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Santé mentale et précarité, regards croisés

Généraliste dans une cité en banlieue parienne ou prsychiatre auprès des sans-abris : les deux intervenants fréquentent deux publics qui ne se recoupent pas complètement mais se croisent. Nous avons recueilli leurs témoignages afin d’aborder la question de l'exclusion des personnes en souffrance psychique dans le contexte spécifique de la précarité.

Par: Alain Mercuel, Psychiatre, Chef de service à l'Hôpital Sainte-Anne à Paris, responsable des Équipes Mobiles Psychiatrie Précarité (EMPP) de Paris / Bernard Elghozi, Médecin généraliste, Président de l’association Créteil Solidarité, réseau de santé, centre territorial de ressources « santé et vulnérabilité » /

Publié le : 05 Mars 2019

Entretien réalisé par Anne-Caroline Clause-Verdreau
Interne de santé publique, Espace éthique Ile-de-France

Avec, pour la retranscription, le concours de Jessica King
Interne de santé publique, Espace éthique Ile-de-France

Bernard Elghozi exerce comme médecin généraliste dans une cité en banlieue parisienne et anime une association dont l’objectif général est de faciliter l’accès aux soins des publics vulnérables. Alain Mercuel est engagé en tant que psychiatre auprès des sans-abri. Leurs deux publics ne se recoupent pas complètement mais se croisent. Nous avons recueilli leurs témoignages afin d’aborder la question de l'exclusion des personnes en souffrance psychique dans le contexte spécifique de la précarité. La richesse de cette rencontre réside notamment dans la complémentarité de leurs pratiques, de leurs expériences et de leurs regards.  
 
Anne-Caroline Clause-Verdreau – Pourriez-vous chacun nous situer la spécificité du public que vous rencontrez ?
 
Bernard Elghozi – Je vois des gens qui ne vont pas bien, qui transpirent une souffrance, avec un mélange de difficultés sociales, de mal-être, d’isolement, de souffrance psychique. Face à eux, je suis paumé, je peux faire une croix sur mes repères appris dans nos bonnes facultés « signes-diagnostic-traitement ».
Au milieu des années 1980, les deux premières vagues qu’on s’est pris de front, sans y être préparés ni formés, c’était la précarité et le sida. L’un comme l’autre excluent, marquent les gens dans leur histoire, et on ne sait pas très bien si c’est l’organique ou le social qui prime. On ne sait pas qui est le déterminant de l’autre. Et on ne sait pas très bien quoi faire face à ces situations de grande vulnérabilité. Mais très vite, on a pris conscience qu’on n’était pas seul confronté à ces publics, qu’au même moment, sur le même territoire, d’autres professionnels avaient en face d’eux les mêmes personnes dans les mêmes situations de souffrance. L’histoire des réseaux est un peu née de ça à la fin des années 1990.
La troisième vague, c’est la santé mentale. Je parle de santé mentale, pas de maladie mentale. Je parle de personnes en souffrance psycho-sociale, qui sont mal dans leur peau, qui ne trouvent pas leur place dans la vie de la cité. Je ne parle pas des psychotiques. Ceux-là, à la limite, c’est plus facile, une fois qu’ils sont repérés, on parvient à trouver facilement un psychiatre pour les prendre en rendez-vous.
Une chose que j’ai appris avec le sida : c’est le regard de l’autre qui exclut. Mon regard à moi peut aussi être excluant parce que j’ai des représentations sur le sida et que, pour être à l’aise avec l’autre, il faut d’abord que je traite mes représentations à moi. Une autre chose que j’ai appris avec le sida et aussi avec les addictions, c’est qu’il faut accepter l’autre comme il est, pas comme j’ai envie qu’il soit. C’est un gros travail à faire sur soi-même. On entendait à la fin des années 1980 : « ton malade, il est VIH mais il se shoote, quand il sera sevré, tu me l’envoies ». Si je n’accepte pas l’autre comme il est, je ne sers à rien. C’est le patient qui décide qui l’aide et à quel moment. Loin de le traiter et de le guérir, il faut juste que je l’écoute, que j’entende sa souffrance et que j’accuse réception. Je peux l’aider un peu mais c’est lui qui fait le boulot. Et il ne fera jamais le boulot que j’ai envie qu’il fasse, il fera le boulot qu’il pourra faire. Moi, je peux servir de médiateur, de passeur entre lui et le système de santé, entre lui et les institutions, entre lui et les autres, entre lui et lui-même.
Ce qui est étonnant, c’est que ces gens sont dans les circuits de soins (80% ont un médecin traitant) mais ils vont toujours aussi mal. Au moins la moitié, voire les trois-quarts, auraient besoin d’un soutien psychologique. Qui va le faire ? Qui va le financer ? Moi, je passe une demi-heure par malade. Qui peut faire ça ? Qui m’aide pour faire ça ? Qui aide les aidants ?
 
Alain Mercuel – Le public que je rencontre, ce sont les personnes à la rue et en très grande précarité. C’est le cran en-dessous ou au-dessus, comme vous voulez.
Les représentations du grand-public voire de la presse, se résument à « tous des malades mentaux ». Ce qui est faux puisque l’enquête Samenta[1], réalisée en 2009, a estimé qu’il n’y avait que 30% de personnes à la rue nécessitant des soins psychiatriques.
Il y a globalement trois grands groupes de souffrances psychiques à la rue. Le premier rassemble les souffrances réactionnelles. Elles concernent tout le monde mais surtout les personnes qui ont eu une souffrance dans l’enfance. Elles peuvent être déprimées, anxieuses, traumatisées, alcooliques, etc. Le second groupe est constitué des troubles de la personnalité. Pour caricaturer ce sont les Dalton à la rue, des personnalités psychopathiques qui trouvent dans ce mode de vie une possibilité d’exprimer leur comportement antisocial. Qui fait quoi pour prévenir le glissement vers ces conduites antisociales ? Le dernier groupe réunit les personnes psychotiques. Ce sont les schizophrènes, les paranoïaques qui, avant les progrès de la médecine, passaient leur vie entière à l’hôpital.
 
ACCV – Nous savons que les troubles psychiatriques constituent un facteur de risque d’exclusion et de précarité. Quels autres facteurs de risque peuvent contribuer à faire dériver la personne vers la rue ?
 
AM – Le discours ambiant tend à associer la fermeture des lits en psychiatrie à la présence de SDF. Effectivement, des lits ont été fermés parce qu’aujourd’hui, grâce aux médicaments, aux psychothérapies institutionnelles et aux prises en charge dans la ville, les patients peuvent vivre hors des asiles. Actuellement, la psychiatrie hospitalière se rapproche plutôt de la réanimation psychique. Si quelqu’un a un délire, on traite le délire. Si quelqu’un a une dépression, on traite la dépression. L’hôpital psychiatrique n’est pas un lieu de vie, c’est un lieu de soin. Mais, au-delà de fermeture de lits, lorsque l’on questionne ces personnes-là, on voit apparaître de nombreux facteurs de risque qui les ont conduits à la rue.
Le premier, c’est la maltraitance infantile. Il y a eu l’affaire Weinstein mais rien encore sur les relations incestueuses alors que notre pratique laisse à penser que nous sommes autour de 10-15% de familles incestueuses en France. On ne fait rien, c’est l’omerta la plus totale, le tabou de l’inceste. En deçà de ces traumatismes, Cosette chez les Thénardier, si elle n’avait pas rencontré Jean Valjean, aurait fini polytoxicomane, prostituée, séropositive, tuberculeuse, sur un des trottoirs de Pigalle ou d’ailleurs. Donc quid de nos signaleurs, de nos alerteurs ? Est-ce que c’est l’Aide sociale à l'enfance ? Est-ce que c‘est l’école ?
Le deuxième facteur de risque, c’est justement la difficulté scolaire. Comment apprendre les tables de multiplication quand on se fait maltraiter avant d’aller à l’école tous les matins ? Qui repère les difficultés scolaires qui ne sont pas forcément liées à un handicap mais liées à une souffrance ? Il y a un millier de médecins scolaires en France, soit 10 par département. En grandes villes notamment, cela pose un problème.
Vient s’ajouter un retard au dépistage. La France est un des pays européens affichant un long délai entre l’apparition du premier symptôme et la mise en place d’un premier soin.
Puis interagissent les facteurs sociaux : accès au soin, au logement, au travail, à l’activité, à la cité. Le problème est que la cité reste encore très stigmatisante (pour exemple, ce défi dans un jeu télévisuel dans lequel un candidat camisolé doit tenter de sortir d’une pièce capitonnée).
Et enfin le dernier facteur de risque, la mauvaise utilisation des services. En France, on dénombre entre 150 000 et 250 000 personnes à la rue et à peu près autant d’aidants (entre les professionnels, les associations, etc.), soit un ratio de 1 pour 1. Donc il y a quand même un problème de coordination car les moyens existent.
 
ACCV –  Depuis que vous exercez le métier, comment les pratiques ont-elles évolué ? Quels sont les freins à l’innovation dans ce domaine ?
 
BE – Aujourd’hui, on est en train de détruire l’histoire et les acquis des réseaux. A chaque fois qu’il y a un nouveau ministre, chacun marque son territoire, donc on change tout. Mais comme ils ne savent pas quoi changer, ils changent les termes, créent de nouveaux acronymes pour les mêmes dispositifs … ils ont remplacé les réseaux par les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). Et on se retrouve avec des injonctions paradoxales et contradictoires parce qu’ils disent une chose et, six mois après, ils disent autre chose. On change de cadre tous les six mois, c’est impossible de suivre. On a traversé au moins dix dispositifs entre politique de la ville et politique de santé, sans qu’il y en ait eu, à un moment donné, un travail de capitalisation.
Les décideurs des politiques publiques comprennent les choses. Donc il y a de beaux projets, de belles intentions. Mais ensuite, pour la mise en œuvre, il n’y a pas toujours la volonté politique, il n’y a pas souvent les moyens. C’est une logique institutionnelle qui tourne au ralenti et qui bloque l’innovation.
 
ACCV – Selon vous, quel est le rôle politique du psychiatre ?
 
AM - Le rôle politique du psychiatre va de 0 à 10 sur l’échelle de Richter du tremblement du psychiatre. Soit il considère que cela ne le regarde pas et il ne s’occupe que du soin. Soit c’est l’implication totale dans la cité : la psychiatrie doit supprimer le stress au travail, la psychiatrie doit déradicaliser, etc. Voilà le gradient de l’utilisation politique de la psychiatrie, avec cette ambivalence : « les psychiatres sont des salauds, des réducteurs de tête » et, en même temps, dès qu’une personne sort du sillon, il faut « envoyer » la psychiatrie.
Les équipes de psychiatrie participent aux réunions avec les élus et répondent aux besoins, non pas aux besoins de la cité ou de la société, mais aux besoins de la personne. Ma position politique, c’est une position clinique. Dans la Cité, si quelqu’un n’est pas en souffrance psychique ou n’est pas porteur d’un trouble psychiatrique, c’est à la cité de s’en occuper, ce n’est pas à la psychiatrie de médicaliser ou de psychiatriser du social !
C’est un mythe de croire qu’un psychiatre serait témoin de plus de choses que quelqu’un qui n’est pas psychiatre. Tout le monde est au courant des relations incestueuses ou pédophiles, mais le tabou fait taire. La position politique, c’est que chacun ouvre sa gueule, et pas seulement le psychiatre.

ACCV – Justement, quelle réaction doit avoir un citoyen lambda qui repère une situation problématique dans la rue ?

AM - La réaction à avoir est simple : aller à la mairie et dire « voilà, j’ai vu un monsieur dans telle situation, quelles sont les associations, les réseaux sur ce territoire ? ». En effet, les personnes à la rue sont très souvent en contact avec des aidants sociaux ou sanitaires, il est opportun de s’en rapprocher.
 
BE - Pour répondre aux besoins des personnes, ce qui prime, c’est l’accès à l’information. Les gens ne savent pas, par exemple, qu’il y a des PASS (permanence d’accès aux soins de santé), des équipes mobiles santé mentale et exclusion, etc. Ils n’ont pas accès à l’information. Les canaux classiques de diffusion des discours de prévention éloignent encore plus ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la maîtrise de la langue, ceux qui n’ont pas accès à la télé ou à la radio. C’est encore plus stigmatisant et excluant pour eux alors que c’est eux qu’il faudrait toucher les premiers.
 
ACCV – Que pensez-vous de cette tension entre ceux qui cherchent à englober la psychiatrie dans la santé mentale - quitte à dissoudre la spécificité du travail du psychiatre et à mettre dans le même sac des troubles de niveaux de gravité très variables - et ceux qui ont une position très biologisante sur la maladie mentale ?
 
AM - La vérité, c’est la troisième voie. On pourrait penser que le jour où l’on découvrira le « schizocoque », ça sera très bien, on aura découvert le virus de la schizophrénie. Mais, en réalité, les troubles et maladies psychiatriques apparaissent multifactoriels.
Les « santé mentalistes » voudraient que ce soit les mêmes acteurs qui répondent à tous les besoins mais ce n’est pas possible. Actuellement, on ne peut pas être efficace et efficient dans tous les domaines et dans toutes les approches thérapeutiques. Autrement dit, on ne peut pas prétendre faire de l’entretien post-Bataclan, et en même temps de la biologie, et en même temps de l’hypnose, et en même temps des thérapies analytiques, etc. La psychiatrie offre des « soins généraux » et des « soins hyperspécialisés », mais pas par les mêmes acteurs.
Au final, la question est celle de la responsabilité. Si une personne en souffrance psychique en tue une autre, qui est responsable ? Le « santé mentaliste » ou le psychiatre ?
 
BE - Le besoin, c’est de repérer, en amont, les gens qui ne vont pas bien, quel que soit leur niveau de mal-être, et de comprendre que leur souffrance n’est pas qu’organique mais qu’elle est complexe. Le tout, c’est de mettre le doigt sur la complexité de leur situation.
Et le deuxième point qui me semble complémentaire, il faut savoir comment on travaille ensemble. Ce n’est pas la patate chaude. Il faut savoir comment on construit ensemble les articulations, comment on repère les limites de ses compétences et, à partir de là, comment on accroche le savoir-faire de l’autre. Après, la question n’est pas qu’il soit spécialiste de la maladie mentale ou de la psychiatrie. Ce que je veux, c’est avoir confiance dans ses compétences et qu’il soit là quand j’ai besoin de lui.
Dans la pratique, j’ai eu beaucoup de mal à travailler avec les équipes de psychiatrie institutionnelle universitaire parce qu’ils ont du mal à comprendre qu’il y a autre chose à côté des centres experts, qu’il y a cette souffrance psychosociale des gens dans la vie de la cité. Ce n’est pas dans leurs livres, ce n’est pas ce qu’ils ont appris, ce n’est pas ce qu’ils enseignent.
En 1987, le père Wresinski écrivait dans son rapport au Conseil économique et social que, pour avoir une place dans la vie de la cité, il y a 4 conditions : le toit, le travail, la formation et la santé. Il n’y en a pas un qui prime sur les autres. Ce qui veut dire qu’on est dans quelque chose de plurifactoriel et que la construction de pistes de réponses ne peut être que plurifactorielle, c’est-à-dire dans une complémentarité des intervenants et des compétences. Il faut mettre tout le monde autour de la table : médecins généralistes, psychiatres, psychologues, assistantes sociales, bailleurs, élus, juristes, etc.
 
AM – Ne jamais travailler tout seul, c’est un principe fondamental. Mais entre le social qui dit au sanitaire « soignez d’abord et on hébergera » et le sanitaire qui dit au social « hébergez-le et ensuite on pourra le soigner », la vérité est dans la co-construction, c’est-à-dire qu’il faut des structures où il y a en même temps des intervenants « du » sanitaire et « du » social.
 
ACCV - Face à cette multiplicité d’intervenants, est-ce qu’il n’y a pas un risque que les gens soient un peu perdus ?
 
BE - Non parce que ce n’est pas la personne qui va voir tout le monde, c’est tout le monde qui se met autour de la personne. Celui qui alerte a prévenu la personne qu’on allait travailler à plusieurs sur sa situation. On a son accord. Cela permet au professionnel qui était isolé de trouver un peu plus de pistes. En élargissant le champ des compétences, on élargit le champ des possibilités d’interventions.
 
ACCV – Quels facteurs de stabilité identifiez-vous pour ces publics ?
 
BE – L’accompagnement. La vraie question, c’est l’accompagnement de ces publics vulnérables. Et, dans la vulnérabilité, je mets les problèmes de santé mentale, la pauvreté et la précarité, les maladies chroniques, etc. Il y a un vrai travail d’accompagnement à faire mais personne n’est formé pour ça. Celles qui pourraient contribuer le plus à cet accompagnement, ce sont les assistantes sociales. C’est elles qui sont le plus en contact avec ce public-là. Elles sont capables de repérer les situations problématiques mais elles ne se donnent même pas la légitimité de poser des questions sur la santé mentale parce qu’elles ne sont pas formées. Depuis plusieurs années, on essaie de faire de l’appui aux professionnels qui, aujourd’hui, sont le plus en difficulté face à cette vulnérabilité-là. On a monté, à la demande des assistantes sociales, des formations-actions sur ces questions de santé mentale et d’exclusion ; elles sont demandeuses mais elles sont trop débordées pour venir régulièrement.
 
AM - S’il n’y avait qu’un seul facteur de stabilité à choisir, ce serait le lien social. Les gens ont besoin de lien, quel que soit l’âge, c’est-à-dire dès la naissance, voire même dès la grossesse. La prévention des troubles, c’est de maintenir le lien le plus sécure possible et, à chaque fois, de parer à une relation qui serait pathogène.
Toutes les maltraitances dans l’enfance ont sécrété une pathologie de l’attachement ou, du moins, une souffrance autour de l’attachement. L’Article 1 de la vie à la rue de ces personnes est : « Toute personne qui s’approche de moi va me trahir, puisque les premiers qui devaient s’occuper de moi m’ont trahi ». La difficulté des aidants est d’inventer de nouvelles pratiques de mise en place de liens de confiance.
En termes de nouvelles pratiques, il y a tous les « First » : Cure First, Care First, Housing First, Working First, etc. Je proposerais le Binding First, c’est-à-dire tenir le lien d’abord.
 
ACCV – Ces personnes ne perçoivent pas toujours qu’elles se mettent en danger. A partir de quand peut-on considérer que le refus de soins d’une personne n’est plus acceptable ?
 
BE - C’est au cas par cas. Il n’y a pas de dogme, pas de règle, pas de loi. Chaque cas est unique. Même si une situation se reproduit, il y a des alternatives à chaque fois. Le tout, c’est de construire, dans la relation à l’autre, une dynamique et un lien. On discute au cas par cas. Entre la non-assistance à personne en danger et le droit d’ingérence, où on met le curseur ? Jusqu’où on peut aller ? On se débrouille comme on peut, ce n’est jamais parfait. On navigue entre deux risques.
 
AM – Certains disent « c’est leur choix ». Mais quel est le choix de Cosette ? Quel est le choix des personnes qui ont été violés de 4 ans à 12 ans ? Quel est le choix des précaires qui n’accèdent pas à un logement ? Derrière une position éthique de neutralité bienveillante, on bascule vite dans un attentisme outrancier.
Chaque cas doit être étudié pour son cas et il doit être toujours mis en balance deux positions : l’attentisme et on laisse mourir les gens, ou l’interventionnisme avec le risque d’aggraver la situation (je pense par exemple aux personnes âgées délocalisées très rapidement). La vérité est probablement entre deux mais il faut se poser, tous les acteurs ensemble, pour pouvoir la discuter. D’un côté, le libertaire dira « l’homme est libre » et, de l’autre, l’activiste passionné affirmera « tous à l’hosto ». On chemine entre ces deux bornes et ce cheminement, c’est un accompagnement du lien et une vigilance sur l’état des personnes. Quand cela penche vers la mort, il faut intervenir pour l’éviter. Mourir à la rue n’est pas digne. Est-ce plus digne de mourir à l’hôpital ? Je ne sais pas. Mais peut-être que, le mieux, c’e

 
[1] Laporte A, Le Méner E, Détrez MA, Douay C, Le Strat Y, Vandentorren S, et al. La santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel en Île-de-France : l’enquête Samenta de 2009. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(36-37):693-7. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/36-37/2015_36-37_6.html