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editorial
Concilier morale et progrès biomédical
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 26 Octobre 2010
Publié dans Le Monde, 23 octobre 2010
Depuis le 29 juillet 1994, la France s’est dotée d’une législation relative à la bioéthique. Sa révision était jusqu’à présent fixée tous les cinq ans, afin de produire un encadrement équilibré et adapté aux évolutions et innovations biomédicales. Ainsi la loi du 6 août 2004 autorise-t-elle, à titre dérogatoire, les recherches sur l’embryon pendant cinq ans à dater de la publication du décret d’application. Tenant compte des données scientifiques actualisées et des différentes argumentations que suscite une question aussi sensible, le législateur devra parvenir à proposer un arbitrage recevable avant le 6 février 2011. C’est ainsi que notre pays s’est efforcé d’élaborer une bioéthique à la française, dans le cadre d’une large concertation qui s’est renforcée en 2009 avec l’organisation d’états généraux de la bioéthique. Les principes fondamentaux de la bioéthique affirmés dans la loi de 1994 (dignité humaine, primauté de l’être humain) constituent la référence indispensable à l’examen constant des conditions d’exercice de la recherche biomédicale. Il importe, selon une approche pluraliste et dans la plus grande transparence, d’en apprécier les justifications, l’usage qu’il en est fait, d’évaluer ses impacts et l’acceptabilité sociale de ses applications. Nos repères bioéthiques résisteront-ils toutefois encore bien longtemps à la montée en puissance de mentalités et de logiques, notamment financières, qui s’insinuent dans la gouvernance de la recherche biomédicale au point d’en fixer les objectifs, les méthodes, et de produire des normes souvent peu soucieuses du bien commun ? L’intitulé du rapport publié en janvier 2010 par la mission parlementaire d’information sur la révision des lois de bioéthique s’avère à cet égard significatif d’une double exigence qui semble pourtant ne plus s’imposer d’emblée : « Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine. (1)» Comment, en effet, concilier les principes estimés supérieurs avec les contraintes d’une recherche biomédicale menée au plan international selon des critères, des procédures et des finalités susceptibles de bouleverser nos valeurs et notre cohésion sociale ? Il est du reste éloquent que les textes internationaux de bioéthique renforcent plus que jamais les mises en garde à l’égard des dérives, abus, discriminations inhérents à un usage inconsidéré et parfois dévoyé de la biomédecine. La convention d’Oviedo affirme la nécessité de prendre en compte les graves inquiétudes induites par « des actes qui pourraient mettre en danger la dignité humaine par un usage impropre de la biologie et de la médecine (2)». Le législateur a désormais conscience de l’urgence d’une nouvelle expression de la responsabilité bioéthique. Elle ne saurait se limiter au seul énoncé d’un texte de loi que défient les effets d’annonces et des pratiques en laboratoire difficilement contrôlables, ne serait-ce que dans une démarche d’anticipation de leurs conséquences.
Le constat est évident : alors qu’elle n’est jamais parvenue à une telle efficience, la recherche biomédicale semble parfois dériver sur des territoires improbables, à la fois fascinants et terrifiants par les perspectives qu’elle propose à la transformation de l’homme au-delà de la condition humaine. L’idée même de médecine semble questionnée par des pratiques dont la signification thérapeutique s’avère incertaine. Il ne paraît pas insensé de se demander si les droits de l’homme préserveront une certaine pertinence là où d’autres principes et finalités s’imposent insidieusement, au nom d’un « bien » dont on n’ose plus même discuter les justifications. « L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science. (3)» Peut-on encore soutenir sans réticence une telle résolution ?
Les nouveaux domaines où s’exerce la biomédecine, l’annexion de l’humain par des systèmes et des techniques qui pénètrent jusque dans les replis de l’intimité et visent à reformuler l’identité, à modifier les comportements constituent autant de faits inédits qui intriguent, provoquent, inquiètent. Qu’en est-il de l’idée de santé ou de la notion de « démocratie sanitaire » dans un environnement biomédical épris d’une volonté d’amélioration, d’augmentation, de transformation de l’homme au-delà de sa condition ? Fasciné également par sa capacité d’intervention, y compris sur les générations futures. Recourant aux techniques de sélection, de tri, de recombinaison, voire de reconfiguration de l’humain équipé de prothèses, de dispositifs implantables défiant les lois de la nature. À cet égard la génétique ne constitue qu’un aspect plus apparent que d’autres de menaces difficilement contestables exercées sur les droits de la personne et le respect de sa sphère privée. Le concept même de responsabilité scientifique semble équivoque au moment où les capacités de manipulation du vivant sont susceptibles d’affecter ce qui lui est constitutif. Les neurosciences, les nanotechnologies, la convergence des technologies justifieraient une approche du législateur et des autres instances concernées. Elle fait actuellement défaut, comme si déjà nous ne parvenions plus à cerner des phénomènes qui défient nos concepts. L’appropriation et l’exploitation des savoirs, la brevetabilité des éléments et produits du corps humain sont à la source d’injustices et de scandales qui deviennent insoutenables. Les thématiques de recherche biomédicale visent une solvabilité et plus encore un retour sur investissement qui méprisent l’intérêt général et révoquent les causes indignes de la convoitise incontrôlable des marchés financiers. Celles, par exemple, des sans voix qui meurent, faute de traitements, dans l’assourdissement de promesses inconsidérées ou de prouesses réservées à une élite de pourvus fascinés par l’idéologie marchande d’un progrès sans entrave. Nos controverses bioéthiques sophistiquées apparaissent dès lors indécentes à ceux qui attendent de la biomédecine l’accès à des traitements vitaux pourtant disponibles.
L’exercice de nos responsabilités bioéthiques tient à la qualité d’un débat démocratique qui doit viser à renforcer nos valeurs communes dans la détermination des missions confiées aux chercheurs et aux médecins intervenant dans le champ de la biomédecine. Il ne saurait être délégué à quelques compétences ou expertises savantes reconnues dans une autorité qui nous exonérerait d’un devoir de pédagogie, de réflexion et de concertation publique. Une même attention doit être témoignée aux questions bioéthiques « d’en haut », celles qui touchent aux mutations biomédicales et contribuent trop souvent à éloigner le médecin de sa mission première, et à celles « d’en bas » qui nous ramènent au quotidien, à la singularité et à l’humilité de l’acte de soin. Faute d’une culture partagée de la réflexion bioéthique, les positions extrêmes risquent de conforter des postures de résistance, de renforcer l’idéologisation des pratiques biomédicales, d’accentuer des clivages et les injustices au sein de la société ainsi que dans nos relations avec les populations des pays émergeants souvent plus exposées que d’autres aux ravages de la maladie. Au cours de cette révision de la loi relative à la bioéthique, le législateur aura comme défi supplémentaire le devoir de faire prévaloir les principes de la démocratie dans un environnement biomédical où s’accentuent les vulnérabilités, s’effritent nos solidarités et dominent en trop de circonstances les intérêts individualistes. Il nous faudra donc peut-être réinventer ensemble une conscience bioéthique, lui conférer la portée d’un engagement éthique et politique afin d’être unis, crédibles et résolus dans une démarche qui sollicite à la fois courage et prudence.
Notes:
(1) A. Claeys, J. Leonetti, « Révision des lois de bioéthique. Favoriser le progrés médical. Respecter la dignité Humaine », Rapport d’information n° 2235, Assemblée Nationale, janvier 2010.
(2) Convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, Conseil de l’Europe, 4 avril 1997.
(3) Convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, Conseil de l’Europe, 4 avril 1997, article 2, « Primauté de l’être humain ».