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Trouble de conscience permanent et législation sur la fin de vie : l’incertitude comme boussole

En somme, l’incertitude et le doute restent probablement les seules boussoles raisonnables de l’arrêt des thérapeutiques en réanimation chez ces patients souvent jeunes traumatisés, sans maladie sous-jacente, sans directive anticipée ni personne de confiance désignée.

Par: Anne-Claire de Crouy, Médecin chef de service de médecine physique et de réadaptation, CMPA, Neufmoutiers / Jonas Pochard, Médecin Anesthésiste Réanimateur, département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bicêtre - APHP – Université Paris Saclay /

Publié le : 07 Juillet 2023

Après les lois de 2005 et 2016, alors que la réflexion est engagée pour une troisième loi sur la fin de vie en France, il nous semble que la situation très particulière et rare des patients présentant un trouble de conscience permanent à la suite d’une affection neurologique aiguë occupe un espace médiatique et symbolique paradoxalement disproportionné via quelques cas surmédiatisés et utilisés comme sujets de mobilisation politique par des associations militantes.
Nous parlons ici de personnes dont le handicap neurologique est tel qu’elles ne peuvent plus déglutir, pas même leur salive, ce qui les rend dépendantes d’une machine de ventilation ou d’une trachéotomie pour protéger leurs poumons et respirer correctement. Elles sont aussi durablement dépendantes d’une alimentation entérale par sonde naso-gastrique ou gastrostomie. Elles sont également dépendantes des soignants pour tous les actes de la vie quotidienne (toilette, habillage, installation au fauteuil, changement de position régulier pour prévenir escarres, positions vicieuses et douleur). Le trouble de conscience est objectivé par des tests qui montrent une interaction absente ou très inconstante avec l’environnement, sans communication fiable ni possibilité d’utiliser aucun objet.

Maintenir la place centrale du dialogue

La profondeur du handicap après une lésion neurologique aiguë, traumatique ou non, ne peut pas être anticipée mais seulement constatée après plusieurs semaines voire mois d’observation clinique. De ce fait, en réanimation, une intensité maximale de soins est le plus souvent prodiguée à la phase initiale, en dehors de situations désespérées caricaturales. Passée cette période de réanimation intensive, l’incertitude est partout ; dans le pronostic exact, dans ce qu’aurait pu souhaiter la personne blessée première concernée qui ne peut plus s’exprimer, dans la personne de son entourage qui la représente le mieux et dans la place que les autres proches vont lui laisser pour s’exprimer.
Pour élaborer et assumer une décision acceptable dans ces circonstances, il faut que les soignants et les proches puissent explorer ensemble leurs doutes et leurs questionnements chacun de leur place avec leur savoir et leur ignorance. Il faut que les proches puissent raconter qui était cette personne avant l’accident et il faut que les soignants puissent raconter ce qu’est un trouble de conscience permanent et les soins désormais nécessaires du fait d’un handicap majeur. Les expressions de ces deux réalités du patient, lorsqu’elles ne font pas consensus autour de ce que représente une « bonne vie », sont à l’origine de potentiels conflits ; pourtant, malgré la possibilité d’aide extérieure, nous restons convaincus que rien ne doit modifier la place centrale de ce dialogue pour décider de laisser survivre une personne dans des conditions qui, de l’extérieur, peuvent apparaitre comme inacceptables.
En somme, l’incertitude et le doute restent probablement les seules boussoles raisonnables de l’arrêt des thérapeutiques en réanimation chez ces patients souvent jeunes traumatisés, sans maladie sous-jacente, sans directive anticipée ni personne de confiance désignée. 
Depuis 2002, par une circulaire, la France a décidé d’offrir à ces patients des lieux de soins et de vie dédiés, avec un financement qui n’engage pas le patrimoine de la personne et de ses descendants. Sans répondre à la question de ce qui est souhaitable pour chacun, cela offre la possibilité de soins dignes dans la durée, quelles que soient les ressources de la personne handicapée.
Que peut-on donc attendre d’une nouvelle loi dans cette situation précise ? Peut-être une incitation à ce que chaque citoyen nomme une personne de confiance. La loi actuelle ne hiérarchise pas les proches et rend le processus délibératif inopérant en cas de conflit intra-familial alors que la violence de l’accident, la gravité du handicap et la difficulté du processus de décision sont propices à exacerber les tensions inévitables dans une famille. La loi actuelle propose que la personne désignée par le patient comme « personne de confiance » puisse représenter le patient dans le processus délibératif visant à prévenir toute obstination déraisonnable mais peu de gens en bonne santé comprennent l’importance de cette démarche en cas d’accident. Souhaitons que ce temps d’échange citoyen permette d’explorer les enjeux réels d’une nouvelle loi sur la fin de vie.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie