Notre Newsletter

texte

article

Spiritualité et maladies neurodégénératives

"Nous pensons que l’attention au spirituel pourrait être, aussi, une opportunité de porter un regard différent sur les personnes aux prises avec des maladies neurologiques dégénératives. Non plus un regard qui s’attarderait sur les pertes et les altérations, qui chercherait à ralentir l’évolution de la maladie, qui viserait à soulager ou à soigner mais un regard qui reconnaîtrait la richesse et la complexité de cette vie intérieure."

Par: Nicolas Pujol, Docteur en éthique médicale et en sciences des religions, enseignant à l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, université Paris Sud /

Publié le : 04 juin 2015

La spiritualité suscite un intérêt croissant dans le contexte des MND : faut-il la mobiliser pour contribuer à la qualité de vie, au bien-être et à la résilience des patients[1] ? Mais cet intérêt ne doit pas être interprété comme un retour du religieux traditionnel dans le monde des soins : la spiritualité renvoie, dans la littérature médicale, à une dimension anthropologique – nous serions tous spirituels – dont il faudrait prendre soin, au même titre que les dimensions physiques et psychologiques[2]. L’équipe soignante est appelée à être attentive aux besoins spirituels des patients[3] ; à pallier à l’apparition d’une éventuelle souffrance spirituelle ; à accroitre le bien-être spirituel.
Or, si l’on en perçoit aisément la portée humaniste, cette appropriation de la spiritualité[4] par le monde des soins ne peut manquer de susciter un questionnement éthique. Le phénomène à l’œuvre n’est-il pas une tentative de la pensée médicale d’étendre son pouvoir normatif sur un domaine qui lui était jusqu’alors étranger ? La spiritualité ne serait-elle pas un champ d’exploration nouveau pour tenter de guérir « autre chose » lorsque la maladie devient chronique, comme c’est le cas dans le cadre des maladies neurologiques dégénératives ? N’y a-t-il pas un risque de « pathologisation » de la spiritualité, comme le laisse entrevoir le concept de « souffrance spirituelle » ?
Nous pensons que l’attention au spirituel pourrait être, aussi, une opportunité de porter un regard différent sur les personnes aux prises avec des maladies neurologiques dégénératives. Non plus un regard qui s’attarderait sur les pertes et les altérations, qui chercherait à ralentir l’évolution de la maladie, qui viserait à soulager ou à soigner mais un regard qui reconnaîtrait la richesse et la complexité de cette vie intérieure, qui laisserait une place pour que puisse se dire des questionnements existentiels, une espérance, une croissance ou une crise spirituelle, un cheminement…
 
Penser l’intégration de la spiritualité non plus sous l’angle du « prendre soin » mais sous celui de la reconnaissance ouvrirait alors un vaste champ de réflexion et d’action afin d’accompagner des personnes aux prises avec des maladies neurologiques dégénératives. Dans un contexte qui conduit à des parcours de soin parfois très long, cette reconnaissance délimiterait pour les patients un espace débordant celui de la maladie et au cœur duquel ils pourraient se vivre comme des personnes à part entière. Du point de vue des soignants, ce pas de côté constituerait une opportunité de percevoir les patients autrement et d’ajuster ainsi leur façon d’être et de prendre soin.

 
[1] Thierry Collaud, Démence et résilience : mobiliser la dimension spirituelle, Bruxelles, Lumen Vitae, 2013.
[2] Nicolas Pujol, Guy Jobin & Sadek Beloucif, « Quelle place pour la spiritualité dans le soin ?”, Esprit, Juin 2014, n°405, p. 75-89.
[3] Les besoins les plus souvent cités dans la littérature médicale sont : le besoin de quête de sens et d’avoir un but dans la vie ; le besoin de participer à des rituels religieux et le besoin de s’ouvrir à la transcendance ; le besoin de discerner et d’adhérer librement à des valeurs et le besoin de faire l’expérience du beau. Voir Nicolas Pujol, op. cit.
[4] Guy Jobin, Des religions à la spiritualité. Une appropriation biomédicale du religieux dans l’hôpital, Bruxelles, Lumen Vitae, 2012.