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Dons d’organes : pour le respect de la volonté de chacun

"La personne morte va, par sa générosité, permettre à plusieurs malades de revivre. Les taux de guérison sont aujourd’hui considérables et le seul important échec, statistiquement, n’est plus la complication chirurgicale ou le rejet du greffon mais « l’absence de greffe », c’est-à-dire la mort du patient inscrit sur la liste d’attente et n’ayant pas pu bénéficier d’une greffe en raison de la pénurie d’organes. « Pénurie » véritable ou organisation défectueuse ?"

Par: Jean-Louis Touraine, Député de la 3e circonscription du Rhône /

Publié le : 04 juin 2015

Le don d’organes représente la forme la plus perfectionnée de la solidarité entre les hommes. Parfois, le donateur exprime sa générosité de son vivant en acceptant de faire don de l’un de ses reins à un frère, une sœur, un proche qui, sans cela, serait condamné. Plus souvent, le prélèvement est effectué post-mortem, sur un sujet en état de mort cérébrale. La personne morte va, par sa générosité, permettre à plusieurs malades de revivre. Les taux de guérison sont aujourd’hui considérables et le seul important échec, statistiquement, n’est plus la complication chirurgicale ou le rejet du greffon mais « l’absence de greffe », c’est-à-dire la mort du patient inscrit sur la liste d’attente et n’ayant pas pu bénéficier d’une greffe en raison de la pénurie d’organes. « Pénurie » véritable ou organisation défectueuse ? L’Espagne, le Portugal, la Belgique ne souffrent pas de la même pénurie. Quelle est la cause, chez nous ?

Parmi les personnes qui décèdent et chez lesquelles le prélèvement est techniquement possible, un nombre équivalent de sujets sont l’objet de prélèvement ou de refus de prélèvement dans notre pays. La  moitié des Français s’opposent-elle à cette action de solidarité, de générosité altruiste, à ce don de vie ? Non, toutes les enquêtes d’opinion, tous les sondages parviennent aux mêmes chiffres : 80 à 90% des Français souhaitent donner leurs organes au-delà de leur mort pour sauver d’autres personnes.

Où est le problème ? Il réside dans le fait que, malgré les campagnes d’information, la plupart des personnes n’ont pas exprimé clairement, de leur vivant, leur opinion précise sur le sujet. Au moment du décès, les proches, consultés pour transmettre la volonté du défunt, ne savent que dire. Nombre d’entre eux ont formulé cette angoisse : pourquoi est-ce à moi de prendre cette décision douloureuse ? En vérité, ce n’est pas la décision de la famille que sollicite la législation française, c’est l’avis du défunt transmis par ses proches et, si aucun avis contraire n’avait été précédemment formulé par la personne, le prélèvement est autorisé.

La difficulté, dans un tel dispositif, réside donc dans le fait de répondre à une question impossible. Que pensait, de son vivant, une personne maintenant décédée mais qui, dans 90% des cas, n’a pas explicitement manifesté son avis ? Faute d’indication, les membres de la famille substituent leur propre sentiment à celui du donneur potentiel. Il suffit que l’un d’entre eux exprime de fortes réticences, les autres étant d’accord, pour que le prélèvement soit annulé. Dans ce moment de deuil qui sidère la famille, la réflexion est souvent malaisée et douloureuse. Il est fréquemment arrivé que ces proches reviennent voir l’équipe médicale après quelques jours en exprimant des remords d’avoir privé des malades d’une chance de vie ; certains ont même alors présenté une carte de donneur qu’avait rempli le défunt alors désireux de donner ses organes … mais il est trop tard.
Les nouvelles dispositions législatives visent à assurer le respect de la volonté de chacun sur la libre disposition de son corps et de ses organes, au-delà même du décès. Elles prévoient une information amplifiée des Français sur cette question et une facilité pour toute personne opposée au don de s’inscrire sur le registre des refus ou sur un autre support également très accessible et défini dans le prochain décret en conseil d’État. Il sera alors légitime de postuler que les personnes n’ayant pas effectué la démarche d’inscription sont de l’opinion majoritaire de la population : favorable au don. Après une discussion approfondie avec la famille du défunt, le prélèvement pourra alors être organisé. Pourquoi ne pas prévoir également un registre des acceptations ? Parce que pratiquement personne ne s’y inscrit quelles qu’en soient les raisons : négligence, superstition, etc. La Belgique et d’autres pays ont tenté l’expérience de ce registre du « oui ». Moins de 2% de la population est inscrite, en dépit d’une très forte médiatisation.
Que faire lorsqu’une famille manifeste une opposition résolue alors même que le défunt ne s’était inscrit sur aucun moyen d’expression du refus ? Évidemment ne pas prélever, règle qui a toujours et sera toujours appliquée dans le domaine de la transplantation. Cela représente, on le sait, 7 à 10% des cas. Jamais aucun prélèvement ne sera effectué sur un adulte sans dialogue préalable, précis, et compréhensif, avec la famille. Jamais aucun prélèvement ne sera effectué sur un mineur sans l’autorisation explicite de ses parents. Ni chez l’un, ni chez l’autre, le don d’organes ne sera « automatique ».

Le respect de la volonté de chacun sera ainsi à l’abri de tout contournement, de toute transgression. Cela permettra de renforcer, de sacraliser quatre variétés de droits pour l’ensemble des personnes concernées :

  1. Droit à l’information sur une question susceptible de concerner chacun d’entre nous (campagne très large en 2016 par l’Agence de la biomédecine) ;
  2. Droit au respect de la volonté propre de chacun, sans possibilité laissée à l’Etat, aux proches ou aux médecins de contrevenir à cette volonté ;
  3. Droit à la quiétude de la famille dans les moments de deuil et de recueillement ;
  4. Droit au traitement de chaque malade en attente d’une transplantation d’intérêt vital.

Des points de vue variés se sont exprimés, comme cela est très légitime, sur ces avancées législatives. Beaucoup ont manifesté leur satisfaction que l’on parvienne à renforcer le droit de chacun à faire respecter son choix, en même temps que l’on soulage les familles des donneurs de ce que certains appelaient une « torture mentale », tout en offrant la possibilité aux malades d’être traités. Quelques-uns auraient voulu que l’option de la famille l’emporte sur le choix du défunt mais ce n’est pas l’attitude qui a été retenue … et d’ailleurs son application aurait été rendue impossible par le fait qu’il existe souvent des choix opposés entre les différents membres d’une même famille. D’autres ont formulé des remarques et leur contribution a permis de faire progresser le texte du projet de loi.
 
Enfin, il existe quelques irréductibles, souvent sous le coup d’émotions que leur raison ne parvient pas à surmonter. Quelle déception de constater que des personnalités comme le Pr Bernard Debré, incapables de s’extraire d’une expérience personnelle douloureuse, se laissent aller à utiliser des expressions aussi fausses que « nationalisation des corps », « médecins sans cœur », dans un journal à fort lectorat. « Nationalisation », alors que l’Etat déploie au contraire d’importants efforts et moyens pour permettre à tous ceux qui s’opposent de pouvoir exprimer et faire respecter leur refus ? Cet Etat ne sanctionne pas ceux qui refusent de donner, en ne les écartant pas des bienfaits de la réception d’un organe prélevé sur une autre personne, elle plus solidaire, lorsqu’ils sont en train de mourir de la défaillance d’un organe. Quant aux « médecins sans cœur », s’agit-il des praticiens qui redonnent la vie à des mourants grâce à la « miraculeuse » greffe d’un organe ? Ne sont-ils pas plutôt « sans cœur » ceux qui, oubliant leur engagement de médecins, restent sourds à la demande angoissée de traitement venant de malades en attente d’une transplantation ? N’est-ce pas le devoir d’un médecin d’aujourd’hui de privilégier la restauration de la vie, en prélevant des organes sur le sujet décédé qui n’en a plus l’usage, pour les greffer sur d’autres patients qui, eux, ne vivront que grâce à cette opération salvatrice ?

En ce qui me concerne, je ne prône pas une attitude utilitariste, je respecte les points de vue divers quand ils sont raisonnables. Je laisse à chacun la liberté totale de son choix et je demande le respect de cette volonté. Et, avec le sénateur Henri Caillavet, « je postule la fraternité, je rejette l’égoïsme pour lui substituer l’amour de son prochain, ce sentiment d’altruisme qui reste lové dans le cœur des hommes responsables et civilisés ». J’ajoute, avec mes propres mots : parions ensemble sur la générosité et la solidarité de nos concitoyens !