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Coronavirus : réponse adaptée mais réflexion nécessaire
"Dans l’hypothèse d’une crise sanitaire, si la transparence, la loyauté et la justice s’imposent, encore est-il nécessaire d’affirmer une doctrine qui explique et justifie la hiérarchisation de choix."
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 04 Février 2020
Texte publié dans Le Figaro, lundi 3 février 2020
En Chine, le nombre de victimes du Coronavirus ne cesse de s’alourdir. L’OMS considère que la menace épidémique est désormais élevée. Rien ne nous indique cependant à cette heure que la situation en Chine préfigure ce à quoi d’autres pays pourraient être confrontés. Depuis l’épisode du H1N1 en 2009, les autorités sanitaires ont su acquérir des compétences dans le suivi des situations de crise. En témoigne aujourd’hui la stratégie de suivi et de communication en place en France dont chacun reconnaît la qualité.
Sans ajouter une inquiétude supplémentaire aux questions que chacun se pose, il convient toutefois d’évoquer ce que pourrait être l’approche démocratique d’une situation épidémique. Nous avons été impliqués dans la réflexion éthique relative au H1N1, y consacrant un ouvrage collectif toujours actuel: Pandémie grippale : l’ordre de mobilisation (Éditions du Cerf, 2009). La menace de crise sanitaire liée aux éventualités d’une épidémie qui peut prendre la forme d’une pandémie suscite nombre de dilemmes éthiques.
La difficulté des décideurs et des experts se situe dans le juste équilibre à trouver entre les choix qui s’imposent et ceux qui pourraient être contestés par la suite : soit parce qu’ils s’avéreront carentiels, soit parce qu’ils apparaîtront excessifs.
Dans l’hypothèse d’une crise sanitaire, si la transparence, la loyauté et la justice s’imposent, encore est-il nécessaire d’affirmer une doctrine qui explique et justifie la hiérarchisation de choix. Selon quelles règles établir les procédures d’intervention dans la gestion au quotidien de la crise, dès sa phase préparatoire et jusqu’à son issue ? Dans un contexte de péril évoluant sur une durée plus ou moins longue, qu’en est-il du respect de nos principes fondamentaux ? Quelles instances en sont garantes ?
On le constate en Chine, la gestion d’une crise sanitaire peut justifier l’entrave à la circulation des personnes et à la tenue de réunions publiques, mais également d’autres mesures plus coercitives comme l’isolement, la quarantaine, l’obligation à la prophylaxie, aux traitements. En démocratie, comment mettre en œuvre ces mesures ? Selon quels critères ? Le contexte spécifiquement français, à la suite de mois de contestations et de violences publiques, ne serait pas sans avoir des conséquences dans l’approche sécuritaire des événements.
La critique des légitimités et des expertises dans le contexte des réseaux sociaux relativise la signification des messages diffusés et fragilise les procédures initiées par la puissance publique. Comment parvenir à surmonter les obstacles de la défiance? L’atomisation des intérêts individuels dans un contexte qui privilégie l’autonomie s’oppose trop souvent à l’intérêt général. Il convient d’en tenir compte dans l’éventualité de mesures contraignantes, susceptibles de restreindre les libertés individuelles, voire d’envisager un triage dans l’accès aux traitements.
En cas de crise majeure la menace est évidente d’une dissolution possible du lien social. Certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres : personnes malades, en situation de perte d’autonomie ou de handicap, incarcérées, en institution, précaires car sans domicile. Elles peuvent, tout particulièrement en de telles circonstances, éprouver le sentiment d’être exclues des priorités nationales. Comment honorer à leur égard le principe de justice ?
Pour une instance de réflexion dédiée
Des critères de hiérarchisation des priorités s’imposent dans l’accès aux dispositifs préventifs ou de prophylaxie : en cas de pénurie qui doit en bénéficier ? Dans le cadre des hospitalisations une attention particulière doit être portée aux décisions en soins intensifs. Comment éviter d’accentuer la vulnérabilité des personnes présentant d’autres pathologies pour lesquelles l’urgence épidémique ferait perdre une chance de bénéficier d’un traitement ? La création d’instances d’aide à la décision peut parfois se justifier.
Le système sanitaire pourrait être saturé. Le vécu de la maladie aurait dès lors pour cadre le domicile. Quelles solidarités envisager en ville mais aussi dans des zones moins urbanisées déjà affectées par les carences du service public de proximité ?
Qu’en est-il des obligations (réquisitions), du droit de retrait, des droits à une indemnisation en cas de contamination ou de décès ?
Les valeurs engagées dans un contexte de crise extrême de santé publique tiennent au respect des principes de dignité et de justice, à la bienveillance et à nos solidarités pratiques. Ne conviendrait-il pas de mettre en place dans notre pays une instance de réflexion dédiée à l’anticipation et au suivi des crises sanitaires d’un point de vue éthique et sociétal ? C’est en démocrates que nous devrions assumer, si nécessaire, l’état de mobilisation.
En savoir plus : Consulter, via les liens situés à droite, les deux numéros de la revue PandÉmiqueS.