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Les enjeux de la bioéthique

Intervention au cours des États généraux de la bioéthique, Paris, 2009, autour des origines du concept de bioéthique, de ses mutations et des ses nouveaux défis à relever.

Par: Marie Charlotte Bouësseau, Département Éthique et santé, OMS /

Publié le : 31 Juillet 2009

Intervention au Forum national des États généraux de la bioéthique, Paris, 23 juin 2009

 

En convoquant ces États généraux de la bioéthique, la France reconnaît que la bioéthique est le langage de tous et requiert un débat citoyen ouvert, pluraliste, audacieux, concret. Un débat qui puisse vraiment éclairer les décideurs, le législateur autant que le professionnel de santé ou le chercheur. Ainsi les citoyens français démontrent leur attachement à une éthique de la discussion.

De nombreux points de consensus existent aujourd'hui et même si l'analyse éthique émerge toujours d'une tension entre l'universel, le particulier et le singulier, force est de constater que dans nos sociétés multiculturelles et mouvantes, il existe cependant des points de repère reconnus par tous et explicités dans des documents internationaux et des lois nationales qui dans le cas de la France sont en cours de révision. Mais il existe aussi de très nombreux points de dissensus, des polémiques et des controverses dans la compréhension pratique de ces principes et la façon dont ils doivent être mis en œuvre dans les politiques de santé et de recherche. Le débat démocratique se doit donc d'aller au-delà des déclarations de principes et d'ouvrir des voies nouvelles permettant d'accorder des positions très concrètes avec lesquelles chacun puisse vivre. Il est en effet assez aisé de reconnaître à tout être humain une dignité de principe, il est plus difficile de définir les modalités concrètes de sa mise en œuvre aux frontières de la vie ou lorsque la diversité des cultures, des histoires, des sensibilités religieuses donne à ce principe des colorations très variées. Il s'agit bien là d'un premier enjeu important, enjeu du débat citoyen, enjeu de la formulation du cadre normatif et du juste passage de l'éthique au droit.

Un bref survol historique peut nous aider à mieux comprendre les nouveaux enjeux de la bioéthique. Contrairement à ce que l'on entend souvent, le mot "bioéthique" n'est pas un néologisme anglo-saxon apparu dans les années 70, ce concept apparaît en fait pour la première fois dans un article publié en 1927 par le théologien allemand Fritz Jahr qui paraphrasant Kant, insiste sur "l'impératif bioéthique" selon lequel tout être vivant est une fin en soi. Bien sûr, le développement de la bioéthique comme discipline universitaire doit beaucoup au monde académique, en particulier nord américain qui a permis l'élaboration d'un corpus conceptuel aujourd'hui encore très précieux pour l'analyse de dilemmes éthiques quel que soit le champs d'application de celle-ci: la clinique et les soins, la recherche, la santé publique. Héritière de la déontologie hippocratique et de la prise de conscience de la communauté internationale découvrant l'horreur des expérimentations humaines des camps nazis, la bioéthique se développe et pourtant… dans ce survol historique, un premier acte d'humilité s'impose lorsque nous regardons l'impact des premières régulations. En effet la Prusse et la République de Weimar ont adopté les premiers textes juridiques régulant la recherche avec des êtres humains, nous connaissons la suite… Tant de scandales ont émaillé l'histoire de la recherche et celle des droits des patients, faisant de la bioéthique une approche trop souvent réactive, incapable de prévenir d'autres violations de cette dignité fondamentale et de ces droits tant de fois proclamés. Faire de la bioéthique une démarche proactive représente un autre enjeu majeur pour nous tous aujourd'hui et pas seulement dans le domaine de la recherche ou du développement de nouvelles technologies mais aussi dans celui de l'allocation équitable de ressources financières et humaines toujours limitées, dans celui du respect conjoint des droits individuels et du bien commun et bien d'autres encore.

Dans les années 80, la France a joué un rôle pionnier dans l'histoire de la bioéthique en décidant d'établir le premier comité national d'éthique ouvrant ainsi la voie d'une nouvelle forme institutionnelle qui depuis s'est exprimée selon des modalités très diverses dans un grand nombre de pays. Le dernier sommet mondial des comités nationaux d'éthique que nous avons organisé en partenariat avec le CCNE en septembre 2008 a bien montré à quel point des échanges entre ces instances nationales sont nécessaires. Avec la loi Huriet Sérusclat qui a fêté ses 20 ans il y a peu, la France s'est aussi dotée d'un cadre normatif permettant le développement de la recherche biomédicale dans le respect des personnes qui y participent. L'évolution de cette loi devrait permettre le développement d'une culture éthique dans tous les domaines de recherche.

Ces états généraux ont vu un foisonnement d'initiatives dans les régions françaises, il est bon dans le domaine de la bioéthique que les sociétés s'expriment sur le mode de la polyphonie (au risque d'une certaine cacophonie…); il est toujours inquiétant de parler d'éthique d'une seule voix. Au niveau international une "grande symphonie de la bioéthique" pourrait s'avérer ambigüe et les organisations internationales n'ont certes pas vocation de chef d'orchestre. Cependant si les défis ne se posent pas en terme d'uniformisation, ils se posent bien en terme d'harmonisation. Les organisations internationales peuvent ainsi être le lieu où les Etats prennent conscience des enjeux de coopération internationale en matière de bioéthique, un lieu où la solidarité peut s'incarner dans des décisions concrètes.

Le directeur général de l'OMS a décidé d'établir une unité Éthique et Santé au siège de l'Organisation en 2002 (auparavant bien des initiatives avaient été prises soit dans des régions en particulier en Amérique latine, soit dans des départements en particulier en matière d'éthique de la recherche) cette décision illustre un changement dans le statut de la bioéthique. Il s'agit désormais de s'assurer que les programmes et politiques de santé développés au sein de l'OMS et avec ses 193 États Membres incorporent les aspects éthiques dans les modalités de leur élaboration et de leur mise en œuvre. C'est l'enjeu d'une bioéthique qui s'applique aux décisions politiques. Ceci suppose la formation des acteurs sur le terrain, le renforcement des structures institutionnelles telles que les comités d'éthique dans tous les pays, l'harmonisation d'un cadre normatif commun qui soit suffisamment flexible pour rester pertinent dans des contextes d'application très divers et le soutient du débat international en particulier sur les "questions qui fâchent". Cela suppose à l'évidence de nouvelles méthodes de travail ou la collaboration entre institutions est le maître mot, où les partenariats viennent consolider les travaux des experts. Il y a là un enjeu méthodologique. C'est ainsi que notre unité compte à ce jour avec un réseau de centres collaborateurs (dont l'Espace éthique/AP-HP), de très nombreux projets de collaboration sur les trois niveaux de l'Organisation, des collaborations avec des organisations de la famille onusienne telles que l'UNESCO ou régionales telles que le Conseil de l'Europe et la Commission européenne ainsi que des ONG telles que l'Association Médicale Mondiale.

Je citerai à titre d'exemples quelques-uns des projets en cours dans notre unité.

- Il nous a été demandé de travailler sur les programmes de contrôle de la tuberculose (particulièrement multi résistante) qui posent des questions éthiques dans nombre de pays en développement par exemple lorsqu'il s'agit d'isoler les patients, de les contraindre au traitement, tout en évitant des réactions de discrimination au sein des populations.

- Nous travaillons sur les questions éthiques liées à la prise en charge des pandémies : mise en quarantaine mais aussi équité dans l'accès aux soins, aux vaccins, devoirs des professionnels de santé. La semaine dernière nous avons convoqué une réunion d'experts pour répondre à des questions concernant l'évaluation éthique des protocoles de recherche mis en œuvre dans le cadre de pandémies comme celle de H1N1.

- Nous travaillons dans de nombreux pays en développement au renforcement des capacités en matière d'éthique de la recherche, l'établissement de comités n'étant que le premier pas, il s'agit de donner à ces institutions toute leur légitimité et de garantir leur indépendance autant que leurs compétences, d'améliorer la transparence des activités de recherche et leur cohérence avec les priorités de santé des pays. Ces comités doivent répondre à des questions de plus en plus complexes telles que le partage équitable des bénéfices de la recherche, l'utilisation de placebo, la pertinence de la recherche et sa cohérence avec les priorités de santé du pays où elle est réalisée.

Pour conclure je voudrais relever quelques leçons apprises sur le terrain:

- Il est possible de développer une culture éthique même dans les pays les plus pauvres, même dans les démocraties émergentes, mais à condition de permettre aux acteurs locaux de s'approprier la démarche bioéthique.

- Ce qui est en jeu dans le développement international de la Bioéthique c'est à la fois une méthode, plus participative, pour une bioéthique de l'action et de la décision politique, une bioéthique proactive et un champs d'implication plus large où l'ensemble des interventions de santé publique, des activités de soins et de recherche sont éclairées d'une analyse éthique.