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Pour une pédagogie de la finitude dès le plus jeune âge

On estime également qu’entre 500 000 et 800 000 jeunes en France sont aidants d’un proche malade ou en situation de handicap ; ils assurent alors une aide tant logistique qu’administrative, un soutien émotionnel voire parfois des soins relevant de l’intimité. Ces situations, derrière lesquelles se nichent d’importants déterminants socio-économiques, restent trop invisibles médiatiquement et insuffisamment prises en compte par les pouvoirs publics.

Par: Nicolas El Haïk-Wagner , Doctorant en sociologie, Laboratoire Formation et apprentissages professionnels, Conservatoire national des arts et métiers. Responsable du groupe de travail « Jeunes Générations », Société Française d’Accompagnement et de soins Pal /

Publié le : 17 Juillet 2023

A première vue, fin de vie et jeunesse paraissent antinomiques. Pourtant, nombreuses sont les situations au cours desquelles la fin de vie, la mort et le deuil s’immiscent avec l’enfance et l’adolescence, comme nous l’ont tristement rappelé les récents attentats terroristes et la crise sanitaire. Des jeunes, atteints de cancers, de polyhandicaps complexes ou de pathologies neurodégénératives, peuvent eux-mêmes être en soins palliatifs. 610 000 jeunes sont orphelins, soit en moyenne un par classe, et ont donc perdu un parent ou leurs deux parents avant l’âge de 25 ans. On estime également qu’entre 500 000 et 800 000 jeunes en France sont aidants d’un proche malade ou en situation de handicap ; ils assurent alors une aide tant logistique qu’administrative, un soutien émotionnel voire parfois des soins relevant de l’intimité. Ces situations, derrière lesquelles se nichent d’importants déterminants socio-économiques, restent trop invisibles médiatiquement et insuffisamment prises en compte par les pouvoirs publics.

Pourtant, elles ont des incidences multiples sur la santé physique et psychique de ces jeunes (anxiété, tristesse, troubles alimentaires et du sommeil, etc.), mais aussi sur leur vie affective et sociale (isolement, somatisations, augmentation des comportements à risque, etc.). Ces conséquences s’observent tout particulièrement à l’école, avec des performances scolaires souvent moindres (difficultés de concentration et de compréhension, baisse des résultats et de la motivation, difficultés cognitives, etc.) et un impact sur les choix d’orientation (moindre accès au baccalauréat, études supérieures plus courtes, etc.), dans le cas des jeunes orphelins.

Ces jeunes, dont les parcours sont tous singuliers, expriment un profond désir de vie, de liens et le souhait de poursuivre une scolarité aussi normale que possible. Alors que leur vie est marquée par de profonds bouleversements, l’école constitue un pôle d’ancrage sécurisant, où ils aspirent à de subtiles marques de soutien autant qu’à retrouver un sentiment d’appartenance à un collectif. Les professionnels de l’éducation comme de la santé scolaire apparaissent toutefois démunis et insuffisamment formés. De fait, l’école escamote trop souvent la question de la mort, par peur et par méconnaissance. Sa politique reste focalisée sur la prévention du suicide et la gestion des évènements à caractère traumatique, au détriment d’une appréhension plus globale de ces sujets. Bien accompagnées, ces situations peuvent pourtant être vectrices de solidarités nouvelles, et d’une sensibilité plus aigue aux vulnérabilités qui nous définissent tous.
Dans ce contexte, le groupe de travail « Jeunes Générations » de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs a développé un portail de ressources, intitulé « La vie, la mort… On en parle ? », pour appuyer les professionnels de l’éducation, la médecine scolaire et les parents. Ce site se veut une boîte à outils pour aider à ouvrir des espaces d’expression auprès des enfants et des adolescents. Il propose de courtes notices rédigées par des chercheurs et praticiens (Ressources), des recommandations bibliographiques, cinématographiques ou musicales (Médiathèque), des exemples d’actions locales (Initiatives), ainsi qu’une cartographie des structures disposant d’une expertise (Acteurs).

Au-delà, nous plaidons pour une pédagogie de la finitude : alors que la mort constitue une réalité universelle et incontournable, il importe d’acculturer dès le plus jeune âge aux pertes et aux deuils qui jalonnent nos existences. Il ne s’agit en rien de créer une injonction à la parole, mais plutôt d’inviter à l’expression de ses émotions et d’inciter à la réflexion éthique. Alors qu’une crise environnementale nous rappelle les limites de notre hubris moderne, c’est un enjeu autant civique qu’anthropologique qui se joue là.

À propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie