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editorial
Les médecins contre un droit à la mort
Par: Louis Puybasset, Professeur de médecine, Neuro-réanimation Chirurgicale Babinski, Département d'Anesthésie-Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP, université Pierre et Marie Curie, Paris 6 /
Publié le : 06 Novembre 2009
L’Association Douleurs sans frontières se verra décerner le Prix Pierre Simon Éthique et Société 2009, le 17 novembre au cours d’une soirée publique (voir la rubrique Evénements-Inscriptions). L’équipe de l’Espace éthique/AP-HP rend hommage à cette initiative très exceptionnelle dont Philippe Poulain représente l’un des piliers.
Pour la première fois de notre histoire législative, cent vingt députés socialistes, portés par le président de leur groupe et par un ancien Premier ministre vont déposer le 19 novembre 2009, lors d’une niche parlementaire, une proposition de loi (PPL) visant à ouvrir un « droit à la mort » en France. Dans leur esprit, ce nouveau droit serait rendu nécessaire par l’allongement de la durée de la vie et par l’augmentation constante du nombre des pathologies chroniques résultant des progrès de la médecine. Il pourrait s’exprimer « par anticipation » lors de la rédaction des directives anticipées, qui deviendraient alors opposables au corps médical. On ne doute pas que ces 120 députés pensent que l’histoire est écrite par ceux qui vont coûte que coûte à contre-courant du bon sens et des professionnels de soins et contre tous les préjugés. Ils se considèrent sûrement comme les courageux héritiers des pionniers des droits de l’homme, fondateurs de notre nation.
Notons cependant que cette PPL ne fait pas l’unanimité au sein même du parti socialiste, loin s’en faut. Quatre-vingt quatre députés manquent à l’appel. Les membres du PS les plus au fait de cette question, comme Gaëtan Gorce, Jean-Marie Le Guen ou Jack Lang, refusent de s’y associer.
Ces 120 députés sont-ils bien certains d’être mandatés par leurs électeurs sur ce sujet ? Personnellement, j’en doute. Si chacun est pour un accompagnement paisible de la fin de la vie, je n’ai jamais rencontré de patients ou de famille qui revendiquent un droit à la mort. Où est la demande des français ? Ce qu’ils souhaitent avant tout, et à juste titre, c’est de mourir dignement. Rappelons à ce propos que la modification à venir de l’article 37 du code de déontologie médicale va autoriser l’administration d’une sédation-antalgie au « bénéfice du doute » lors d’un arrêt de traitement chez les patients cérébrolésés incapables d’exprimer leurs souffrances. C’est une avancée majeure qui s’attaque au problème le plus difficile que nous, médecins, rencontrons en fin de vie, comme la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 l’a bien mis en évidence, celui du patient cérébro-lésé.
Ces 120 députés se sont-ils sérieusement posés la question de savoir qui sera l’effecteur de ce nouveau droit ? Aucun médecin de France n’acceptera de devenir l’instrument d’une position idéologique, conçue par des personnes certes respectables, mais qui à l’évidence ne sont pas en contact permanent avec la souffrance et la mort. Les médecins n’ignorent pas le cortège de dérives et de conséquences désastreuses sur les soignants des expériences belge et néerlandaise. Quelle est d’ailleurs la position des signataires sur la question du don d’organes qui apparaît en filigrane derrière ces euthanasies, à l’instar de ce qui se pratique en Belgique ? Se sont-ils même demandés quelles dérives mercantiles pourraient suivre cette pratique ?
A l’évidence, ce projet sacralise le concept d’autonomie. Mais chacun l’aura bien compris, l’autonomie défendue dans ce texte est celle fantasmée par les bien-portants. Celle que revendiquent les malades, elle, est bien différente. Elle résulte du pragmatisme d’une vie qui doit cohabiter avec la maladie et non d’une idéologie d’arrière garde. Les malades n’ont pas besoin que la société les aide à mettre en œuvre un projet mortifère que chacun peut évoquer, voire convoquer, un jour, mais qu’elle les assiste le mieux possible pour garder leur « autonomie » morale, physique et financière aussi longtemps que la maladie le leur permet. Une fois ce cap passé, ce n’est pas de la brutalité d’une injection létale qu’ils veulent mais d’un accompagnement et de paroles partagés pour que la transmission, si essentielle à l’espèce humaine, puisse se faire.
Au crédit de ses rédacteurs, notons cependant que cette PPL a un avantage, celui de faire sortir les lobbies du bois. Elle oblige chacun d’entre nous à se demander ce qu’il veut réellement dans le dossier fin de vie. Ouvrir ce droit à la mort ou mieux accompagner les mourants, tout en refusant de faire fi de la règle la plus ancienne de l’humanité, c'est-à-dire l’interdit de tuer, dont l’histoire nous apprend que sa transgression conduit invariablement à la barbarie. C’est cette question qui sera posée individuellement à chaque député le 19 novembre, signataire ou non de cette PPL. Un vote de cette importance ne saurait être neutre. Il s’agira pour les votants d’assumer vis-à-vis de la société et de leurs électeurs une responsabilité « historique » au sens où elle restera gravée dans l’histoire et qu’elle pourrait marquer profondément les valeurs ultimes de notre lien social.