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Peut-on aujourd’hui, créer un environnement de confiance pour les personnes vulnérables ?
"Écrasante responsabilité qui mine tant de conjoints et d’enfants, qui n’ont d’autre choix que d’espérer avoir fait « le bon choix » dans un sombre tunnel d’incertitudes, éclairés seulement par les quelques lumières de la solidarité désintéressée de leurs pairs : ces bénévoles des associations France Alzheimer qui ont, avant eux, traversé le feu, marché dans le tunnel, éclairés par les bénévoles des années antérieures"
Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /
Publié le : 28 Septembre 2015
Qu’en est-il de la confiance en situation de précarité ?
Que sont devenus aujourd’hui, la « foi du charbonnier : Dieu existe, et même si je ne l’ai pas encore rencontré, j’ai foi en lui » ; le « Docteur j’ai confiance en vous, faites ce qu’il faut, vous savez mieux que moi ce qui est bon pour moi » - le « Cela fait soixante ans que nous sommes mariés, madame, vous ne pensez quand même pas que je vais l’abandonner maintenant qu’elle a Alzheimer ? »
Ce socle de croyances qui n’était jamais réinterrogé, a rencontré depuis le « Dieu est mort », le relativisme du tout se vaut, les croyances spirituelles à la carte, un peu de chrétienté, un peu de bouddhisme, un peu de cynisme, le nouveau dieu Internet où je vais m’informer avant mon rendez-vous chez le médecin, et s’il me faut organiser une opération programmée, je consulte avant les classements des hôpitaux de ma région dans le journal.
Pouvons-nous encore offrir aveuglément notre confiance en l’autre ? Ce fils que l’on m’incite à nommer « personne de confiance » conformément à la loi, et qui pourtant oublie si souvent de venir à l’hôpital où je me trouve ; ce voisin auquel l’assistante sociale propose de garder mes clés « pour le cas où il y aurait un problème », mais dont le fils fait de drôles de trafics la nuit dans la cage de l’ascenseur ; cette soignante de l’hôpital qui raconte d’une voix pointue dans le couloir tous les détails médicaux et privés de ma voisine de box aux urgences ; cette caissière du supermarché qui remarque d’une haute voix impatiente que je ne reconnais plus les billets dans mon porte-monnaie ?
Dans l’environnement humain et matériel d’aujourd’hui, la confiance a-t-elle encore sa place si l’on souffre d’une maladie cognitive, mère de tant de vulnérabilités ?
Lorsqu’on vit dans la précarité d’une mémoire défaillante, dans les aléas d’intervenants multiples à domicile comme à l’hôpital, intervenants sans nom, ni fonction car ils me restent anonymes soit parce que malade, ces informations sont immédiatement effacées de ma mémoire, soit parce qu’ils oublient tout simplement de se présenter, dois-je offrir ma confiance à cette inconnue, seulement parce qu’elle est belle et me sourit ? Intervenants sur mon corps, dans la nudité de ma vie étalée, acteurs du soin et de l’aide, dont je ne connais ni les règles juridiques qui régissent l’exercice de leurs métiers, ni le niveau de leurs compétences, ni le degré de leur engagement moral à ne pas trahir la confiance reçue, puis-je encore dans ces conditions m’en remettre aveuglément à eux ?
Lorsque la précarité financière, affective, morale de l’environnement humain, qu’il soit privé ou professionnel, ouvre la porte à toutes les possibilités d’excès, de déviances et parfois même de perversions, peut-on encore affirmer qu’aujourd’hui les personnes vulnérables bénéficient d’un environnement leur permettant de vivre en confiance sous la protection bienveillante de la Cité, de la Loi et de la Justice ?
Cette interrogation devient encore plus lancinante, lorsqu’il s’agit, non plus d’exercer ce don de « faire confiance » par et pour soi-même, mais de le recevoir et de l’exercer au nom de l’autre. Les aidants aimants si souvent mis à contribution dans les responsabilités que la Société a choisi de ne pas ou plus assumer, peuvent-ils encore eux-aussi, s’offrir le luxe d’une confiance aveugle lorsqu’ils confient leur aimé à d’autres ? Car si l’aidant responsable se trompe, si sa confiance est mal placée lorsqu’il signe un plan d’aide, un contrat d’auxiliaires de vie à domicile ou d’entrée en établissement, pour son enfant, son conjoint, son parent, c’est bien celui ou celle qui lui a donné sa confiance qui souffrira directement dans sa chair, son cœur ou sa dignité, des conséquences de son erreur.
Écrasante responsabilité qui mine tant de conjoints et d’enfants, qui n’ont d’autre choix que d’espérer avoir fait « le bon choix » dans un sombre tunnel d’incertitudes, éclairés seulement par les quelques lumières de la solidarité désintéressée de leurs pairs : ces bénévoles des associations France Alzheimer qui ont, avant eux, traversé le feu, marché dans le tunnel, éclairés par les bénévoles des années antérieures, dans cette longue chaine d’une solidarité trentenaire, générée sans doute par les caractéristiques mêmes de ces pathologies neurologiques évolutives.
Et moi, responsable associative, accueillant l’angoisse d’une famille qui se résout à penser que l’entrée en établissement d’accueil (EHPAD) est la réponse la plus adaptée aux besoins de son proche malade, ai-je le droit de me taire sur ce que je sais de certains établissements publics ou privés ? Leurs dysfonctionnements parce qu’ils font faire certaines tâches par des personnels de moins en moins qualifiées, et/ou parce que l’encadrement y est inexpérimenté, et/ou parce que certains de leurs salariés font leur travail sans aucune appétence ni formation, et/ou parce que certains directeurs sont débordés par un sentiment de toute-puissance, trouble obsessionnel envahissant n’autorisant plus aucune contestation des proches, et/ou parce que leur médecin coordinateur, souvent en fin de carrière, est un grand nostalgique du bon vieux temps où personne n’aurait osé questionner le « bon » docteur, et encore moins s’en plaindre…
Est-ce l’étalage indécent de faits divers avérés ou supposés, au travers de réseaux sociaux si actifs aujourd’hui et d’informations télévisées tournant en boucle 24 h sur 24, que nul ne peut plus croire, avec la foi du charbonnier, en la bonté humaine ? Et ce phénomène ne touche pas, loin de là, que les vieux malades et déments : combien de jeunes filles se sont retrouvées étalées nues sur Facebook parce leur confiance avait été mal placée en un petit ami qui leur affirmait son amour exclusif jusqu’à la nuit des temps….
Qu’en est-il alors de la loyauté de la Cité ?
Nous faudrait-il donc aujourd’hui, parce que nous en savons trop ou pas assez, offrir notre confiance qu’avec parcimonie et parler aussi du devoir de vigilance ?
Après le règne de la science positive et dominante, le doute philosophique et ses déclinaisons de Socrate à Descartes, redeviendraient donc une vertu première, vitale même pour l’homme malade, affaibli dans ses capacités autonomes de décider. S’interroger sur le bien-fondé de ses choix, rechercher auprès de ses pairs des expériences et des éclairages nouveaux, est alors une obligation à toute démarche d’accompagnement et de soins. La loyauté de l’engagement individuel qu’il soit familial ou professionnel, redevient tout autant une vertu incomparable et nécessaire.
Mais qu’en est-il alors de la loyauté de la Cité ?
Lorsqu’on sait l’augmentation du nombre de personnes âgées malades et vulnérables, on comprend l’importance du nombre des mesures de protection de justice des majeurs dans notre pays :
En 1970 en France, 100 personnes étaient sous tutelle ; En 1996, elles étaient 400 000 et aujourd’hui, 100 000 nouvelles mesures sont prononcées chaque année. Un Juge des Tutelles a en charge environ 1 500 dossiers. Dans mon département de Seine St Denis, le nombre de personnes protégées par curatelle ou tutelle s’élève à 4 500.
La réflexion éthique invite alors à associer une pluralité de points de vue générée par des situations concrètes singulières, où entrent parfois en contradiction des valeurs ou des principes légaux souvent d’égale légitimité.
Elle dépasse une logique d’action purement technique ou juridique et questionne la décision sous l’angle des valeurs de notre société. .
Lorsqu’une fille doit laver elle-même son père chaque soir pour qu’il ne passe pas une nuit souillé, parce que le SSIAD qui s’occupe de lui le matin ne fait pas partie de l’expérimentation des SSIAD renforcés permettant d’augmenter le nombre de passages au domicile, alors non, cet homme malade et sa fille ne sont pas respectés dans leurs droits et valeurs, en raison d’arbitrages de l’AR et de Bercy, qui peuvent paraitre légitimes aux yeux de Bruxelles.
Lorsqu’un époux, tuteur de son épouse malade depuis 5 ans, reçoit un courrier automatisé du Juge aux majeurs protégés, exigeant de soumettre à nouveau le dit majeur sous tutelle à l’expertise d’un médecin agréé de la liste du tribunal, conformément à la loi, alors même que cette malade déjà expertisée 5 ans plus tôt était à un stade important d’une maladie neurologique évolutive à ce jour irréversible, alors non, ils ne sont pas respectés par une loi destinée à l’origine à protéger les personnes vulnérables des abus.
Il y a aujourd'hui une véritable attente d'une présence humaine "augmentée" qui ne peut plus se satisfaire du seul respect d'un protocole, d’un article de la loi, ou d'une organisation efficiente d’un service. Mais la Justice ou l’hôpital, les fonctionnaires de Bercy ou de Bruxelles, les députés ou sénateurs, ont-ils encore les moyens et l’envie de ce temps de la réflexion éthique ?
Pourtant, la démarche éthique est de l’ordre de la recherche individuelle et collective. Elle nous concerne tous quelle que soit notre place dans la Cité.
À l'heure où les réseaux sociaux peuvent vous mettre en relation virtuelle avec des millions de personnes partout dans le monde, ce sentiment bien réel de solitude semble nous étreindre chaque fois qu'un grave événement de santé nous place, patient et proche aimant, en situation d'infériorité, « hommes couchés » face à des hommes debout qui nous toisent, nous pèsent et nous sous-pèsent à l’aune de critères qui leurs sont propres.
« La confiance des petits exalte l’homme de caractère » a écrit Charles De Gaulle, mais aussi « l’homme couché n’a que des droits, et moi je n’ai que des devoirs » pour Emmanuel Levinas.
Que notre société permette l’éclosion de nombreux hommes de caractère au cœur palpitant, suffisamment exaltés pour ne penser d’abord qu’à leurs devoirs avant de revendiquer leurs droits !
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