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Synthèse : Face aux crises pandémiques et écologiques : la santé globale comme enjeux scientifique, éthique et politique

Synthèse de la septième édition des Conversations éthiques, science et société, organisée le 7 mai 2021

Par: Soline Sénépart, Chargée de mission, Espace éthique/IDF /

Publié le : 07 Juillet 2021

Les crises sont souvent des révélateurs. S’il est une chose que nous pouvons retenir de la pandémie de Covid-19, c’est que la santé humaine s'inscrit dans un concept de santé globale, qui prend en compte également la santé animale et environnementale, ainsi que toute la complexité de leurs interactions. Léo Coutellec, maître de conférences en épistémologie et éthique des sciences contemporaines, rappelle que “75% des maladies infectieuses émergentes chez l’humain proviennent du monde animal” et que les dégradations et les appauvrissements de la biodiversité ne sont pas sans incidences sur la propagation des épidémies. À la lumière de ces connaissances, il est important de réfléchir à une globalisation des enjeux et à un décloisonnement des défis de santé publique qui ne doivent plus être pensés à travers le seul prisme de la santé humaine. Pour cela, l’Espace éthique Ile-de-France a souhaité réunir Serge Morand, directeur de recherche CNRS/CIRAD et écologue de la santé, Claire Lajaunie, juriste de droit public au Laboratoire Population Environnement Développement (AMU-IRD) à Marseille et spécialiste en droit de l’environnement, Didier Sicard, professeur émérite de médecine à l'université Paris-Descartes et ancien président du Comité Consultatif National d'Ethique, et Frédéric Keck, directeur de recherche CNRS en histoire de l'anthropologie sociale, à intervenir le lundi 7 juin 2021 à l’occasion de la septième édition des Conversations Éthique, Science et Société intitulée “Face aux crises pandémiques et écologiques : la santé globale comme enjeux scientifique, éthique et politique".

La santé publique n’est pas qu’une affaire de santé humaine

La garantie de la santé publique ne peut se résumer à la seule étude des facteurs humains intervenant dans la propagation d’un virus. Serge Morand explique que d’autres éléments ont une incidence sur la santé humaine, comme la dégradation des écosystèmes, ou encore l’augmentation du bétail qui ont un lien avec la hausse du nombre d’épidémies et leur circulation. Didier Sicard insiste, quant à lui, sur le rôle de la biodiversité dans la limitation de la propagation des maladies. Une grande variété d’espèces biologiques permet de freiner la contamination car ce sont autant d’impasses, de culs-de-sac viraux qui font que le virus ne passe pas facilement d’un organisme à un autre. Un appauvrissement de cette biodiversité conduirait à une mono-espèce qui rendrait bien aisée la circulation des virus, y compris chez les hommes. C’est pourquoi ne considérer la santé publique comme n’étant qu’affaire de santé humaine n’est pas suffisant. Ce concept doit inclure la santé animale et environnementale et prendre en compte les interactions complexes entre ces systèmes, ce qui suppose un travail de collaboration entre des experts aux compétences différentes. 
En effet, comme l’explique Léo Coutellec, “la crise pandémique a rendu plus nécessaire la réflexion collective et ouverte pour essayer d’y répondre”. Alors, “comment faire vivre le pluralisme scientifique ? Comment ne pas fermer des voies de recherche ?” Cela nécessite de faire preuve d’une forme d’humilité et d’écouter d’autres experts que les seuls médecins pour comprendre les enjeux relatifs à la santé humaine et à ses relations avec son écosystème. Ainsi, l'expertise du médecin doit pouvoir croiser celle du vétérinaire mais aussi celles des anthropologues, ethnologues, sociologues et autres disciplines à même de contribuer à une lecture globale des enjeux de santé publique. Dans le cas du coronavirus par exemple, même si de récentes informations pourraient accréditer la thèse de l’accident de laboratoire à Wuhan, Didier Sicard appelle à néanmoins considérer les conditions écologiques, environnementales, industrielles ou encore géographiques qui ont également joué un rôle, ce qui invite à prendre du recul sur la situation pour en faire une analyse holistique et interdisciplinaire. 

One health : pour une approche holistique et interdisciplinaire

Au constat de l’interdépendance des défis en matière de santé globale répond le concept de “one health”. Il n’y aurait qu’une seule santé, idée qui résulterait du décloisonnement des multiples défis de santé publique. Une étude des textes de loi et de réglementation relatifs à la santé permet de constater que l’occurrence de ce concept est relativement récente. Claire Lajaunie signale qu’il est mentionné pour la première fois dans le Millenium Ecosystem Assessment en 2001, un texte pionnier dans l’évaluation des modifications subies par les écosystèmes et des conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain. La mention du “one health” ne se généralise que vers 2008 dans ces mêmes textes, pour appeler à une approche intégrée et transdisciplinaire des différents éléments jouant en matière de santé publique. C’est une démarche qui se généralise avec la prise de conscience du rôle de facteurs divers dans la naissance et la propagation des épidémies.
En pratique, cela se traduit par une coordination des initiatives, une formation à l’interdisciplinarité et l’intervention de différentes professions dans les discussions sur la santé globale. L’objectif est de penser des actions de santé publique proportionnées et mesurées, qui permettront surtout une adéquation et une compatibilité entre les réglementations aux niveaux local, régional, national et international. Cette démarche facilite, par exemple, l’étude des zoonoses, mentionnés par Frédéric Keck, ces maladies infectieuses des animaux transmissibles à l'être humain. Dans le cas du coronavirus, c’est une première identification en Chine en 2003 dans un réservoir de chauves-souris, qui mettra l’accent sur la nécessaire anticipation d’une maladie respiratoire. Un précédent qui fera prendre au sérieux par l’OMS l’alerte au coronavirus de décembre 2019. Cette approche globalisante permet donc d’agir sur les potentielles épidémies, principalement en les anticipant et en s’y préparant.

Ne considérer la santé publique comme n’étant qu’affaire de santé humaine n’est pas suffisant. Ce concept doit inclure la santé animale et environnementale et prendre en compte les interactions complexes entre ces systèmes, ce qui suppose un travail de collaboration entre des experts aux compétences différentes.

Une démarche prospective : anticiper et se préparer

Le concept de “one health” appelle à une approche holistique mais surtout prospective, orientée vers l’anticipation des éventuelles épidémies qui pourraient naître des interactions entre l’homme, l’animal et l’environnement. Selon Didier Sicard, l’humanité progresse par crises et, s’il est une chose que la récente crise doit nous apprendre en matière de santé publique, c’est l’importance de l’anticipation. Le Millenium Ecosystem Assessment, auquel fait référence Claire Lajaunie, prévoyait déjà la mise en œuvre d’actions nécessaires pour la conservation des systèmes et pour s’assurer qu’ils contribuent au bien-être humain. Leur conservation est une chose, mais leur étude doit aussi permettre de mieux connaître l’avenir épidémiologique. En matière d’anticipation, Didier Sicard invite par exemple à étudier l’écologie du moustique, son rapport avec son environnement, à essayer de le comprendre et surtout de voir comment nos actions humaines peuvent jouer un rôle dans la migration de moustiques parfois porteurs de maladies. 
Frédéric Keck propose, quant à lui, une typologie des formes d’action pour anticiper et se préparer. On y trouve différentes techniques, notamment la sentinelle. Par exemple, dans une ferme dans laquelle toutes les volailles sont vaccinées, en placer quelques-unes qui ne le sont pas à l’entrée permet aux professionnels d’être alertés si le virus circule en effet en le constatant sur les sentinelles. Les lanceurs d’alerte sont aussi, d’une certaine manière, des sentinelles, puisqu’ils perçoivent le problème et le transforment en risque au sujet duquel ils alertent la population. De manière générale, Léo Coutellec souligne qu’il est important de “se rendre plus attentif à tous les signaux d’alerte”. L’organisation d’exercices de simulation permet également de se mettre en situation dans des lieux propices à la prolifération d’un virus, tels que les hôpitaux et les aéroports. Ces simulations permettent d’être en mesure de gérer des risques de contagion et d’éviter un effet de panique. Cela permet de rendre l’extraordinaire ordinaire, de se familiariser avec des épidémies qui, si elles adviennent, risquent de prendre de court les professionnels de santé et la population de manière générale. Cette mise en acte par l’imagination assure une forme de préparation en cas de pandémie.

La pandémie actuelle a accentué la nécessité de penser la santé et les enjeux qui y sont relatifs de manière globale. Cette situation rappelle l’importance de considérer les interactions entre les différents éléments composant un écosystème et d’appréhender santés humaine, animale et environnementale de manière décloisonnée et interdépendante. En réponse à cela, le concept de “one health” appelle à faire plus d’efforts pour une conception de la santé publique comme étant l’affaire d’experts variés et pas seulement des seuls spécialistes de la santé humaine. Ainsi, anticiper de potentielles épidémies et s’y préparer est plus aisé lorsque l’on sait l’influence que certaines espèces animales ou que certaines évolutions de la biodiversité peuvent avoir sur la santé de l’homme.

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