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Nous devons un regard de citoyenneté à chaque personne
"Je me demande toujours au nom de quoi la société se permettrait de dire que cette personne n'a pas droit à sa décision personnelle, même si son cerveau est blessé. - C'est sûr, je peux faire des dégâts. Mais si j'ai envie de fuguer, de retrouver le cadre où j'étais avant et de partir de cet établissement où on m'a plus ou moins enfermé parce que ma famille ne pouvait plus supporter la situation ? Puisqu'on ne l'aide pas, cette famille, à garder son ancien, on m'a mis dans cette maison. Je connais cette peine et cette angoisse des soignants dans ces difficultés. Si je veux me débarrasser de tout cela, on me ramènera comme un voleur, dans un car de police-secours.- "
Par: Maurice Bonnet, Vice-président du Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°1, "Alzheimer, les soignants s'engagent". Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
L'image sociale du vieux doit évoluer
Même si j'ai présidé longtemps l'Union nationale des services d'aide et de soin à domicile, je ne suis pas un soignant. Cependant, j'ai pu prendre conscience d'un certain nombre de situation en contribuant à réaliser des établissements dans ma bonne région grenobloise.
Selon moi, l'un des problèmes auxquels nous sommes confronté est celui du regard que porte la société sur les personnes que touchent la maladie et la vieillesse. Le vieux n'est pas facile : il coûte cher, pour des raisons qui s'expliquent. De plus, le nombre de vieux augmente sans cesse. On entend certains dans notre société affirmer que tout l'argent dépensé dans le soin des personnes âgées ne peux plus servir aux autres, dans la difficulté ou au chômage ! Dès lors, si en plus le vieux est frappé par la maladie d'Alzheimer, les gens disent à son propos : “ Il est gaga ; il est retombé en enfance ”, etc. Cette image est dégradante.
J'ai soixante-quinze ans et je sais qu'il peut m'arriver la même chose. On finit par ne plus en parler parce qu'on a peur que cela nous arrive. Rien n'est fait publiquement pour que l'on en parle. Nous avons caché les handicapés pendant longtemps. C'est peut-être sur le même principe qu'on ne veut pas sortir les Alzheimer, parce que les gens pourraient voir que cela arrive.
Je ne crois pas que notre société se batte beaucoup aujourd'hui pour avancer sur ce point. Cela majore le poids qu'assume la famille, l'environnement et les soignants. Je crois que nous avons tout simplement oublié que le malade atteint d'Alzheimer est un citoyen comme les autres : personne n'a répondu à la question que je pose : qu'est-ce qu'un cerveau blessé ? On affirme que ces individus sont des déments. Je n'en sais rien ; je ne suis pas un spécialiste. Ce sont peut-être bien des déments, au sens médical du terme.
Nous avons tenu récemment à Saint-Herblain une réunion consacrée au “crépuscule de la raison”. J'y ai entendu des personnes développer des positions différentes de celles qui semblent évidentes. Quand mon amie Geneviève Laroque évoquait le thème “protéger sans contraindre”, je n'arrivais pas à la suivre totalement. Au nom de quoi faut-il vraiment protéger les personnes jusqu'au bout parce qu'elles seraient démentes ?
Je me demande toujours au nom de quoi la société se permettrait de dire que cette personne n'a pas droit à sa décision personnelle, même si son cerveau est blessé. “C'est sûr, je peux faire des dégâts. Mais si j'ai envie de fuguer, de retrouver le cadre où j'étais avant et de partir de cet établissement où on m'a plus ou moins enfermé parce que ma famille ne pouvait plus supporter la situation ? Puisqu'on ne l'aide pas, cette famille, à garder son ancien, on m'a mis dans cette maison. Je connais cette peine et cette angoisse des soignants dans ces difficultés. Si je veux me débarrasser de tout cela, on me ramènera comme un voleur, dans un car de police-secours.”
Ce sont ces questions éthiques qui m'interpellent. Geneviève Laroque veut toujours nous redonner confiance et je la remercie une fois de plus. Mais l'image sociale du vieux doit évoluer : pour l'instant, il dérange, d'autant plus s'il est Alzheimer ! Et nous n'avons toujours pas fait de cette maladie un problème de santé publique.
Le problème est celui de la prévention. Depuis des années j'affirme que ceux qui se retrouvent rejetés du travail ou ceux qui ont pu prendre la retraite comme il faut devraient un jour pouvoir bénéficier d'une visite régulière annuelle. Quand ils sont au travail, à la production, la société veille à ce qu'ils ne tombent pas trop malades. Mais à la retraite, ils deviennent inutiles. Je dis qu'il faut donc prévenir ; cela commence simplement par une visite médicale.
Le Professeur Robert Hugonot s'est investi dans une remarquable action concernant la maltraitance des personnes âgées. La maltraitance a des causes ! L'envie de battre l'autre n'est pas seulement due au fait que l'on est vieux. Les causes sont parfois la fatigue, le manque de personnel dans les établissements, le manque de soutien vis-à-vis des familles qui ont l'ancien… Ces causes ne sont pas dénoncées.
Concernant les dépenses que doivent supporter les familles, sait-on pourquoi les familles refusent la Prestation spécifique dépendance (P.S.D.) ? En fait, ce ne sont pas elles qui refusent la P.S.D. La loi est construite de telle manière que beaucoup de familles ne peuvent pas toucher cette prestation Toutes ces questions sont donc à revoir. Nous devons un regard de citoyenneté à chaque personne, même celles dont le cerveau est blessé.