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Parler de la mort avec les personnes très âgées: une question bien vivante

" Car quand un vieux parle de la mort, il ne demande pas s’il va mourir, cette certitude est bien intégrée, mais il parle bien du temps qu’il reste à vivre."

Par: Jean-Luc Noël, Psychologue Clinicien, Paris, Co-président du conseil scientifique de l’association Old Up, Psychologue référent de l’association ISATIS /

Publié le : 22 juin 2023


Dans l’ensemble des paroles des personnes âgées qui peuvent être méconnues, ignorées, voire niées, celles qui concernent la mort le sont très fréquemment. Pourtant cette question de la mort n’est pas étrangère à la vieillesse, l’appropriation de l’idée de la finitude restant un travail psychique essentiel de l’avancée en âge.  Nous aurions tous à gagner à parler simplement de la mort avec les personnes engagées dans le grand âge plutôt que d’éluder ou d’éviter ces échanges. En effet, le décalage générationnel est parfois saisissant quand une personne âgée évoque la question, et que des plus jeunes, en EHPAD ou à domicile, refusent d’en parler, arguant que c’est un sujet morbide, c’est-à-dire pathologique, qui annule le processus de vie et qui ne devrait pas se parler. Combien de fois l’on peut entendre des réflexions telles que : « oh là là il ne faut pas parler de cela », « votre temps n’est pas encore venu », « vous n’êtes pas le prochain sur la liste » voire « mais nous sommes attachés à vous, vous avez une bonne raison de vivre »… Autant de phrases que de mal-être à entendre des paroles sur la mort. Mais autant de graves erreurs de jugement et d’interprétation, car quand un vieux parle de la mort, il ne demande pas s’il va mourir, cette certitude est bien intégrée, mais il parle bien du temps qu’il reste à vivre.  Les vieux savent mieux que les plus jeunes que nous sommes tous mortels, la vieillesse n’en est plus à se poser cette question ni à admettre cette évidence, mais bien à se demander quel sens donner à ce temps de vie. Ainsi, à l’inverse de ce que l’on croit, la question de la mort n’est pas dans le grand âge une question triste ni une question mélancolique ou nostalgique, mais bien une question vivante, qui est une possibilité de parler du moment présent dans ce qu’il a certes de difficile, mais aussi de plaisant à vivre, temps de nouvelles découvertes insoupçonnées dans la connaissance de soi-même et de sa relation aux autres. 

La mort, une pensée pour border le devenir de la vie ?

Parler de la mort est bien souvent un soulagement car socialement ce sujet est rarement abordé avec simplicité. Le simple fait de pouvoir dire ce que l’on ressent et pense sur la mort reste la reconnaissance par les autres, de l’importance de ce sujet à cet âge de la vie. En effet, comment ne pas voir que ce sujet est souvent quotidien dans le grand âge, ceux de la même génération meurent régulièrement, parfois il ne reste plus personne des amis d’enfance, de la famille ancienne. Quand on vit en EHPAD, un ami, une connaissance meurt très fréquemment. 
Le fait d’en parler nous fait découvrir que pour celui qui vit ces pertes, il ne les vit pas forcément, même si cela arrive évidemment, dans l’angoisse, la dépression ou la colère, mais bien comme un fait acquis que la vie et la mort sont indissociables. En parler est donc tout naturel : pensons par exemple aux échanges autour des pages nécrologiques des journaux qui sont un rituel pour beaucoup. Empêcher d’en parler revient tout simplement à une négation de ce que vit et ressent l’autre, négation arbitraire et injuste, donnée par des plus jeunes qui n’ont pas encore intégré cette évidence de la fin. Ce qui est pathologique n’est donc pas de parler de la mort, mais bien d’empêcher l’expression d’un vécu, des ressentis très actuels de celui qui les vit. 
N’oublions pas que pour beaucoup, la mort n’est pas un déchirement, mais aussi une délivrance face à une vie qui perd de son sens, un espoir potentiel de retrouvailles avec ceux qui manquent, souvent une perspective rassurante et apaisante sur la fin d’une vie douloureuse. Cela ne veut pas dire que c’est une volonté de mourir, mais c’est une pensée qui rassure et borde le devenir de la vie qui n’est pas toujours vécue comme heureuse. 
Ces pensées du grand âge autour de la mort permettent aussi cet enchantement à vivre ce temps qui reste, de profiter de chaque instant et de découvrir des terres psychiques et relationnelles inexplorées.
Ces perspectives de la mort à venir sont donc un temps à vivre, il s’agit de ne pas le contrarier dans ces expressions et s’appuyer sur ceux qui le vivent, sans infantilisation ni reproches à ceux qui en parlent.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie