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Vie en situation de handicap : vous avez dit "charge mentale" ?
"Oui, mon quotidien est une charge mentale quasi-permanente, voire permanente tout court. De la décision à l’accomplissement de ces gestes substitués, je pourrai très bien tout laisser faire à mes aidantes et ne me soucier de rien, être nourrie, lavée, habillée, maquillée. Une grande solution de facilité selon moi. Un non-désir de se prendre en charge et un refus d’être pleinement responsable. Bref, ce n’est pas comme ça que je vois les choses et surtout ce n’est pas comme ça que je forme ma vie !"
Par: Félicie Gatinet-Pénau, Écrivain, personne vivant avec un handicap /
Publié le : 02 Avril 2021
"Burn-out", "épuisement professionnel", "charge mentale" ?
Et si je vous parlais de vie active et de charge mentale lorsqu’on est femme en situation de handicap, trente-cinq ans, dépendante à 80% des gestes de la vie quotidienne, toujours célibataire, sans emploi, mais autodéterminée et 100% autonome.
Ah, l’autonomie... J’en parle beaucoup par bribes mais au fond, suis-je vraiment comprise sur cette notion ? Je n’en suis pas si certaine. A 80% dépendante mais à 100% autonome, j’entends que l’adéquation puisse poser encore quelques questions. Alors aujourd’hui, je vais tenter d’être plus concrète en vous partageant mon ressenti sur la vie active que je mène et sur la charge mentale que celle-ci m’occasionne. A travers ces mots, je ne parlerai pas au nom des personnes handicapées physique – je n’aime pas les généralités -, mais je penserai fort à elles qui pour beaucoup, vivent cette réalité. Parce qu’aujourd’hui, j’en ai marre qu’on associe le travail à la notion de salaire, de rentabilité, ou encore de contribution à la société. Parce qu’aujourd’hui, il est peut-être temps que j’arrête de culpabiliser pour trois sous et pour une histoire de normes.
Oui, pendant longtemps, je culpabilisais de ne pas être dans le monde du travail comme tout le monde et, disons-le franchement, de recevoir des allocations de l’Etat « sans rien faire ». Et puis, récemment une amie, elle-même en situation de grande dépendance physique et ayant suivi la même formation que moi à l’autonomie à l’institut de Chinon, sembla avoir déjà éprouvé le même genre de sentiments. Elle m’a donc fait réaliser, que certes, nous étions sans travail, à proprement parler, mais que notre quotidien lui-même était un travail. Nous avons effectivement bataillé pour devenir autonomes mais, évidemment, sans aucun diplôme en retour. Alors quand on débarque dans cette société plutôt en grande méfiance envers les personnes handicapées, et qu’on revendique notre « parfaite » gestion du quotidien, et ce malgré nos mille et une incapacités motrices, la défiance est encore plus grande. Il nous faut donc redoubler d'efforts pour prouver notre statut de véritables « pilotes de ligne », et non plus que « légumes ». Osons dire ce que certaines personnes pensent probablement tout bas, mais osons aussi remettre la réalité à sa place.
Une réalité qui dérange ?
Oui, mon quotidien est une charge mentale quasi-permanente, voire permanente tout court. Comme je l’exprimais plus haut, il y a 80% de gestes que je ne peux faire seule ou très difficilement. De la décision à l’accomplissement de ces gestes substitués, je pourrai très bien tout laisser faire à mes aidantes et ne me soucier de rien, être nourrie, lavée, habillée, maquillée. Une grande solution de facilité selon moi. Un non-désir de se prendre en charge et un refus d’être pleinement responsable. Bref, ce n’est pas comme ça que je vois les choses et surtout ce n’est pas comme ça que je forme ma vie !Du matin au soir, je planifie, j’organise, j’anticipe les tâches à effectuer pour moi, chez moi. Et me situant dans la catégorie des gens plutôt minutieux, je peux vous dire que je suis assez « chiante » sur la manière dont on fait les choses pour moi, chez moi, et avec moi. Même si au fil des années, j’ai dû par la force des choses apprendre à lâcher du lest. Imaginez-vous un seul instant être privé de vos fonctions motrices et de devoir faire appel à quelqu’un pour vous aider. Tous les gestes qu’il effectue pour vous et espérons, au plus près de vos souhaits, vous les dessinez mentalement. Mais il est évident qu’entre ce que vous pensez, désirez, et ce que l’autre fait, il y a un fossé, parfois un précipice, d’autres fois, une cascade. Loin de vouloir me victimiser, ni même vous culpabiliser, j’essaye simplement d’attirer les consciences sur le fonctionnement de pensée que peut avoir une personne vivant avec un handicap physique.
Pour « faire faire », j’ai dû apprendre à demander. Apprendre sans vraiment apprendre d’ailleurs. « S’il vous plaît. Merci. Merci beaucoup. Si ça ne vous dérange pas. C’est très gentil à vous. Ça va ? Ce n’est pas trop dur ? » Ces formules, je dois les répéter une trentaine de fois sur une matinée. Étant dépendante de quelqu’un pour la plupart des gestes du quotidien, et même si j’y travaille, je me sens presque continuellement redevable. Redevable au point de me soucier régulièrement du bien-être de mon aidant. Et pour tout vous dire, parfois, pour ne pas dire souvent, je me demande bien qui aide qui. Bien sûr, tout est relatif, j’entretiens des relations à doubles sens, basées sur une écoute et une empathie mutuelle. Cependant, celles-ci restent rares. Bien sûr, mes demandes poliment formulées, ainsi que la bienveillance que je m’évertue à préserver dans la relation avec mes aidantes, sont sincères et naturelles. Mais parfois, c’est trop, je le sais.
Parfois, j’aurai juste envie qu’on vienne faire ce qu’il y a faire et c’est tout, point barre. Je dis ça mais celles qui ne sont pas du tout dans le relationnel – et il y en a ! -, me déstabilisent aussi ! Alors avec celles avec qui le courant passe plus ou moins, les jours où je n’ai pas la patience d’être avenante, où je n’ai pas envie de répondre à leurs questions maladroitement posées ; où j’ai juste de répondre du tac au tac, de répondre ce qui me vient à l’esprit, au rythme de mon humeur fatiguée et irritable ; et les jours où leurs manières de faire me tendent, là elles ne comprennent pas. Certaines me font comprendre que je suis difficile – combien de fois ce qualificatif m'a-t-il collé à la peau ? - d’autres m’expriment clairement que ce n’est pas facile de communiquer et qu’on marche sur des œufs avec moi ! Il faudrait être semble-t-il être toujours linéaire, dans une relation si complexe où intimité et professionnalisme se mêlent. Quant à elles, qui se disent bienveillantes, mettent leurs problèmes de côté, sont toujours avenantes... Une nouvelle fois, elles semblent confondre ma situation avec la leur. A travers leurs gestes et leur travail, bien sûr, qu’elles le sont, pour la plupart, bienveillantes. Comble ou pas, je m’égare, pardon. Ça doit être encore frais. Ou bien chaud. A votre convenance !)
L’adaptation ne s’arrête pas là. En dix ans de vie à domicile, j’ai ouvert les portes de mon intimité à deux cents auxiliaires environ. Évidemment, du caractère à la façon de travailler, en passant par la manière de m’aborder, elles sont toutes différentes, voire très différentes, les unes des autres. Alors que je devrai me soucier uniquement de ce qu’il y a à faire pour moi et chez moi, je passe encore du temps à penser les tâches en fonction de chacune. Et encore. Cadence, Rythme, qualité de travail, humeurs – des deux côtés, je l’accorde -, conversations qui s’éternisent – plutôt côté unilatéral -, il n’est pas rare que je ne parvienne pas aux fins que j’avais prévu. C’est reparti pour de nouveau penser le lendemain, le surlendemain, le jour d'après. Quand elles partent de chez moi, à midi en général, j’ai l’impression d’avoir fait les trois quarts de ma journée. Demander, vérifier, « faire-faire », laisser faire, s’adapter, confier son intimité à la cadence de ses désirs, tout cela prend un temps et une énergie considérable.
Si je dois renouveler mes droits, je dois justifier qu’aucun miracle n’est encore tombé sur ma situation de handicap. Si je me rends dans un simple magasin, je dois user de ma meilleure élocution, ce qui pour moi est un exercice de chaque instant ; dorénavant masquée, donc rapidement à bout de souffle, je dois textoter ma liste de course
Question de chance ou pas, j’apprécie mes après-midis et mes soirées sans aide, mais à quel prix ? Tous les gestes qui me reviennent, aussi banales soient-ils, relèvent d’une séance de sport, « mini » mais intense ! Au-delà, je dois encore planifier, organiser, prévoir, justifier... Si je souhaite me déplacer en dehors de ma ville, je dois faire une demande de Transport adapté au minimum quarante-huit à l’avance. Pas d’imprévus possibles quand on est handi. Si je rencontre, pour exemple, un nouveau professionnel de santé , par écrit – chance supplémentaire à la crédibilité -, je dois non seulement me soucier du fait qu'il puisse - accessibilité des lieux - et veuille bien m’accueillir - au regard de ma situation de handicap , rassurer ma condition, mouvementée mais bien crédible. . . Sur ce point, je peine encore à m’imposer d’emblée. Si je dois renouveler mes droits, je dois justifier qu’aucun miracle n’est encore tombé sur ma situation de handicap. Si je me rends dans un simple magasin, je dois user de ma meilleure élocution, ce qui pour moi est un exercice de chaque instant ; dorénavant masquée, donc rapidement à bout de souffle, je dois textoter ma liste de course et tendre au rythme des tremblements mon portable à l’interlocuteur qui parfois ne me décroche pas un mot. A ce sujet, je dois en crisper plus d’un.
Une fois que j’ai pensé et construit ma vie, je peux enfin me consacrer à mes projets - sans rémunération mais tout aussi valorisant - , et j’espère quelques peu contributeurs à l’évolution de la société : écriture, sensibilisations au handicap, « formations » diverses et variées... J’essaye aussi de passer du bon temps, mes proches m’y poussent ! «J’essaye », parce que oui, je culpabilise, et facilement ! Je culpabilise car lorsque l'on est porteur d’un handicap, tout prend cinq fois plus de temps , voire plus. Je culpabilise parce que selon moi, je n’en fais jamais assez, et ce que je fais ne vaut pas une vie professionnelle. Et pourtant, lorsque je suis clouée au lit une à deux fois par mois, je culpabilise encore. Parce que j’ai besoin de besoin de me sentir vivante ; j’ai besoin d’accomplissement, de création ; j’ai besoin de mettre ma vie au carré comme un éternel besoin d’exister, de vivre à juste titre !