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texte
editorial
L’éthique est un bien commun : elle n’appartient à personne !
"Bien souvent, le mot « éthique » est un drapeau, un tag, que l’on épingle sur des comportements ou des tablettes de chocolat. Ainsi fleurissent les « entreprises éthiques », les « algorithmes éthiques », ou autres « vacances éthiques ». Les footballeurs se voient attribuer pour leur bon comportement sur le terrain des « primes mensuelles d’éthique », comme si l’éthique pouvait servir à les responsabiliser alors qu’ils seraient considérés a priori comme irresponsables."
Par: Paul-Loup Weil-Dubuc, Responsable du Pôle Recherche, Espace de réflexion éthique Ile-de-France, laboratoire d'excellence DISTALZ / Sébastien Claeys, Responsable communication et stratégie de médiation, Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France /
Publié le : 14 Décembre 2018
Article paru sur le site du journal La Croix
Une fois encore, alors que nous donnions la parole le 28 novembre dernier à la Mairie du 4e aux élèves du lycée Henri IV qui avaient travaillé en ateliers sur la question de la PMA et des nouveaux modèles familiaux à l’occasion de notre concertation autour de la révision de la loi de bioéthique, leurs propos ont été déconsidérés. « Ça doit être tout sauf éthique votre truc… », a t-on pu lire sur Twitter. Ou encore : « Peut-on savoir qui sont les animateurs de ce "débat" ? La contradiction est [-t-elle] autorisée ou bien est-elle interdite car forcément porteuse d’homophobie ? »
Au-delà de ce que nous pourrions dire de la difficulté d’élaborer une pensée complexe et une analyse critique sur les réseaux sociaux – non pas la critique qui s’oppose purement et simplement, mais celle qui cherche à développer un avis éclairé –, ces remarques doivent être entendues pour ce qu’elles sont : un malentendu profond sur le rôle que peut jouer l’éthique dans la société.
Il faut bien admettre que ce rôle n’est pas si facile à définir et qu’il est brouillé par une instrumentalisation de l’éthique, utilisée le plus souvent comme argument marketing ou comme outil de management. Bien souvent, le mot « éthique » est un drapeau, un tag, que l’on épingle sur des comportements ou des tablettes de chocolat. Ainsi fleurissent les « entreprises éthiques », les « algorithmes éthiques », ou autres « vacances éthiques ». Les footballeurs se voient attribuer pour leur bon comportement sur le terrain des « primes mensuelles d’éthique », comme si l’éthique pouvait servir à les responsabiliser alors qu’ils seraient considérés a priori comme irresponsables.
C’est dans ce contexte de légitimation des pratiques commerciales ou managériales par l’« éthique » que prend forme une parole politique qui distinguerait d’emblée, sans autre forme de débat, ce qui est un comportement, une pratique ou une idée « éthique » de ce qui ne le serait pas. Symptomatique de cette appropriation de l’éthique comme principe de légitimation d’un discours ou d’une opinion, la formule « ce n’est pas très éthique » fonctionne comme si « éthique » était synonyme de « bien ».
En proclamant « ce n’est pas très éthique », ce n’est donc pas seulement l’éthique que l’on s’approprie mais, plus gravement encore, le pouvoir de dire le bien. À cet égard, l’expression « GPA éthique » joue dans le débat comme un écran de fumée et éclaire de manière patente cette entreprise de légitimation des discours qui n’est rien d’autre qu’une manière de refermer un débat, sitôt ouvert.
L'éthique comme attitude
Contre ceux qui veulent s’approprier la légitimité du discours « éthique » dans le débat public, et s’en servir comme d’une arme, un paravent contre les débats, ou tout simplement un marqueur de reconnaissance communautaire, nous pensons que l’éthique est avant tout notre bien commun, que, comme méthode, elle s’adresse à ceux qui veulent chercher avec d’autres et sans dogmatisme, plus qu’à ceux qui croient avoir déjà trouvé ; qu’elle ne tombe pas du ciel, pas plus qu’elle ne se trouve sous les sabots d’un cheval, mais qu’elle se construit dans la discussion et dans l’échange des points de vue.
Nous sommes convaincus que l’éthique est – et ne peut être – qu’un milieu, une attitude, un savoir-être ensemble. Et si, pour reprendre son origine étymologique, elle est porteuse d’un ethos (en grec : « les mœurs »), il ne peut s’agir que d’un ethos démocratique : celui qui permet, au-delà des désaccords, de reconnaître en l’autre non pas un ennemi mortel ou un barbare, mais un adversaire « intelligent, honnête et respectable » (1). L’éthique joue un rôle proprement démocratique lorsqu’elle contribue à ébranler les certitudes ; lorsqu’elle sert à les fortifier, elle n’est à l’inverse qu’un prétexte pour « faire la morale ». En cela, elle est aussi un lien commun.
Si l’éthique ne peut se situer qu’au-delà de l’énonciation des principes moraux – puisqu’elle a aussi pour but de les questionner –, elle n’est pas non plus à confondre avec le moment proprement politique du choix ou de la polémique politicienne. Elle est ce moment où se posent et se reposent les questions, où se bousculent les évidences et où se construisent des « désaccords féconds », pour reprendre l’expression du philosophe Patrick Viveret.
Ne nous décourageons pas face à la double menace de la récupération marketing et communautaire ; ne nous laissons pas dépouiller si facilement de cette pratique, qui pourrait se révéler plus que salutaire pour notre démocratie, et, surtout, ne cédons pas à la tentation de la jeter aux orties comme semblait le suggérer la banderole des militantes de l’association FièrEs lors d’un débat des États généraux de la bioéthique sur la PMA : « Nous ne sommes pas votre sujet de débat », proclamaient-elles alors. Résistons à ces écueils.
Essayons plutôt de faire de la démarche éthique une formidable occasion de nous relier les uns aux autres et de nous reconnaître mutuellement, à l’heure où la défiance est de plus en plus forte vis-à-vis des experts ou des représentants, et où le sentiment de ne pas être entendu se fait de plus en plus violent.