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Un espoir rassurant

L’intention de ce texte est de partager des observations éparses sur le monde que nous vivons, au-delà de lasituation particulière évoquée. Il s’agit d’une exploration menée dans un esprit de curiosité.

Par: Isabelle Pellausy , Ecrivain public, biographe hospitalier /

Publié le : 06 Janvier 2021

Dans la période sanitaire du covid, un EHPAD embauche du personnel supplémentaire en soutien aux équipes essoufflées par la répétition du surplus des tâches et les contraintes liées à la pandémie, lourdes à la longue. Engagée à ce titre, je suis présentée dans la structure comme ce renfort attendu et l’accueil est chaleureux. Considérant mes bras menus et mon petit gabarit,je m’étonne, souriant intérieurement d’être désignée par ce mot renfort.
Dans la fiche de poste, la fonction est définie par l’expression auxiliaire médicale en EHPAD. Pour réfléchir à ces deux termes, il me semble intéressant que mon travail soit décrit.

C’est peu de choses, ce que je fais.
C’est tout à la fois simplicité et intensité.
Il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.
Des actions visibles et d’autres, invisibles.
Visible: la répartition des Équipements de Protection Individuelle dits EPI dans les différents couloirs de la résidence.
Visibles aussi: organisation des visites, accueil des familles, rappel des gestes nécessaires à l’entrée dans la structure - gel, masque, contrôle de température, distanciation – et désinfection des lieux.
Et puis tout l’invisible.
Cela se passe dans la chambre de chaque résident. Selon les indications qui me sont données par les autres professionnels, je rends visite à tel ou tel.
Toquer à la porte, me présenter, demander l’autorisation d’entrer et simplement dire Je viens passer un moment avec vous.
Être là pour papoter sans motif, et être en présence pour offrir un temps d’échange de paroles.
Être en sourire, et transmettre le sourire malgré masque, surblouse et charlotte de rigueur.
Laisser passer les écueils douloureux tels que J’avais une maison que mon frère a vidée.
Ouvrir des pistes souriantes quand elles se présentent, par exemple J’ai mangé dans les restaurants les plus chics de Paris.- Ah bon! Racontez moi ça...
Cette mission auprès des résidents est sobre et seulement centrée sur la gratuité du temps accordé: point de but planifié, point de geste technique – même si l’écoute active et la présence à autrui pourraient en relever.
Comme un supplément, en addition, en complément de tout le soin prodigué dans la structure.
Seulement du temps pour être ensemble en courtoisie et dilettante: Ça fait du bien de parler, ça met du mouvement dans tout le corps! Du temps aussi pour une visite qui est reçue comme un bout de vie sociale Mettez-vous à votre aise. Les expressions des résidents en fin de visite formulent cet aspect: Je vous remercie de votre visite, Je vous raccompagne jusqu’à la porte, Revenez me voir quand vous voulez. Et j’ai toujours à remercier de l’accueil qui m’est accordé.

En quoi suis-je un renfort?
Quand je considère le mot renfort chez mon compagnon Robert1, j’y lis la notion de force, alors que ma mission relève de la douceur et de la discrétion.
Puis je lis la référence à une armée qui serait en situation difficile – ici peut-être les équipes soignantes bousculées dans leurs tâches, leurs rythmes, leurs gestes, depuis plusieurs mois.Comme le filage de la métaphore guerrière dans le contexte du covid est récurrent! Je cherche dans la vie de la structure les références belliqueuses, et ne trouve que bienveillance et attention.
Continuant ma prospection du mot renfort, je note consolidation. Cela sous-entend une participation à une solidité collective, et elle existe bel et bien, vive.
J’arrive au mot épaulement, et cela sonne juste, vrai, humain aussi. L’épaulement, c’est le geste sur l’épaule associé à une parole adaptée à certaines circonstances. L’épaulement, c’est les corps resserrés sous un poids à porter, et des épaules qui s’associent les unes aux autres pour que lamasse en hauteur reste ainsi soulevée, sans s’effondrer au sol, pour qu’elle tienne là où elle doit être maintenue et ensuite être positionnée correctement, en paix et bonne place.
Mais mon compagnon Robert se permet parfois des détails cocasses: il définit le renfort comme la partie la plus épaisse de la culasse d’une pièce d’artillerie. Outre la poursuite de la métaphore guerrière, l’expression est peu amène pour une jeune femme! Passons...
Enfin, Robert signale l’usage du mot dans l’expression avec le renfort de, et donne en équivalence cette autre expression à l’aide d’une grande quantité de. Alors il me semble reconnaître mes missions : être-avec et, à ma mesure, participer à une amplitude dans une respiration collective continue.

À ceux qui me demandent ma fonction, je réponds auxiliaire. Ce mot plaît à mon goût du langage et des verbes conjugués! Surtout, il désigne, toujours selon mon compagnon Robert2,une action utilisée en second lieu, en ajout, en addition des actions déjà présentes.
Et puis, comme dans la conjugaison, l’auxiliaire participe à la composition de certains temps.Ainsi, l’auxiliaire que je suis fait en sorte de déployer le temps de présence auprès des résidents,temps composé avec celui donné par les autres professionnels. Conjuguer ces présences, c’est dire que la vie continue.

Mais finalement, l’essentiel est le sens de ce travail, plus que le sens des mots qui le désignent.En effet, c’est un espoir rassurant qu’une structure embauche ce personnel en renfort auxiliaire pour participer aux efforts de protection contre le virus et apporter sa part dans la conjugaison du vivant. Une structure prend ainsi en considération le besoin matériel des équipes et le besoin immatériel des résidents, en tant qu’expression d’humanité partagée, simple, fragile et ténue,reconnue comme nécessaire. Là est l’espoir rassurant alors que la période nous envahit de chiffres froids.

J’ajoute, en clin d’œil, que le portillon de la structure s’ouvre en appuyant sur la touche Étoile. En cette saison automnale et dans ces temps moroses, malgré les incertitudes et les contraintes, ce texte invite simplement à voir qu’il demeure, ici ou là, une étoile qui veille.

9 novembre 2020

Références

  1. REY-DEBOVE Josette et REY Alain, Le nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2002, p. 2242.
  2. REY-DEBOVE Josette et REY Alain, Le nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2002. p. 190.