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Questionnements éthiques qui traversent les soignants lors de situations de conflits autour de la fin de vie en néonatalogie

"Les parents se retrouvent partenaires de décisions complexes et douloureuses. Mais dans le contexte de leur nouveau-né malade, c’est bien à travers la participation à ces décisions fondamentales qu’ils accèderont à leur parentalité. Cependant cette participation parentale présente des défis majeurs."

Par: Anne-Laure Lapeyraque, Chef du Service de Néphrologie Pédiatrique, CHU Sainte-Justine, Montréal, Canada /

Publié le : 22 juin 2023

Les unités de soins intensifs néonataux sont, depuis le début des années 1990, de véritables fourmilières d’utilisation de la technicité dans les soins, avec notamment des progrès impressionnants dans le domaine du « tout petit » depuis une décennie. Ces avancées magistrales dans les soins du nouveau-né sont l’objet de vives discussions entre parents et soignants afin de déterminer le meilleur niveau de soin pour chacun, la mort naturelle n’ayant pour ainsi dire plus sa place dans ces unités. La complexité du dilemme éthique et le caractère souvent urgent des décisions vont induire des situations fréquentes de désaccord ou même de conflit entre les différents acteurs de ces décisions. 
L’importance donnée aux parents en cas de désaccord ultime varie d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, du modèle d’autorité médicale à celui d’autonomie parentale. En France, le modèle actuel donne le dernier mot aux soignants, tandis qu’au Royaume Uni c’est le juge qui sera l’ultime responsable de la décision. Aux États-Unis, l’encadrement juridique varie d’un État à l’autre même si la plupart sont très imprégnés du modèle autonomiste protégé par la Common Law. En cas de désaccord, il est recommandé à l’équipe de tout faire pour comprendre le raisonnement des parents et leur apporter toute l’aide nécessaire afin de les accompagner dans le processus décisionnel, ce même si l’issue diffère de celle préconisée par l’équipe traitante. Au Canada, les parents ont aussi ce rôle incontournable: la décision de limitation de soins doit être partagée et respectueuse des valeurs de chacun. Leur droit n’est pas absolu car limité par l’intérêt de l’enfant.
Nous proposons des pistes de réflexion sur ces questionnements éthiques tels que vécus par les soignants. 

1/ Les spécificités du nouveau-né:

Afin de mieux mesurer les particularités de ces questionnements éthiques en néonatologie, il est important de comprendre que, de la même façon que l’enfant n’est pas un petit adulte, le nouveau-né n’est pas un petit enfant. 
Le nouveau-né a ses propres spécificités biologiques, juridiques, sociales, et spirituelles.  Sa vie est à venir, à construire entièrement. La maladie est vécue comme une effraction dans son développement, dans sa structuration. Elle peut donc avoir un fort impact négatif sur sa qualité de vie future.  De plus, le nouveau-né arrive dans un environnement donné, sa famille, dont il est dépendant. La maladie va avoir un impact sur le processus de parentalisation, la dynamique de la fratrie et la qualité de vie de la famille de manière plus générale. C’est donc bien autour de la triade nouveau-né-parent-professionnel que doivent s’articuler la prise en charge quotidienne du patient et les décisions concernant sa survie. 

2/ Une place de l’obstination déraisonnable très difficile à évaluer :

Arriver à déterminer où se situe le bien, le meilleur intérêt pour l’enfant nouveau-né est particulièrement difficile pour de nombreuses raisons bien spécifiques au contexte néonatal : 
  • Une grande place de l’incertitude sur le pronostic à long terme : un potentiel de récupération souvent inattendu, une évolution des complications pouvant être dépendante de facteurs sociaux ou environnementaux et de progrès médicaux futurs non prévisibles.
  • Une évaluation objective de la souffrance aigüe et chronique du nouveau-né très difficile. Cette douleur peut être ressentie et acceptée différemment par les parents et les soignants. 
  • Les impacts des complications médicales possibles sur la qualité de vie future de l’enfant, ses parents et sa fratrie sont très difficiles à évaluer. Cette évaluation repose alors sur des valeurs individuelles et présente donc un grand risque de subjectivité liée à des projections personnelles. 
  • La tolérance du handicap par la société est en pleine mouvance, sa perception et la capacité de chacun à grandir avec un handicap/une maladie et de l’intégrer dans sa vie adulte peut être fondamentalement différente et imprévisible d’un individu à l'autre. Les acteurs de la décision n’ont pas toujours le temps de s’arrimer sur leur philosophie de vie.
  • L’environnement de vie et le niveau de soutien socio-familial futurs sont totalement inconnus au moment de prendre une décision.

3/ Des décisions à prendre par des parents très fragilisés :

Les parents se retrouvent partenaires de décisions complexes et douloureuses. Mais dans le contexte de leur nouveau-né malade, c’est bien à travers la participation à ces décisions fondamentales qu’ils accèderont à leur parentalité.  Cependant cette participation parentale présente des défis majeurs :
  • Les parents sont en état de choc émotionnel, leur intégrité psychique est touchée. Leur capacité à entendre les explications et messages importants donnés par les soignants est donc très limitée.
  • Ils n’ont parfois pas le temps de s’approprier leur identité de parents et ainsi d’être capables de réfléchir comme tels, en prenant en compte leur vie et le reste de la vie familiale.
  • Les parents manquent de connaissances médicales et ne projettent le futur de leur enfant qu’à travers les informations délivrées par les soignants. Ils s’exposent donc aux nombreuses distorsions de représentations possibles (subjectivité) ainsi qu’à la diversité d’opinions fréquentes entre professionnels. 
  • La fragilité des parents peut laisser une grande place à des influences extérieures pour guider leur choix qui risquent alors de ne plus leur appartenir : convictions religieuses fortes ou avis de référents qui n’ont pas les informations nécessaires à la prise de décision. 
Ces dilemmes éthiques sont donc liés à deux phénomènes principaux en néonatalogie : une grande place de l’incertitude à ce moment de la vie où tout reste à venir, à construire; des parents, acteurs en théorie de la décision mais parfois si fragilisés que les soignants sentent un véritable dilemme éthique à les laisser décider.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie