrice », c'est-à-dire strictement prescriptive, a priori, et détachée du ressenti bien réel d’une situation donnée.

Les valeurs de notre métier de soignant ne sont pas que des mots, pas seulement des préceptes étroits et ne pouvant être interrogés ; au contraire, elles s’incarnent chaque jour dans la concrétude de nos paroles et de nos actes. Ces valeurs sont certes intangibles mais leur définition est large, laissant un espace riche au soignant. Ainsi, si en tant que soignant nous partageons des valeurs communes, nous avons chacun notre façon de les faire vivre en tant que personnes singulières engagées avec les personnes malades dans des situations elles aussi singulières. Ces situations ne peuvent être toutes anticipées, appréhendées pleinement et les plus riches moments (bons ou mauvais) que soignés et soignants vivent au cours d’un parcours de soin sont souvent ceux qui nous mobilisent sans préparation, ceux qui viennent au détour de l’imprévisible de la relation.

L’hospitalité : le risque d’accueillir

Si en plus des valeurs classiquement présentées dans la pratique du soin, une notion devait être mise en avant, je choisirais l’hospitalité. Ce terme peut paraître simple et éloigné du monde du soin, mais il porte cette idée de ne pas seulement croiser, ou recevoir un individu pour effectuer des gestes techniques, mais bien de l’accueillir en tant que personne marquée par une histoire, et des représentations. Il est question de pouvoir aider les personnes malades à entrer dans ces lieux de soin parfois froids, très technicisés, de les rassurer. En cela, mon expérience quotidienne en service de radiothérapie invite à réfléchir à cette dimension symbolique importante des lieux et des machines pour les personnes malades. Mais encore au-delà de cela, si les personnes atteintes de maladies viennent chercher auprès des soignants de quoi être soulagées, guéries elles sont aussi en quête d’un témoignage de notre part ; témoignage de la difficulté d’être atteint d’une maladie, de vivre une situation parfois insensée (au sens littéral) et de se trouver alors en face de lourds questionnements existentiels.

Cet accueil bienveillant, respectueux et sans jugement de l’autre dans sa singularité, au moment de cette épreuve qu’est la maladie est une valeur vivante et incarnée. Il ne peut s’agir de forcer, de contraindre l’autre à se dévoiler, mais de se tenir tout simplement prêt à recevoir son idée, sa perception de ce qui se joue dans ces moments précis de son existence. Cette disponibilité est d’une rare exigence dans le quotidien souvent mouvementé d’un soignant. L’hospitalité n’est pas innée, elle s’entretient, se crée au hasard des personnes, dans leur diversité. L’hospitalité est le fruit d’une volonté, d’un effort d’autant plus qu’elle nous confronte parfois à des sentiments ou des questionnements que l’on souhaiterait plutôt éviter. Mais, en parallèle, elle est le moyen d’une véritable rencontre, d’un sincère accompagnement dans le parcours de soin et de l’ouverture vers une relation authentiquement humaine.

Les attentats du 13 novembre nous amènent à repenser cette idée d’hospitalité, aussi bien à l’échelle individuelle que collective. Mais au-delà des craintes, des aprioris et des malentendus, chaque jour les soignants continuent et continueront d’ouvrir les portes des milieux de soin à des personnes qu’elles ne connaissent pas et d’accueillir avec humilité et bienveillance leurs souffrances. Les milieux de soin sont les témoins de la réalité concrète et quotidienne de cet élan profondément humain. Savoir accueillir l’autre, ses idées, sa culture, les respecter sans pour autant s’aliéner et s’oublier soi-même constitue la grandeur de notre vie d’hommes et de femmes, de soignants. L’hospitalité dans l’étendue de sa définition reste ainsi un pilier fondamental de notre façon d’envisager le vivre ensemble.

Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.