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Malades d'Alzheimer jeunes : changer le regard
Comment les malades jeunes, atteints par la maladie d'Alzheimer avant 60 ans, modifient-ils notre regard et nos représentation de cette pathologie ?
Par: Judith Mollard-Palacios, Experte psychologue, Union France Alzheimer /
Publié le : 14 Octobre 2013
Je me propose de rendre compte des réflexions que nous ont amenés à avoir les personnes malades jeunes qui interpellent France Alzheimer depuis plusieurs années et qui au cours du temps ont sensiblement modifié nos regards.
C’est tout d’abord au Canada que celles-ci se sont mobilisées pour se faire entendre et participer à faire changer les représentations.
En 2005, à l’occasion de la conférence organisée par l’association Alzheimer international, la Fédération québécoise des sociétés Alzheimer lance un manifeste contre l’utilisation du terme de démence, le manifeste est présenté par M. Girard, atteint d’une maladie d’Alzheimer à l’âge 50 ans.
Intitulé L’impact des mots, il dénonce l’utilisation du terme de démence mais aussi celui de détérioration, de fardeau de l’aidant, de victime qui sont à l’origine de la stigmatisation vécue par les personnes atteintes.
Stigmatisation que les personnes malades décrivent comme conduisant à la discrimination. Le Québec dénonce la médicalisation de la maladie avec une représentation de celle-ci qui s’attache uniquement à la réalité biologique, en occultant son aspect social, ce qui a des effets négatifs sur l’estime de soi et la socialisation de la personne atteinte.
A la même période des personnes malades adhérentes de la Fédération québécoise réalisent un film en direction des médecins traitants pour témoigner de leurs difficultés à se faire entendre et expriment par ce biais leurs attentes. M. Girard, accompagné de son épouse, va témoigner dans différents colloques, dont la 16ème conférence européenne organisée à Paris en juin 2006 par France Alzheimer.
En France un homme âgé de 54 ans et une femme de 60 ans, tous deux atteints d’une maladie d’Alzheimer, témoigneront au colloque organisé par France Alzheimer à la Cité des Sciences le 21 septembre 2007. À cette occasion l’un d’entre eux sera, à sa demande, invité à participer au travail de la commission du plan Alzheimer 2008-2012.
Ils participeront également à la rédaction d’une rubrique dédiée aux personnes malades sur le site de France Alzheimer et à une brochure « Et si nous en parlions », le premier guide en direction des patients.
Ne pas renoncer aux projets
Le désir d’agir des personnes malades jeunes est manifeste, teinté d’un sentiment d’urgence, agir quand c’est encore possible avant que la maladie ne les immobilise.
En effet, l’énergie physique et psychique dont dispose la personne malade jeune est en quantité bien plus grande que chez un sujet âgé et le besoin d’être accompagné, soutenu dans un projet de vie qui tienne compte de la maladie tout en permettant de maintenir ses activités est essentiel.
Pourtant les déficits cognitifs vont entraver son fonctionnement psychique avec plus d’intensité et vont avoir des répercussions bien plus importantes dans ses champs d’investissement (professionnel, social, familial). Cela risque d’entraîner une faille narcissique plus profonde que chez un sujet plus âgé, mais en même temps ses capacités adaptatives et ses capacités de résilience sont plus actives et plus facilement mobilisables.
L’annonce diagnostic, même si elle est toujours douloureuse et traumatisante, est ainsi un pivot central et incontournable car comment lutter contre, se battre pour, si rien n’est dit à la personne concernée et si rien ne lui est proposé pour faire face et pour renégocier son projet de vie.
L’accompagnement et le soutien qu’il est possible d’apporter à une personne jeune vont ainsi différer de ce que l’on a l’habitude de proposer aux malades plus âgés car les besoins sont autres.
Le projet à construire avec la personne est différent car la maladie qui frappe « en pleine force de l’âge » vient fréquemment rompre une trajectoire de vie déjà bien remplie mais porteuse d’encore bien des envies.
La personne malade jeune n’est pas prête à renoncer aux projets auxquels elle était attachée. On doit l’aider à rester le plus longtemps possible acteur de son propre devenir et à s’investir dans des activités qu’elle continue à réaliser avec plaisir.
Une malade jeune nous le confirme: « les malades jeunes ont besoin de se sentir acteurs de leur maladie et non spectateurs. Ils ont des besoins spécifiques. Ils ont des choses à partager qui peuvent être une source d’enseignement très utile. Il faut d’abord voir la personne et non pas le malade. »
Il est nécessaire également d’offrir des espaces de réflexion à l’intérieur desquels les personnes malades jeunes restent impliquées et sollicitées pour nourrir les débats sur la qualité de leur accompagnement. Récemment dans le cadre des travaux relatifs à la mesure 18 du Plan Alzheimer sur la question de l’hébergement des malades jeunes, une rencontre a réuni des personnes malades pour recueillir leur point de vue et réflexion. A la suite de la réunion, une des participantes le souligne :
« Un échange régulier entre nous, les personnes malades concernées, nos familles, et ensemble avec les professionnels me semble non seulement nécessaire, mais surtout indispensable ».
Le risque est en effet toujours présent de ne plus considérer la personne malade comme un interlocuteur possible, ce qui va nous conduire à décider à sa place ce qui est bon ou n’est pas bon pour elle.
« Il est temps de ne plus parler et de ne plus décider à notre place. Nous sommes conscients de prendre des risques et nous voulons décider par nous-mêmes, OUI ou NON, de prendre des risques pour nous. »
Une maladie invisible
Les personnes malades jeunes sont aussi confrontées à la difficulté de faire reconnaître leur handicap, la maladie ne se voit pas, elle est associée au grand âge et pendant tout un temps, elles peuvent parfaitement donner le change à un environnement qui ne vit pas au quotidien avec elle.
La personne malade risque aussi de ne pas se faire entendre et comprendre par un entourage qui banalise les difficultés et sous estime le vécu douloureux du malade et de sa très proche famille, ce qui peut entraîner un sentiment de grande solitude.
Un malade en témoigne : « Le regard des autres, c’est dur. J’en ai un petit peu marre que l’on me dise « oh ben tu n’as rien ». Ce n’est pas visible, cela ne se voit pas mais les gens, ils ne savent pas ce que je vis. C’est comme si j’avais tout le temps un plafond dans la tête, au dessus des yeux un poids, pas comme des migraines mais comme une tension sur le front.
Avec le macaron Handicapé, on m’engueule des fois quand on me voit sortir de la voiture en sifflotant. On me dit « c’est réservé aux handicapés » mais je suis handicapé à 80%, les gens n’y voient que le handicap physique. »
A l’inverse, chez un sujet jeune, les symptômes identifiés peuvent évoquer la maladie mentale et faire fuir amis et voisinage, entraînant ainsi un sentiment d’exclusion.
La volonté et la force des témoignages que nous livrent les sujets jeunes nous entraînent à penser autrement le soin et l’accompagnement des malades, tout aussi bien les personnes jeunes que les personnes plus âgées. On le voit bien, les choses évoluent mais plus que tout c’est la parole donnée aux personnes elles-mêmes, qui peuvent et veulent la prendre, qui fera changer au plus vite les représentations qui leur sont attachées.
Il reste toutefois du chemin à parcourir pour réellement donner et laisser une place aux personnes en début de maladie. Aujourd’hui deux personnes malades jeunes font partie des conseils d’administration de deux associations France Alzheimer départementales. Une étude est en cours sur le vécu et la perception de la maladie par les personnes de moins de 65 ans. Pour la deuxième année consécutive, un séjour destiné aux malades jeunes et leurs aidants vient d’avoir lieu dans le sud de la France. Des groupes de parole et des suivis de soutien commencent à se développer dans les associations qui voient de plus en plus fréquemment des personnes malades venir les interpeller et faire une demande.
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